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Un livre important d’Arié Alimi : « Juif, français, de gauche… dans le désordre »

Juif, français, de gauche... dans le désordre - Arié Alimi

Version papier : 14.00 € – Version numérique : 9.99 €

Présentation de l’éditeur

Né à Sarcelles de parents sépharades exilés d’Algérie et de Tunisie, de culture et de langue françaises, attaché à Israël et à l’idée d’un  » foyer juif « , humaniste engagé contre tous les racismes, je fais partie de cette génération qui a vu ses repères exploser. C’est l’échec des accords d’Oslo et la politique israélienne de plus en plus agressive à l’égard des Palestiniens qui ont profondément bouleversé la coexistence intérieure de ces identités. Comment dès lors articuler mon identité juive et mon identité de gauche, attachée à l’émancipation des peuples ? Comment être juif et français, attaché à une certaine conception de la république, fondée sur l’égalité ?

À ces complexités s’ajoutent la menace renouvelée de l’antisémitisme et la nécessité d’appréhender les causes de son surgissement, y compris lorsque ces haines émanent de celles et ceux qui se réclament, comme je le fais, de la gauche décoloniale, ou lorsque les antisémites d’hier affichent un philosémitisme de façade au détriment des musulmans, devenus l’ennemi commun d’une partie de la communauté juive et, plus largement, française.

Contre tous ces vents contraires, cet ouvrage a pour but de montrer la possibilité de réarticuler cet écheveau d’identités – juif attaché à Israël, de gauche à l’émancipation des peuples, français à l’égalité entre toutes et tous –, seul à même de lutter contre tous les racismes.


Arié Alimi, avocat : « Au regard de nos valeurs humanistes, les victimes palestiniennes et les victimes israéliennes devraient susciter la même indignation »

Entretien avec Arié Alimi par Jean Birnbaum, publié dans Le Monde le 7 avril 2024.

Source

L’avocat et militant signe « Juif, français, de gauche… dans le désordre », dans lequel il témoigne du déchirement qui est le sien depuis l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël, le 7 octobre 2023.

L’avocat et militant Arié Alimi, à Valence, en 2023.
L’avocat et militant Arié Alimi, à Valence, en 2023.
NICOLAS GUYONNET/HANS LUCAS
Dans les périodes de brutalisation idéologique, quand la mauvaise foi le dispute à la haine, le livre qu’il faut écrire est celui qui vous met tout le monde à dos. Le nouvel essai d’Arié Alimi, Juif, français, de gauche… dans le désordre (La Découverte, 142 pages, 14 euros), a ce courage-là. Avocat connu pour ses combats contre le racisme et les violences policières, ce compagnon de route des gauches radicales, également membre dirigeant de la Ligue des droits de l’homme, signe aujourd’hui un essai où il témoigne du déchirement qui est le sien depuis le massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023.
Né de parents exilés d’Algérie et de Tunisie, Arié Alimi a grandi dans une cité populaire de Sarcelles (Val-d’Oise), au sein d’un milieu juif traditionaliste dont il s’est peu à peu détaché, jusqu’à se couper de lui, pour des raisons politiques, au milieu des années 2010. Dix ans plus tard, le voilà cette fois affligé par l’attitude de ses amis de gauche. Au lendemain du 7 octobre, constate-t-il avec tristesse, certains camarades de lutte ont formulé « des justifications innommables de l’horreur ». Comment faire, dès lors ? Comment « ne pas dévier de sa trajectoire antiraciste », et maintenir intact son engagement décolonial, tout en dénonçant haut et fort les crimes commis par le Hamas ? Comment continuer à articuler ses « identités juive, française et universaliste » ? Sans prétendre trancher ces questions, Arié Alimi les affronte d’une plume émue et hardie.
Avec votre nouveau livre, vous ne devez pas vous faire que des amis. La période n’est-elle pas trop rude ?

Si, un peu. J’ai l’habitude de la violence politique, mais je n’avais jamais connu un tel torrent de boue. Chacun me somme de choisir mon camp, tout le monde veut m’enfermer dans une case pour me disqualifier. Certains me présentent comme un « sioniste de gauche », et chez eux cela charrie une dépréciation, voire de l’antisémitisme. Les autres me traitent de « kapo » et m’accusent d’être complice des « nazislamistes »… En 2014, j’avais déjà été attaqué par une partie de la communauté juive quand j’avais défendu des jeunes ayant participé à une émeute antisémite à Sarcelles, en marge d’une manifestation pour Gaza. Mais, à l’époque, j’avais été accueilli par toutes les gauches, on a mené beaucoup de combats ensemble, c’était magnifique, j’avais l’impression de retomber dans l’adolescence, il y avait une vraie chaleur humaine.

