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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

« Arrêter la circulation des idées, des savoirs
et des créations artistiques avec l’Afrique est un contresens historique »

Dans une tribune publiée par « Le Monde », un collectif de 450 universitaires, de chercheurs, d’acteurs culturels et d’artistes internationaux, parmi lesquels Mathias Vicherat, Claire Denis, Gilles Holder ou Mati Diop, dénonce la décision de la France de suspendre toute coopération avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Il exige le rétablissement immédiat de l'attribution de visas aux artistes et étudiants et la reprise des programmes de coopération. Ci-dessous aussi le communiqué du 20 septembre de l'Observatoire de la liberté de création créé à l'initiative de la Ligue des droits de l'Homme intitulé « Échanges artistiques avec le Sahel : gare à l’amalgame ». Et l'émission « A l'air libre » de Mediapart évoquant cette mesure de représailles contre les populations du Sahel et réunissant Maya Kandel, historienne, Rémi Carayol, journaliste, Boubacar Sangaré, chercheur et réalisateur et Rokia Traoré, chanteuse.


« Arrêter la circulation des idées, des savoirs
et des créations artistiques avec l’Afrique
est un contresens historique »



publié par Le Monde le 20 septembre 2023.
Source

Alors que 3 millions d’étudiants effectuent ces jours-ci leur rentrée dans les universités françaises, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sur ordre de l’Elysée, donne instruction au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et à celui de la culture de suspendre toute coopération universitaire, scientifique et culturelle avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Sans même vouloir évoquer la Guinée, le Tchad, le Gabon, ou la Centrafrique, pour lesquels Paris n’a pas jugé utile de suspendre sa coopération universitaire, scientifique et culturelle, on peut se demander pourquoi les chercheurs, les étudiants, les acteurs culturels et les artistes du Burkina Faso, du Mali et du Niger sont ainsi visés par une suspension des visas d’entrée en France.

Les chercheurs, les universitaires, les étudiants et les artistes sont les premières victimes des régimes autoritaires, tandis que la liberté d’expression et la pensée critique se rétrécissent dans ces pays en crise. La France ne veut-elle pas entendre ce que les intellectuels et les artistes maliens, burkinabés et nigériens ont à dire ? La tradition d’accueil des intellectuels et des artistes, et l’exception culturelle dont s’enorgueillit la France doivent-elles être brutalement bafouées ?

L’irrationalité d’une politique

Les intellectuels et les artistes ont en commun d’être des passeurs de savoirs et d’émotions mis en partage. Ils nous conduisent là où l’individuel, voire l’intime, et le collectif se rejoignent pour construire une histoire commune et inventer l’avenir. La connaissance et la culture, c’est ce qui nous relie les uns aux autres et qui fait notre humanité.

Tout débute, semble-t-il, le 24 mai 2021, avec le second coup d’Etat au Mali, qui met un terme au processus de transition difficilement négociée avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), au profit du colonel Assimi Goïta, nouveau chef de l’Etat. Ce coup d’Etat s’accompagne d’un changement d’alliance stratégique du Mali, qui fait alors appel à la Russie.

Le 17 février 2022, la France décide de retirer ses forces au Mali, conduisant le pays hôte à mettre fin le 2 mai à l’accord de défense avec la France. Le 16 novembre, Paris cesse son aide publique au développement au Mali. Commence alors un processus similaire avec le Burkina Faso, puis le Niger. Le 30 septembre 2022, le Burkina connaît un second coup d’Etat militaire en moins de huit mois, avant de mettre fin à son tour à l’accord de défense avec la France, le 23 janvier.

Une série de coups d’Etat

Le 18 février, Paris ordonne le retrait de ses troupes stationnées dans le pays. Le 26 juillet, un nouveau coup d’Etat intervient, cette fois au Niger. Trois jours plus tard, Paris réplique encore par la suspension de ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire au Niger, conduisant ce dernier à mettre fin le 4 août à l’accord de défense avec la France.

Le Mali, le Burkina et maintenant le Niger ; cela commence à faire beaucoup. Le 7 août, la France décide la suspension collective de la délivrance des visas aux ressortissants burkinabés, maliens et nigériens, tandis que de son côté, appuyant cyniquement la décision de Paris, Air France stoppe ses dessertes aériennes sur les trois pays.

Après l’arrêt des aides publiques au développement, puis celui de la délivrance des visas et des bourses d’étude, c’est désormais la suspension de toute coopération culturelle avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso qui est rendue publique à travers un banal courriel envoyé le 11 septembre par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de la culture, aux directions régionales des affaires culturelles.

Les devoirs de la France

A en croire la communication officielle, la France punisseuse aurait le droit pour elle, arguant qu’en raison de la dégradation de la situation sécuritaire dans ces trois pays, les consulats ne sont plus en mesure de délivrer des visas de façon sereine. C’est là une curieuse réponse, lorsque la mise en danger du personnel consulaire et des ressortissants français n’est pas attestée dans les faits.

En qualité de membre fondateur de l’Unesco, la France est en réalité tenue de respecter les engagements pris en vertu des accords et principes de cette organisation internationale. Et parmi ces engagements figure la promotion de la libre circulation des personnes dans le cadre des échanges culturels, scientifiques et éducatifs.

Or une telle obligation ne peut souffrir du pouvoir discrétionnaire reconnu aux Etats en matière de protection de leur territoire national. Prise en défaut à l’égard de ces engagements dans le cadre d’une convention internationale qui a la primauté sur le droit interne, la France se met également hors du droit international au regard de son engagement pour la réalisation des objectifs de développement durables (ODD).

