Dans un billet de Blog Mediapart publié le 11 décembre 2024, Pierre Ruth et Charles Sadrac, membres fondateurs du Haut Conseil de Coopération et de Développement autour d’Haïti, soulignent la nécessité pour la France de reconnaître la dette historique qui est la sienne à l’égard d’Haïti.
En novembre 2024, Emmanuel Macron a reconnu le massacre de Thiaroye de 1944, perpétré par les forces coloniales françaises. Ce geste mémoriel soulève une question majeure : pourquoi d’autres injustices coloniales, comme la dette imposée à Haïti en 1825, freinant le développement de la première république noire, restent-elles ignorées ?
Une injustice historique sans précédent
Après avoir conquis son indépendance au prix d’une lutte acharnée contre l’oppression coloniale et l’esclavage, Haïti s’est vu contraint, en 1825, de payer une indemnité exorbitante à la France pour obtenir la reconnaissance de son statut d’État souverain. Cette dette, estimée à 150 millions de francs-or (équivalant à 21 milliards d’euros aujourd’hui, ou 150 milliards si on ajoute les intérêts), a été extorquée sous la menace d’un blocus militaire. Elle a plongé Haïti dans un cycle d’endettement et de dépendance qui a entravé son développement économique et social pendant plus d’un siècle.
Il est essentiel de rappeler que cette rançon n’a pas seulement privé Haïti de ses ressources financières. Elle a également envoyé un message brutal au monde : la liberté des peuples colonisés a un prix, et ce prix est payable à leurs anciens oppresseurs.
Une reconnaissance attendue
La reconnaissance de Thiaroye montre que la France est capable d’affronter son passé colonial et d’assumer ses responsabilités historiques. Pourquoi cette logique ne s’applique-t-elle pas à Haïti ?
Reconnaître la dette imposée à Haïti comme une injustice historique ne signifie pas seulement regarder en face une période sombre de notre histoire commune. Cela signifie également ouvrir la voie à des réparations symboliques et concrètes, comme la création d’un fonds de coopération pour le développement, la promotion des produits haïtiens, et l’appui à la jeunesse haïtienne dans sa quête de reconstruction nationale.
Une mémoire réparatrice, une justice constructive
La reconnaissance de la dette haïtienne, « la « rançon » payée jusqu’au début des années 1950 a empêché Haïti d’investir dans l’éducation, la santé et les infrastructures porteuses de développement » (Haïti-France Les chaînes de la dette – Le rapport Mackau (1825), Marcel Dorigny, Jean Marie Théodat, Gusti-Klara Gaillard, Jean Claude Bruffaerts, Editions Hémisphères, 2021), s’inscrit dans une démarche cohérente avec les engagements du président Macron. Il a affirmé à plusieurs reprises la nécessité de repenser les relations entre la France et les pays anciennement colonisés, en les fondant sur la vérité, la justice et la coopération.
Au-delà des réparations matérielles, cette reconnaissance serait un acte politique fort, envoyant un signal au monde entier : la France, consciente de son histoire, est prête à transformer les pages sombres de son passé en ponts pour un avenir plus juste.
Haïti, symbole d’espoir et de résilience
Haïti n’est pas seulement une victime de l’histoire. C’est aussi un symbole d’espoir et de résilience. En 1804, ce petit pays de 27000 k/m2, constitué en majorité d’anciennes personnes mises en esclavage, a défait la plus grande puissance coloniale de l’époque pour devenir la première république noire indépendante. Cet exploit, unique dans l’histoire mondiale, mérite d’être reconnu et célébré.
Aujourd’hui, Haïti continue de lutter pour surmonter les défis hérités de son passé colonial, aggravés par des crises politiques, économiques et climatiques. La reconnaissance de la dette ne changera pas immédiatement la réalité quotidienne des Haïtiens, mais elle posera les bases d’une relation franco-haïtienne renouvelée, fondée sur le respect et la solidarité.
Après Thiaroye, l’heure d’Haïti
Le massacre de Thiaroye et la dette haïtienne ne sont pas comparables dans leurs formes, mais ils partagent une origine commune : l’injustice coloniale. Après avoir reconnu Thiaroye, il est temps pour la France de franchir une nouvelle étape dans son dialogue avec son passé colonial et avec les peuples qui ont souffert de son empire.
La reconnaissance de « La rançon », (c’est aussi le titre d’une enquête du New York Times publiée en 2022), en tant qu’injustice historique n’est pas seulement une question de mémoire. C’est une question de justice. Une question d’honneur. Et une question de vérité.
Il appartient aujourd’hui aux dirigeants français, à la société civile, et à la communauté internationale de faire de cette reconnaissance une réalité. Haïti l’attend. Le monde entier regarde.
Signataires:
Ruth Pierre membre fondateur du Haut Conseil de Coopération et de Développement autour d’Haïti
Sadrac Charles membre fondateur du Haut Conseil de Coopération et de Développement autour d’Haïti et du mouvement AYITI CHANJE