Un salafiste algérien émet une « fatwa » contre Kamel Daoud
Un imam salafiste, Abdelfatah Hamadache, chef du parti non autorisée du Front de la Sahwa islamique salafiste algérienne, a émis mardi 16 décembre 2014, sur sa page Facebook une « fatwa » contre l’écrivain et chroniqueur Kamel Daoud, qualifié d’ennemi de l’islam et de la langue arabe, d’écrivain « sionisé » qui insulterait Allah et le Coran. Le Front de la Sahwa, écrit-il, « considère que si la charia islamique était appliquée en Algérie, le châtiment contre lui aurait été la mort pour apostasie et hérésie ». Hamadache appelle l’Etat algérien à exécuter l’écrivain en raison de sa « guerre ouverte » contre l’islam, le Coran et les valeurs sacrées de l’islam.
L’imam salafiste a l’habitude de lancer des dénonciations publiques contre des responsables qu’il juge hostiles à l’islam ou à la langue arabe. Il a initié une campagne contre la ministre de l’éducation, Nouria Benghebrit, accusée d’être membre du « parti de la France » et d’hostilité à la langue arabe. Ses prises de positions ne passent pas inaperçues car elles sont régulièrement relayées par le journal arabophone Echourouk, le plus fort tirage du pays. En juillet, il avait réagi aux déclarations du ministre des affaires religieuses, qui avait évoqué une réouverture des synagogues fermées dans les années 1990. Il avait alors dénoncé une « provocation contre 40 millions de musulmans en plein mois de ramadan ». C’est un « appel officiel aux juifs et aux chrétiens à diffuser leur croyance et à faire du prosélytisme de manière réglementaire et légale », s’était-il insurgé dans son journal.
« Université d’été »
Avec la « fatwa » contre Kamel Daoud, Hamadache dont les appels à manifester n’ont jamais eu de succès, a franchi une limite qui suscite de très vives réactions en Algérie. C’est une fatwa « émise pour me tuer », a déclaré Kamel Daoud qui compte porter plainte mercredi. « Quand ils peuvent tenir des universités d’été, quand ils peuvent être au-dessus de la loi, pourquoi ne pas appeler au meurtre maintenant », a fustigé Kamel Daoud, chroniqueur vedette du Quotidien d’Oran. L’auteur de Meursault, contre-enquête (Actes Sud, 160 p., 19 euros) nominé pour le Prix Goncourt, fait allusion à une information publiée ces derniers jours dans la presse algérienne sur la tenue d’une « université d’été » à la mi-août dans un maquis à Jijel par d’anciens éléments armés de l’Armée islamique du Salut (AIS) qui avaient pris les armes dans les années 1990.
Hamadache dit assumer son appel qui, selon lui, ne s’adresse pas « aux musulmans » mais à l’Etat d’appliquer la peine de mort contre l’écrivain. Sur les réseaux sociaux, les réactions sont virulentes. Une pétition condamnant des « appels au meurtre public » de Hamadache « salafiste algérien » a été rapidement lancée. Ses auteurs dénoncent la « démission de l’Etat algérien face aux aventuriers pseudo-religieux qui distillent la haine comme cela s’est passé à Ghardaïa et ailleurs ». Le texte condamne une dérive « prévisible » qui en appellera « d’autres dans un climat d’intolérance » et appelle les ministres de la justice et de l’intérieur à engager des « poursuites contre ces appels aux meurtres qui nous rappellent les pires moments de l’Algérie face au GIA ».
La chronique du blédard : Pour Kamel Daoud
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux), le jour où un écrivain algérien, vivant au pays ou ailleurs, pourra écrire ce qu’il veut sans craindre pour sa vie et sans que personne ne réclame sa mort en raison de ses prises de position. A l’heure actuelle, il n’est pas question d’entrer dans le débat de savoir si l’on est d’accord ou pas avec Kamel Daoud. Cela peut se faire, plus tard, chacun produisant ses écrits et confrontant ses arguments. Islam, Algérie, Palestine, identité : il faut laisser cela pour plus tard. L’urgence, ce qui importe, c’est d’abord et avant tout de refuser avec force que Kamel Daoud soit désigné d’un doigt criminel par quiconque et cela dans la plus totale des impunités. Un Etat de droit, un Etat moderne, un Etat juste, est celui qui protège, pas celui qui applique la loi de manière discrétionnaire.
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux), le jour où le journaliste, le cinéaste, l’artiste ou l’intellectuel pourront écrire, créer ou tout simplement s’exprimer à leur manière sans courir le risque du procès d’intention. Le jour où ils pourront produire librement selon leur inspiration, leur envie, leur credo. Et cela sans qu’ils aient à subir le soupçon ou à entendre l’insupportable ricanement vindicatif (et envieux ?) qui ne voit dans cette production qu’une damnation ou l’échange d’une âme et d’une conscience contre on ne sait quelle reconnaissance ou vile récompense.