Pour vous, est-ce cette chaleur humaine qui s’est perdue le 7 octobre ?

Ce jour-là, j’ai compris qu’il y avait un hiatus entre, d’un côté, les valeurs revendiquées par mes compagnons, celles de l’humanisme, du progrès social, de l’antiracisme, et, de l’autre, l’insensibilité que j’ai pu voir chez certains, à La France insoumise et au Nouveau Parti anticapitaliste. Ce dernier parti m’a particulièrement déçu, car c’est de lui que je me sentais le plus proche. Je n’analyse pas forcément cette indifférence comme de l’antisémitisme. Mais, à partir du moment où je constate une dissociation de la lutte contre le racisme et de la lutte contre l’antisémitisme, quelque chose dérape au fond de moi. J’ai besoin de cohérence. Au regard de nos valeurs humanistes, les victimes palestiniennes et les victimes israéliennes devraient susciter la même indignation.

Dans votre livre, vous essayez de vous tenir sur une ligne de crête, d’échapper aux manichéismes idéologiques. Vous-même, pourtant, n’avez pas toujours fait dans la nuance…

C’est vrai, mais il faut dire que j’avais une violence personnelle, liée à des traumas antérieurs, des violences au sein de ma famille… Cela a produit chez moi le besoin d’une radicalité, pas forcément dans les idées mais dans l’expression, par exemple quand je parlais de « racisme d’Etat » au tribunal ou dans les réunions publiques. Ces dernières années, j’ai fait un travail sur cette violence intime, grâce à une psychothérapie et à des rencontres. J’ai compris qu’on pouvait faire avancer les mêmes idées à travers le dialogue. Je suis sorti de l’adolescence.

La scène inaugurale de votre engagement à gauche, et aussi de votre livre, c’est donc l’émeute de Sarcelles, en juillet 2014. Ce jour-là, dites-vous, vos grands-parents « se cloîtraient chez eux, terrorisés ». Que s’est-il passé ?

Les magasins juifs ont été clairement visés, ils ont été pillés et brûlés comme tels, et, à un moment donné, certains émeutiers ont déboulé devant la synagogue, ils ont commencé à se confronter à de jeunes juifs. Heureusement, l’intervention des policiers a permis d’éviter des incidents plus graves.

Ces passages de votre livre font émerger un paradoxe : vous y évoquez des juifs isolés, apeurés, qui ne doivent leur salut qu’à la protection de cette police dont vous êtes l’un des détracteurs les plus sévères.

Dans le cadre de mon action militante contre les violences policières, j’ai parfois eu des expressions maladroites, qui ont pu crisper. Pourtant, je défends aussi des policiers, et je n’ai jamais repris les slogans du type « Tout le monde déteste la police ». Mon grand-père était policier, j’ai grandi avec l’image d’une police républicaine qui doit servir et protéger. Mais, en tant qu’avocat, j’ai constaté une pathologie de cette vocation. A un moment donné, soit parce que certaines instructions lui sont données, soit à cause de l’évolution politique, le corps policier peut connaître un dévoiement. Et cela me fait peur aussi.

Quand vous décrivez la peur qui frappe beaucoup de Français juifs, un autre paradoxe surgit : par ses déclarations équivoques, Jean-Luc Mélenchon, dont vous avez été l’avocat, est devenu l’un des visages de cette peur. Comment vivez-vous cela ?

Lors de la manifestation contre l’antisémitisme, le 12 novembre 2023, j’ai entendu des femmes et des hommes juifs dire : « Au moins, elle, elle était là. » Ils parlaient de Marine Le Pen, et cela m’a tordu le ventre. J’ai compris quelque chose de fondamental : l’un des facteurs politiques majeurs, c’est le ressenti. Il y a une explosion des actes antisémites, des juifs souffrent, il faut prendre ce fait en considération. Voilà pourquoi la décision de ne pas se rendre à cette manifestation a été une faute de la part de Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci, qui était un vrai laïcard, a beaucoup évolué.

La manifestation contre l’islamophobie, en novembre 2019, a été un tournant. Pour justifier sa décision d’aller à cette manif, il s’était appuyé sur le fait que j’avais appelé à y participer, au nom de la Ligue des droits de l’homme. A l’époque, on nous avait reproché de manifester avec les islamistes. Or, le 12 novembre, lors de la marche contre l’antisémitisme, Mélenchon a affirmé qu’il ne pouvait défiler avec l’extrême droite… Je n’aime pas trop l’expression « deux poids, deux mesures », mais là, on a quand même un très beau cas. Mon désarroi n’en a été que plus lourd.

