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Édition du 15 décembre 2024 au 1er janvier 2025
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au mépris de la réalité, Nicolas Sarkozy célèbre le progrès de “l’espace des libertés” en Tunisie

La déclaration du chef de l'Etat français, lors d'un dîner offert par le président Zine el-Abidine Ben Ali, selon laquelle "aujourd'hui, l'espace des libertés progresse [en Tunisie]. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer", est une véritable contre-vérité. Comme le confirme ci-dessous Sihem Bensedrine, présidente du Conseil national pour les libertés en Tunisie, aucune ONG, aucun observateur sérieux, tunisien ou étranger, ne peut porter un tel jugement. Dans un pays où le président s'installe au pouvoir à vie, fait tabasser par des voyous, emprisonner, voire torturer, ses opposants et ne tolère qu'une presse à son service, "l'espace de liberté" régresse. Personne ne demandait à M. Sarkozy de se poser, comme il l'a dit, en "donneur de leçons", mais avec ce satisfecit décerné au régime Ben Ali, il fait une bien mauvaise manière aux courageux démocrates tunisiens.

Communiqué FIDH/LTDH/CNLT/ATFD/LDH

Tunisie : « Business as usual »

Paris, Tunis, le 29 avril 2008

La FIDH et ses affiliées tunisiennes, la LTDH, le CNLT et l’ATFD, et française, la LDH, expriment leur consternation après le discours du Président français, à Tunis le 28 avril 2008. Sous le prétexte qu’il ne pouvait s’ériger en « donneur de leçon » à l’égard de son « ami » le Président tunisien, Nicolas Sarkozy n’a rien fait d’autre en réalité que donner à son homologue, comme son prédécesseur l’avait fait, un blanc-seing pour sa politique et ses méthodes arbitraires concernant les droits de l’Homme.

Il ne s’agissait pas en l’occurence de s’ériger en « donneur de leçon », mais en partenaire responsable et soucieux, en tant que futur président de l’Union européenne, de soutenir une évolution démocratique dont tous les observateurs internationaux s’accordent à constater la cruelle absence. Si l’on ne peut faire le reproche au président français d’ignorer l’accord d’association qui lie la Tunisie et l’Union européenne – il y a fait référence -, on reste perplexe devant la lecture tronquée qu’il en a faite, en ignorant que la question des droits de l’Homme est censée constituer un « élément essentiel » de cet accord. De même a-t-il ignoré les engagements pris par la Tunisie au titre des instruments internationaux garantissant les droits universels, et celles et ceux au sein de la société civile, qui les défendent au prix de leur liberté.

La signature de contrats commerciaux, la gestion des migrations et la lutte contre le terrorisme sont apparues in fine comme les principales préoccupations de la France. Non que ces préoccupations soient illégitimes, il n’était pas nécessaire pour les faire valoir, d’accréditer un régime autoritaire.

En guise de « rupture », le Président Sarkozy a offert à Tunis une manifestation attristante de la pire des continuités.

Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)

Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH)

Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT)

Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD)

Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH)

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A Tunis, M. Sarkozy signe des contrats et célèbre « l’espace des libertés »

par Florence Beaugé, Le Monde du 30 avril 2008

Pas de surprise ni de déconvenue pour Nicolas Sarkozy, lundi 28 avril, au premier jour de sa visite d’Etat en Tunisie. Le président français a conclu avec son homologue tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali, une série de contrats, à commencer par la vente de seize avions par le consortium Airbus. Le montant du marché, destiné à renouveler la flotte de Tunis Air, s’élève à 1 milliard d’euros. Alstom a pour sa part remporté le contrat de construction d’une centrale thermique de 400 MW (360 millions d’euros). Elle verra le jour dans la région de Gabès et permettra de couvrir une grande partie des besoins en électricité des habitants du sud de la Tunisie.

