Communiqué commun
Paris, le 13 novembre 2005
On ne répond pas à une crise sociale par un régime d’exception. La responsabilité fondamentale de cette crise pèse, en effet, sur les gouvernements qui n’ont pas su ou voulu combattre efficacement les inégalités et discriminations qui se cumulent dans les quartiers de relégation sociale, emprisonnant leurs habitants dans des logiques de ghettoïsation. Elle pèse aussi sur ces gouvernements qui ont mené et sans cesse aggravé des politiques sécuritaires stigmatisant ces mêmes populations comme de nouvelles « classes dangereuses », tout particulièrement en ce qui concerne la jeunesse des « quartiers ».
Ce sont des années de politique centrée sur le tout sécuritaire qui sont en cause. Le sabotage des actions de prévention, l’asphyxie du monde associatif, la démolition de la police de proximité, la tolérance à l’égard des discriminations quotidiennes, notamment à l’égard des personnes étrangères ou supposées telles en raison de leur faciès, l’état d’une école qui ne peut réduire la ségrégation nous font mesurer aujourd’hui non seulement l’échec mais la redoutable nocivité de cette politique. Ce n’est pas seulement le langage du ministre de l’Intérieur, ce sont les actes de l’ensemble du gouvernement qui relèvent d’une logique d’apprenti sorcier.
Au-delà, c’est aussi l’incapacité des gouvernements successifs depuis des décennies à faire reculer le chômage massif, l’explosion de la précarité, la systématisation des discriminations racistes et territoriales, comme la politique d’affaiblissement des services publics et le recul des droits sociaux qui apparaissent en pleine lumière aujourd’hui.
Les violences sont autodestructrices. Elles nuisent essentiellement à ceux dont elles dénoncent l’exclusion. Faire cesser les violences, qui pèsent sur des populations qui aspirent légitimement au calme, est évidemment nécessaire. Dans ce contexte, l’action des forces de l’ordre, qui doit s’inscrire dans un cadre strictement légal et ne pas conduire à des surenchères, ne saurait être la seule réponse. D’ores et déjà, nous devons ouvrir un autre chemin si nous ne voulons pas que se poursuivent ou se renouvelons les violences qui viennent de se produire. Seule une action collective permettra de définir les conditions d’une autre politique
En premier lieu, nous n’acceptons pas que se poursuive l’état d’urgence. Recourir à un texte provenant de la guerre d’Algérie à l’égard, souvent, de français descendants d’immigrés, c’est leurs dire qu’ils ne sont toujours pas français. User de la symbolique de l’état d’urgence, c’est réduire des dizaines de milliers de personnes à la catégorie d’ennemis intérieurs. Au-delà, c’est faire peser sur la France tout entière et sur chacun de ses habitants, notamment les étrangers que le gouvernement désigne déjà comme des boucs émissaires, le risque d’atteintes graves aux libertés.
Nous affirmons solennellement que si, ce régime d’exception devait être prolongé, nous mettrions en œuvre tous les moyens démocratiques dont nous disposons pour nous y opposer.
Nous souhaitons ouvrir une autre perspective que celle qui a conduit à l’impasse actuelle. Ceci passe par la mise à l’ordre du jour de quatre exigences fondamentales : la vérité, la justice, l’égalité et le respect.
Ni le recours à des procédures judiciaires expéditives voire à une « justice d’abattage », ni le marquage de zones discriminées par une carte de l’état d’urgence ne sont conciliables avec l’objectif du rétablissement de la paix civile et du dialogue démocratique.
La République doit reconnaître, publiquement et par ses plus hautes autorités, que le sort de ces populations, les discriminations qu’elles subissent, sont de notre responsabilité collective et constituent une violation de l’égalité républicaine.
Cette exigence implique aussi que la vérité soit totalement faite sur les conditions dans lesquelles deux jeunes hommes sont morts à Clichy Sous Bois.
Restaurer la situation dans ces quartiers, c’est d’abord restituer la parole à leurs habitants. Des cahiers de doléance doivent être discutés, ville par ville, selon les principes de la démocratie participative entre représentants des habitants, associations, syndicats, élus locaux et représentants de l’Etat. Ils doivent être rendus publics.
C’est ensuite ouvrir une négociation collective, regroupant les mêmes participants, pour programmer des actions de rétablissement de l’égalité ce qui implique que la représentation nationale soit saisie d’une véritable loi de programmation et que cessent les mesures de saupoudrage ou pire encore les marques de mépris comme la transformation de l’apprentissage en mesure de relégation scolaire précoce. Une solidarité nationale authentique doit être au rendez-vous de la reconstruction du tissu social dans les banlieues.
C’est, surtout, mettre en œuvre, dans la réalité, une réelle politique nationale de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits. Il doit être mis un terme sans délai à tous les discours insupportables et dévalorisants qui font des habitants de ces quartiers, des « racailles », des « barbares », des « sauvageons » ou des « fantassins d’un complot intégriste ».
Nous affirmons qu’il y a là une véritable urgence nationale : il faut substituer à l’état d’urgence policier un état d’urgence sociale, afin que les actes des gouvernants cessent de contredire la devise de la République.
Signataires :
Les Alternatifs, Association des Tunisiens en France, ATTAC, ATMF, Cactus républicain/La gauche, CEDETIM-IPAM, CGT, Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), Droit Solidarité, Fac Verte, FCPE , Fédération anarchiste, FIDH, FSU, GISTI, Les Oranges, Les Verts, LDH, Lutte ouvrière (LO), Mouvement pour une alternative républicaine et sociale (MARS), Mouvement des jeunes socialistes (MJS), Mouvement National des Chômeurs et des Précaires (MNCP), MRAP, PCF, Rassemblement des associations citoyennes de Turquie (RACORT), Réseaux citoyens de Saint-Étienne, Réformistes et solidaires (ReSo), Syndicat des Avocats de France, Syndicat de la Magistrature, Union démocratique bretonne (UDB), UNEF, Union nationale lycéenne (UNL), UNSA, Union Syndicale Solidaires.
La LCR se joint à la démarche de ce texte, mais est en désaccord avec son quatrième paragraphe.