Dans « Libération » du 23 mars, la présidente des Jeunes Socialistes, Emma Rafowicz, a, elle aussi, confié son désarroi, lié non seulement aux multiples attaques antisémites dont elle est la cible sur les réseaux, mais également au fait que ces attaques viennent en majorité de comptes « insoumis »…

Depuis le 7 octobre, c’est vrai, la parole antisémite émane plutôt, en termes de volume, des organisations de gauche. Il faut toutefois faire la différence entre l’antisémitisme et le soutien au peuple palestinien. Et il faut distinguer, au sein de l’antisionisme, entre la critique légitime de l’Etat d’Israël et la contestation de son existence même, donc la négation du droit à l’autodétermination pour le peuple juif. L’antisémitisme a toujours existé au sein de la lutte antisioniste. Mais l’antisionisme n’est pas exclusivement un antisémitisme.

Il reste que, derrière tout cela, il y a beaucoup de gens dont la colère est mal orientée. Et je pense qu’on ne peut pas tirer un trait sur eux. A un moment donné, il va falloir réparer les fractures de la gauche. En 2027, pour la première fois depuis Vichy, l’extrême droite peut arriver au pouvoir, et ce serait une terrible révolution antidémocratique. Il faut savoir désigner un adversaire prioritaire. Il y a plusieurs gauches, mais il y a un seul peuple de gauche. Nous avons trois ans pour nous retrouver.

Le 8 mars, lors de la Journée internationale des droits des femmes, le collectif « Nous vivrons », qui souhaitait faire entendre la voix des Israéliennes victimes de crimes sexuels, le 7 octobre, a dû être exfiltré de la manifestation parisienne. Comment expliquer cela ?

A l’origine, ce collectif avait été accepté par l’interorganisation du cortège. Mais, dès le départ, certains militants propalestiniens ont refusé le fonctionnement démocratique de la manifestation, au prétexte que ce collectif serait composé de « sionistes ». D’où cette situation : depuis #metoo, les féministes mettent en avant la présomption de vérité pour la parole des femmes victimes ; mais là, au motif que la dénonciation des violences sexuelles du 7 octobre peut être instrumentalisée par la propagande israélienne, certains groupes féministes contestent ce cri et exigent des preuves, alors que d’habitude ils n’en demandent pas. Or, il est parfaitement possible de critiquer l’instrumentalisation politique d’une parole sans remettre en question sa véracité. Evidemment, cela crée une dissonance, mais cela permet également d’échapper à la stratégie de « bloc », celle qui empêche d’entendre et de comprendre.

Vos camarades « décoloniaux » parviennent-ils encore à vous entendre, à vous comprendre ?

Le mouvement décolonial est très pluriel, il y a beaucoup de caricatures à son propos. Et puis j’espère que nos désaccords militants ne vont pas entraîner une rupture des liens. Et oui, il me reste des amis. Avec Taha Bouhafs [journaliste et militant], par exemple, on est au-delà du simple compagnonnage politique, on est presque devenu de la même famille. Comme dans une famille, on peut avoir des désaccords violents et se retrouver ensuite. Pendant toute cette période, on a essayé de s’épargner, je pense même que notre lien en sort renforcé. Récemment, on a découvert que le grand-père de Taha, qui appartenait au FLN, a été emprisonné dans le commissariat de Constantine… où mon grand-père était policier. Cela crée une résonance fascinante, qui nous a encore rapprochés. Taha a lu mon livre, il a aimé sa dimension biographique, mais il est en désaccord avec certaines de mes analyses.

Et vos parents, l’ont-ils lu ?

Pas à ma connaissance. Il leur est dédicacé, mais je ne le leur ai pas donné. C’est un peu compliqué. Ils m’ont souvent dit : « Un jour, tes amis se retourneront contre toi », et je comprends leur inquiétude. Mais je me suis toujours battu contre cette idée. Ce qui est en jeu, c’est non seulement l’honnêteté militante, mais aussi, plus largement, la nature humaine. J’ai foi en l’humanité, plus que jamais. J’espère ne pas être déçu.


Lire un extrait de « Juif, français, de gauche… dans le désordre »

sur le site des éditions La Découverte.


Arié Alimi : « Le sionisme n’est pas le cœur du judaïsme »

Emission « A l’air libre » sur Mediapart

Voir l’entretien d’Arié Alimi avec Edwy Plenel


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