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux) quand la parole du libre-penseur sera possible sans danger aucun. Comme celle de l’athée, de l’agnostique, du sceptique ou du simple croyant qui ne peut s’empêcher d’éprouver, et d’exprimer, des doutes. Ce jour-là, l’Algérie et les Algériens seront forts. Cela voudra dire qu’ils auront pris conscience d’eux-mêmes et qu’ils seront capables de tout regarder en face. De tout affronter, sans peur ni haine : leur passé, leurs démons identitaires, leurs tabous. Ce jour-là, cela voudra dire aussi que les croyants auront réalisé que le propos de celui qui ne croit pas, qui doute ou qui entend réformer au nom d’un vrai ijtihad (pas celui de la pensée répétitive et non renouvelée) n’est un danger pour personne et certainement pas pour l’islam. Car celui qui crie et tempête au moindre propos qui ne lui sied pas, celui qui en appelle lâchement à la punition et au sang, ne fait rien d’autre, en réalité, que d’offenser sa propre religion et son Dieu. C’est lui, et lui seul, qui n’a d’unique moyen que l’agitation outrancière pour se prouver à lui-même et aux autres qu’il croit et qu’il est dans la voie de rectitude.
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux) quand la spiritualité, le partage, la tolérance et la générosité auront remplacé la bigoterie et la religiosité ostentatoire, matérialiste et inquisitrice. Quand on se penchera sur le fond du message plutôt que sur la manière de croiser les bras au moment de la prière. Quand on affrontera les défis éthiques de ce siècle (que disent nos imprécateurs sur le transhumain ? Rien ou pas grand-chose…) au lieu de discourir pendant des heures sur le caractère licite ou non d’un bonbon importé d’Espagne ou de Chine. Quand les docteurs de la foi s’adresseront aux croyants en évitant de discourir en boucle sur le néfaste et l’interdit au lieu d’élargir sans cesse le seuil des possibles.
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux) quand son système éducatif produira enfin (de nouveau ?) de la raison, du rationalisme, des esprits cartésiens et du respect pour les idées d’autrui. La controverse, le débat, la dispute, le ton qui monte, les fâcheries, les ruptures, les réconciliations qui suivent (ou pas) et même les pamphlets, tout cela est sain et nécessaire. Mais ni l’unanimisme hypocrite ni l’imprécation menaçante ne sont acceptables sachant que personne n’a le droit, pas même un imam autoproclamé, de s’immiscer entre l’individu et son Créateur. Acceptons que l’autre, le voisin, le frère, le rival, soit d’un autre avis. Idée contre idée, argument contre argument, joute contre joute, telle est la règle du jeu au sein d’un peuple civilisé.
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux) quand le pouvoir algérien cessera d’instrumentaliser la religion pour mettre au pas ceux qui n’ont pas l’heur de lui plaire ou qui refusent de courber l’échine devant lui. Il faut le dire et le répéter : un individu qui en appelle publiquement à la mort d’un écrivain doit être poursuivi par l’Etat et cela même si le principal concerné ne porte pas plainte. C’est à la puissance publique de faire respecter la loi et il n’y a pas de nuance à avancer ou de raisonnement spécieux ou tortueux à tenir en pareil cas. Si l’Etat algérien ne poursuit pas celui qui a appelé à la mort de Kamel Daoud, c’est qu’il se satisfait de cette situation. Pourquoi ? Pour le faire taire ? Pour lui envoyer un message ? Pour l’inciter à quitter le pays ? Pour lui dire « tu peux écrire ce que tu veux en Algérie mais attention à ce que tu dis en France » ? Pour faire oublier la chute des cours du pétrole et occulter le fait que l’heure d’un douloureux bilan est proche ?
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux) quand ce ne seront plus les intellectuels qui auront peur mais ceux qui ont volé ou triché et que rien ne semble atteindre. Quand les religieux qui monopolisent la parole en public s’indigneront de l’impunité des détenteurs de biens mal-acquis à Neuilly, Dubaï ou Genève plutôt que de vouer à la vindicte populaire un écrivain esseulé dont la seule richesse provient de son travail et de l’huile de coude qu’il aura dépensée.
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux) quand un citoyen au cœur d’une controverse ne sera plus attaqué en raison de la présence de certains signataires opportunistes dans une pétition en sa faveur. Si quelques fripouilles notoires qui pullulent dans le marigot germanopratin en ont signé une qui défendait Kamel Daoud, ce n’est pas parce que son sort leur importe mais parce que c’est tout simplement l’occasion pour elles de briller en utilisant sa déveine comme marchepied. En réalité, elles n’ont que faire de ses déboires et l’on peut même penser que certains professionnels de l’indignation aimeraient bien que sa situation se complique encore plus pour pouvoir continuer de s’agiter sous les spots de cette actualité-spectacle ô combien parisienne.
On dira que l’Algérie va bien (ou mieux) quand il n’y aura plus besoin d’écrire ce genre de texte. En attendant, le présent chroniqueur renouvelle tout son soutien à Kamel Daoud dans cette lamentable affaire.
Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 décembre 2014
Paris