La Question, mise en scène par Laurent Meininger
Avec Stanislas Nordey Texte d’Henri Alleg Théâtre des Halles, du 7 au 26 juillet 2023
Présentation
Extrait
Entendre « La Question » d’Henri Alleg,
par Jean-Pierre Thibaudat
Publié dans le blog Mediapart de Jean-Pierre Thibaudat, le 14 décembre 2021. Source Qu’on le découvre ou qu’on le retrouve, le livre témoin d’Henri Alleg, récit de son corps torturé pendant la guerre d’Algérie par des paras français, reste un brûlot implacable qui s’en tient aux faits. Avec raison, le metteur en scène Laurent Meininger a voulu le porter à la scène, confiant les mots de « La Question » à ce remarquable acteur-diseur qu’est Stanislas Nordey. En prison, après avoir été longuement torturé par les paras français sans avouer quoi que ce soit, en choisissant de titrer son livre La question écrit discrètement dans sa cellule, Henri Alleg faisait mouche. Il résumait tout en un mot : désignant à la fois les instruments de torture qui lui avaient brisé le corps sans en vaincre la résistance, ceux qui inlassablement l’avaient interrogé durement et salement et toutes les questions que son livre ainsi titré ne manquerait pas de poser à ses lecteurs, livre écrit à partir d’un unique credo : les faits. Directeur d’Alger Républicain, Henri Alleg entre dans la clandestinité lorsqu’en 1955 son journal est interdit. Journaliste, militant communiste, il continue d’écrire et d’envoyer des articles en France (certains sont publiés par L’Humanité). Le 12 juin 1957, il tombe dans une souricière : il est arrêté par les parachutistes de la 10e DP qui l’attendent chez son ami Maurice Audin, arrêté la veille. Le voici à El-Biar. « Dans cette immense prison, dont chaque cellule abrite une souffrance, parler de soi est une indécence. Au rez-de-chaussée, c’est la « division » des condamnés à mort. Ils sont là quatre-vingts, les chevilles enchaînées, qui attendent leur grâce ou leur fin. Et c’est à leur rythme que nous vivons tous ». Ainsi commence La Question. Le ton est volontairement sec, froid, descriptif. Des faits, des faits, des faits. Alleg décrit. Ce qu’il a vu, les tortures qu’il a subi (il ne nous épargne aucun détail), ceux qu’il a rencontré. Les bourreaux et leurs blagues atroces , les victimes réduits à de la viande. Implacable. C’est le témoignage personnel d’un rescapé, c’est un témoignage qui vaut pour tous les torturés de l’armée française en Algérie et ailleurs, qu’ils aient survécu ou qu’ils aient été liquidés. Nombre de pages nous saisissent. Ainsi ce moment où les paras tortionnaires vont chercher son ami Audin : « “Allez Audin, dites-lui ce qui l’attend. Evitez-lui les horreurs d’hier soir” . C’était Charbonnier qui parlait. Erulin me releva la tête. Au-dessus de moi je vis le visage blême et hagard de mon ami Audin qui me contemplait tandis que j’oscillais sur les genoux. “Allez, parlez-lui” dit Charbonnier. “C’est dur, Henri” dit Audin. Et on le ramena. ». Transféré au camp de Lodi, c’est là qu’il commencera à écrire La Question. Publié aux éditions de Minuit, en février 1958. Le livre est vite interdit, les journaux qui en publient des extraits, saisis. Il circulera clandestinement, passera entre des milliers de mains. Condamné à dix ans de prison, Henri Alleg sera transféré à la prison de Rennes d’où il s’évadera lors d’un séjour à l’hôpital, se réfugie en Tchécoslovaquie, revient en France après les accords d’Evian, retrouve Alger et le nouvel Alger Républicain. Le coup d’état de Boumédienne l’oblige à partir en 1965. Il retrouve la France, intègre la rédaction de L’Humanité et suit la ligne du parti communiste. Plus tard, en 1998, il condamnera « la dérive social-démocrate du PCF qui abandonne son authenticité communiste ». Alleg restera avant tout comme l’homme qui a posé La question, celle de la torture et des morts expéditives dans l’armée française, un livre – traduit dans le monde entier qui reste fortement actuel à l’heure où l’ouverture totale des archives concernant la Guerre d’Algérie continue de connaître des soubresauts et où son traumatisme s’inscrit dans le sous-texte des Élections présidentielles. Fort heureusement, une nouvelle génération d’historiens creuse ces questions. Citons le magistral et précis ouvrage de Raphaëlle Branche La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (Folio Histoire). « Si je souhaite faire entendre ce texte, ces mots, cette histoire autobiographique, c’est parce qu’elle parle d’un homme qui reste fidèle à ses conviction, quel que soit le prix pour lui-même. Cet endroit de la résistance, du courage, de la dignité, de la défense des valeurs fraternelles, m’émeut profondément » écrit l’acteur et metteur en scène Laurent Meininger qui a fondé la compagnie Forget me not en 2011. Quand il a proposé à Stanislas Nordey de porter ce texte sur une scène, le directeur du Théâtre National de Strasbourg au calendrier on ne peut plus chargé, n’a pas pu dire non. Il est là, seul en scène, entouré d’ombres invisibles, devant un rideau vibrant. Sa diction est aussi sobre que celle du texte. Ses bras, ses jambes, sa démarche soutiennent les mots en les accompagnant. Comme tout remarquable diseur, l’acteur Nordey est un éclaireur. Que l’on connaisse ou pas ce texte, l’entendre est un choc salutaire. A la fin, Nordey se tourne vers un écran blanc au-dessus de lui, et, par le bras, désigne les mots qui viennent d’y défiler : les intitulés des lois et décrets qui ont amnistiés les Charbonnier, les Erulin, tous les tortionnaires de la guerre d’Algérie.
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