En matière d’énergie nucléaire civile, Tunis et Paris ont conclu un accord de coopération. D’ici dix à quinze ans, la Tunisie pourra ainsi se doter d’une centrale nucléaire française. Depuis que Nicolas Sarkozy est entré à l’Elysée, quatre autres pays – le Maroc, l’Algérie, la Libye et les Emirats – ont signé avec la France des accords comparables. Tunis et Paris se sont par ailleurs entendus pour « une gestion concertée des flux migratoires ». Premier accord de ce type entre la France et un pays du Maghreb, il s’agit d’un échange de bons procédés. La France accordera d’autant plus de visas de circulation qu’elle sait pouvoir se faire aider dans sa lutte contre l’immigration clandestine.

A l’occasion d’un dîner au palais de Carthage, M. Sarkozy a félicité, en présence de la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme, Rama Yade, le président Ben Ali pour « l’espace des libertés [qui] progresse ».

Plus tôt, il avait rendu hommage à « la lutte déterminée contre le terrorisme » menée par M. Ben Ali, ajoutant : « Croyez bien que pour la France, la lutte contre le terrorisme engagée ici, c’est important. Car qui peut croire que si demain […] un régime de type taliban s’installait dans un de vos pays, au nord de l’Afrique, l’Europe et la France pourraient considérer qu’ils sont en sécurité ? »

Florence Beaugé

Sarkozy en Tunisie : « un appui total à la dictature de Ben Ali »

par Sihem Bensedrine

« Tout va bien, circulez ». Nicolas Sarkozy n’a rien à redire à son homologue tunisien sur l’Etat de droit. Les déclarations du président français durant sa visite officielle, lundi, ont irrité les militants des droits de l’Homme qui comptaient beaucoup sur lui pour discuter de la situation avec Zine El Abidine Ben Ali. Sihem Bensedrine, présidente du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) fait partie de ces « désillusionnés ».

L’Etat tunisien est régulièrement critiqué pour ses nombreuses atteintes aux droits fondamentaux. Selon plusieurs organisations nationales et internationales, la torture, les arrestations et condamnations arbitraires sont monnaie courante dans le pays. Les libertés d’expression, de réunion et de manifestation, entre autres, sont bafouées. Mais le président Ben Ali a toujours réfuté ces critiques. C’est pourquoi les ONG ont beaucoup espéré de Nicolas Sarkozy, qui déclarait pourtant avoir préparé un chapitre des droits de l’homme pour sa visite. Sihem Bensedrine, présidente du Conseil national pour les libertés en Tunisie et farouche opposante au régime tunisien, a souhaité réagir.

  • Quelles sont vos réactions à l’issue des déclarations de Nicolas Sarkozy lundi ?

Je considère cette visite comme un appui total à la dictature de Ben Ali. Je ne suis pas vraiment surprise de l’attitude de la France. Depuis que Sarkozy est arrivé au pouvoir, aucun signe fort n’a été envoyé sur la question des droits de l’homme en Tunisie comme dans d’autres pays. Il a prétendu qu’il y avait un chapitre des droits de l’homme pour sa visite ici mais c’était juste de quoi faire taire les journalistes et peut-être l’opinion.

  • Afrik.com : Avez-vous eu des échos de la visite de Rama Yade (secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme) auprès des organisations de défense des libertés ? Vous a-t-elle invité ?

La CNLT n’a reçu aucune invitation et ça ne m’étonne pas. Les associations reconnues ont déjà énormément de mal à être entendues alors imaginez un peu l’état dans lequel se trouvent les associations non reconnues comme la nôtre ! Néanmoins, Rama Yade avait rendez-vous ce matin au local des Femmes démocrates (ATFD). Mais une heure avant, des officiels du ministère des Affaires étrangères ont appelé les responsables de l’association pour annuler le rendez-vous sans aucune explication. Puis la secrétaire d’Etat a refusé de se rendre au local de la LTDH (Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme), prétextant des « problèmes internes » et a demandé à Mokhtar Trifi (président de la LTDH) de se rendre à son hôtel. C’est un manque de respect flagrant des institutions aussi reconnues que sont l’ATFD ou la LTDH. Aujourd’hui, les droits de l’homme deviennent un sujet de rhétorique. C’est bien d’en parler et ça fait « bien » de ramener une secrétaire des droits de l’homme dans ses bagages. Mais rien n’est fait pour avancer sur le terrain des libertés en Tunisie.