L’illégalité d’un Etat de droit

La suspension des coopérations, des visas et des bourses aura en effet comme conséquence directe et immédiate d’entraver la participation des chercheurs, des enseignants, des étudiants, des acteurs culturels et des artistes maliens, nigériens et burkinabés à de nombreux programmes de recherche, d’éducation et de création.

Enfin, l’illégalité dans laquelle l’Etat français s’est mis en sanctionnant ces trois pays du Sahel est susceptible de recours auprès des juridictions internationales, dès lors que les mesures prises touchent les peuples et les personnes, et non les régimes, dont on connaît par ailleurs la capacité de résistance, sinon de résilience face aux sanctions internationales.

Le monde universitaire, de la recherche et de la culture a une dimension internationale et il se situe dans une temporalité qui n’est nullement celle de l’action politique et diplomatique. En revanche, il se nourrit, et depuis fort longtemps, de la circulation globalisée des personnes, des savoirs, des créations, des technologies.

Si empêcher une telle circulation est illégal et même un non-sens, c’est aussi un contresens historique qui concourt à ce que la France se replie un peu plus sur elle-même et s’appauvrisse, au moins autant que ses partenaires sahéliens. Arrêter l’histoire, c’est hypothéquer l’avenir.

Aussi, en tant que collectif d’universitaires, de chercheurs, d’acteurs culturels et d’artistes internationaux, nous demandons au gouvernement français le rétablissement immédiat de la délivrance des visas aux ressortissants du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ainsi que la reprise de tous les programmes de coopération culturelle, universitaire et scientifique avec ces trois pays.

Texte à l’initiative de Fatoumata Coulibaly, géographe, université des sciences sociales et de gestion de Bamako (Mali) ; Charles Grémont, historien, IRD (France) ; Gilles Holder, anthropologue, CNRS (France) ; Stéphanie Lima, géographe, institut national universitaire Jean-François-Champollion (France) ; Emmanuelle Olivier, ethnomusicologue, CNRS (France) ; Ophélie Rillon, historienne, CNRS (France) ; Mathias Vicherat, directeur de Science Po Paris.

Premiers signataires : Didier Awadi, artiste, compositeur, interprète (Sénégal) ; Jean-François Bayart, politiste, IHEID de Genève (Suisse) ; Claire Denis, cinéaste (France) ; Bréma Ely Dicko, sociologue, université des lettres et des sciences humaines de Bamako (Mali) ; Mati Diop, cinéaste (France, Sénégal) ; Samba Doucouré, président d’Africultures (France) ; Mathilde Monnier, artiste chorégraphe (France et Burkina Faso) ; Jean-Pierre Olivier de Sardan, anthropologue, LASDEL (Niger) ; Mahamadou Soumbounou, alias Mylmo, artiste (Mali) ; Vieux Farka Touré, artiste musicien, guitariste et compositeur (Mali).

Liste complète des signataires


Communiqué de l’Observatoire de la liberté de création

Échanges artistiques avec le Sahel : gare à l’amalgame



Source

[/Paris, le 20 septembre 2023/]

Si le courrier du 12 septembre dernier, du ministère de la Culture relayant les instructions du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, a suscité un tollé et une incompréhension parmi les acteurs culturels, les nouvelles instructions ne permettent pas encore de dessiner une réponse collective à la hauteur de la gravité de la situation.

Face à l’arrivée soudaine de régimes militaires au pouvoir, les pays démocratiques, parmi lesquels la France, doivent souvent réajuster les relations qui les unissent à ces nations.

On connaît par ailleurs l’importance de la diplomatie culturelle pour la France, et notamment les liens construits avec de nombreux pays du continent africain.

Dans ce contexte, la décision prise par le Quai d’Orsay et appliquée par le ministère de la Culture soulève trois questions :
– Pourquoi un si grand écart de traitement entre les artistes issus de ces trois pays et les artistes russes, dont seuls ceux qui avaient explicitement soutenu l’agression contre l’Ukraine ont été pénalisés ?
– Dans quelle mesure l’arrêt ou la suspension des programmations culturelles malienne, nigérienne et burkinabée en France vient-elle affaiblir la légitimité des régimes parvenus au pouvoir récemment ?
– Dans quelle mesure la suspension des seuls échanges culturels est-elle la réponse appropriée face à la détérioration des relations entre la France et ces pays ?

Malgré les précisions apportées par le ministère, nous demandons en conséquence l’ouverture d’une discussion avec l’ensemble des acteurs culturels en France pour définir collectivement un cadre de coopération artistique apaisé, excluant toute instrumentalisation politique et pour trouver des réponses opérationnelles aux situations actuellement bloquées permettant de maintenir les liens puissants qui rapprochent les artistes et les populations.

Liste des membres de l’Observatoire de la liberté de création signataires :
Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid) ; Association des cinéastes documentaristes (Addoc) ; Section française de l’Association internationale des critiques d’art (Aica France) ; Fédération des lieux de musiques actuelles (Fedelima) ; Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT) ; Les Forces musicales ; LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Ligue de l’enseignement ; Syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendants de musique (Profedim) ; Scénaristes de cinéma associés (SCA) ; Syndicat français des artistes interprètes (SFA-CGT) ; Syndicat national des artistes plasticiens (Snap-CGT) ; Société des réalisateurs de films (SRF) ; Syndicat national des scènes publiques (SNSP) ; Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac).


« La France dégage ! » : changement d’ère au Sahel



La France est massivement rejetée au Sahel après une décennie d’interventions militaires contre le djihadisme. Des putschs militaires remettent en cause la présence française. La récente polémique sur les visas pour les artistes et étudiant·es burkinabé·es, malien·nes et nigérien·nes a encore accru les tensions. L’émission de Mediapart « À l’air libre » en accès libre.



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