  • Quel bilan tirez-vous de cette visite ?

La société civile est bien sûr très déçue par Sarkozy, qui a parlé de « confiance totale » à un homme qui n’a rien fait pour son pays. C’est vrai que la France n’a pas à « donner des leçons » à la Tunisie mais on comptait sur elle pour faire passer des recommandations fermes à Ben Ali. La France, que l’on dit « pays des droits de l’homme » se disqualifie du dossier. Je dirais que les ONG sont désillusionnées plutôt que déçues des déclarations du président français. J’ajoute même que la France a voté pour Ben Laden : en donnant un coup de pied aux droits de l’Homme, elle a encouragé le terrorisme à l’intérieur du pays. Là, tous les espoirs se sont envolés et les combats pour la liberté et la justice reçoivent une belle gifle. En revanche, les contrats qui étaient mis en avant.

  • Voyez-vous finalement cette visite comme une simple opportunité économique pour la France

Oui, et pourtant la situation financière en Tunisie est catastrophique ! On sera bientôt en rupture de stocks de blé, sans doute au mois de mai, on aura bientôt plus de quoi faire du pain en Tunisie, les prix ont flambé et la situation va en empirant avec le contexte de crise alimentaire mondiale. Je ne vois pas comment on va payer le milliard engagé par la Tunisie avec Airbus. Finalement, on voit que deux sujets seulement intéressent la France : faire du business et combattre le terrorisme international.

  • Nicolas Sarkozy a loué les progrès de la Tunisie concernant l’économie et les droits de l’homme. Estimez-vous qu’il y ait eu une quelconque amélioration de la situation pendant ces 20 dernières années ?

Non. On a fait un recul historique si l’on devait comparer la situation à celle dont l’on jouissait 20 ans auparavant. L’arrivée au pouvoir de Ben Ali a été une vraie catastrophe politique pour la Tunisie. Certes, il y a eu une amélioration de la situation économique mais elle n’est pas due à Ben Ali. C’est grâce aux quelques entrepreneurs dynamiques qui ont su mettre les chances de leur côté. Ben Ali met ses tentacules sur tout ce qui bouge et empêche le développement du secteur privé. Sa dictature a tout bloqué et a grandement fragilisé la société. On ne sait pas ce qui nous attend, surtout en cette période économique incertaine. On ne parle décidemment pas la même langue que la France !

  • On cite toujours le statut des femmes en Tunisie comme exemple. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

En tant que femme tunisienne, j’ai des droits, mais ils existent depuis 1956. Mais ce n’est pas parce qu’on possède des acquis démocratiques qu’on a plus le droit de progresser. On prend toujours le prétexte du statut des femmes pour justifier le blocage de la société sur tous les autres droits fondamentaux. On oublie la torture, les emprisonnements arbitraires et bien d’autres choses encore. La société tunisienne est complètement verrouillée à tel point qu’on ne peut plus respirer. La liberté d’expression n’existe pas. C’est la cinquième fois depuis 1999 qu’on demande l’autorisation de publier notre journal « Kalima » (en arabe « le mot »), et cinq refus essuyés. On refuse même de prendre le dossier de nos mains car les instructions viennent de plus haut. Pendant ce temps, deux journaux complaisants à l’égard de la dictature ont vu le jour récemment, dont l’un a le cœur d’insulter les défenseurs des droits de l’homme.

  • Qu’attendez-vous maintenant de la France ?

En ce qui me concerne, je n’attends plus rien d’elle ni de l’Europe. J’ai bien compris la leçon. Apparemment, la dictature, c’est bien pour nous, les Tunisiens, mais pas pour eux, les Français. Les « Bougnoules » n’ont pas le droit à la démocratie : voilà le message que délivre Nicolas Sarkozy. Je sais maintenant que je ne peux plus compter sur le pays « des droits de l’homme » qu’est sensé être la France. On va devoir compter sur nous-mêmes et la société civile tunisienne et étrangère.

Propos recueillis par Hanan Ben Rhouma

publiés, le 28 avril 2008, sur http://www.afrik.com

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