Communiqué LDH
Paris, le 3 décembre 2014
Palestine-Israël : un pas dans la bonne direction
Le vote par l’Assemblée nationale française, à une large majorité, d’une résolution demandant au gouvernement de reconnaître un Etat palestinien dans les frontières de 1967, ayant Jérusalem comme capitale partagée avec Israël, est un pas dans la bonne direction.
La situation actuelle ne peut en effet durer tant elle conduit à l’affrontement permanent et à un véritable déni de vie au préjudice du peuple palestinien.
La LDH demande au gouvernement de respecter le vœu des députés et de mettre en œuvre sans délai la recommandation qui lui est ainsi adressée.
Rony Brauman : « La reconnaissance de la Palestine arrive vingt ans trop tard »
Les députés ont adopté, mardi 2 décembre, sans le soutien de l’opposition, une résolution socialiste sur la reconnaissance de l’Etat palestinien. Un texte non contraignant pour le gouvernement, mais qui a une portée hautement symbolique.
L’ancien président de Médecins sans frontières (MSF) Rony Brauman, auteur récemment de Pour les Palestiniens (éd. Autrement, septembre 2014), salue l’initiative des députés français. Mais il la juge malheureusement dépassée.
- Le vote du parlement français en faveur de la reconnaissance de l’Etat de Palestine va-??t-??il changer quelque chose ?
Cette reconnaissance est à la fois souhaitable et dépassée. Souhaitable car elle contribue à conférer une légitimité politique, celle d’une dignité étatique, aux Palestiniens qui se battent depuis longtemps pour cela. Il est bon que l’Europe admette à son tour l’existence d’un Etat qui a déjà été reconnu par les deux tiers des pays du monde. Il est délirant de la part des Israéliens de critiquer une telle initiative. Leur négociation avec les Palestiniens se limite aux frontières, à Jérusalem, au sort des réfugiés et à la colonisation. Ce n’est pas à eux, mais à la communauté internationale, de reconnaître un Etat palestinien.
Mais cet objectif me paraît par ailleurs dépassé. Car les Israéliens n’ont jamais cessé de coloniser la Cisjordanie. Ce territoire, qui devait permettre à deux Etats de cohabiter en paix, a été presque entièrement avalé par tous les gouvernements israéliens successifs, à l’exception de celui de Yitzhak Rabin qui d’ailleurs en est mort. Il n’y a plus aujourd’hui d’espace viable pour un tel Etat.
On est face à une situation tragique : cette initiative à laquelle on ne peut qu’adhérer arrive avec vingt ans de retard.
- Si la solution à deux Etats n’est plus possible, quelle est l’alternative ?
L’alternative, c’est une sorte de statu quo intenable. C’est un Etat binational d’apartheid. Les populations qui vivent sur le territoire de l’ancienne Palestine mandataire sont soumise à l’autorité politique, juridique, policière de la seule Israël qui n’a accordé aux Palestiniens qu’une sorte de délégation de pouvoir municipal.
Les Israéliens disposent de tous les droits d’un Etat démocratique alors que les Palestiniens n’en ont aucun, puisqu’ils continuent de vivre, du moins en Cisjordanie, sous la loi martiale. Cette situation d’apartheid est insupportable pour ceux qui en sont les victimes. Elle provoque de profondes tensions aussi bien en Israël que dans son environnement immédiat et lointain, à cause de l’inconfort moral, des dissonances cognitives qu’elle suscite.
En raison de ces différents facteurs, on va aller vers un dépassement de cette situation et déboucher sur une sorte de fédération ou de confédération. Ce n’est pas à moi de dire quelle forme cette entité prendra. Je constate seulement qu’un nombre croissant d’Israéliens et de Palestiniens se situent dans une perspective post-??nationaliste. J’espère seulement que l’on parviendra à une telle solution par des voies pacifiques et pas au prix d’une guerre civile.
La Palestine, c’est quoi ?
De quoi la Palestine est-??elle le nom ? De la dépossession, d’abord. Entre les deux guerres mondiales, on a « vendu » aux Juifs de la diaspora, en proie à l’antisémitisme et en quête d’un Etat, « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Sauf qu’il y avait un peuple : celui des Palestiniens. Dont l’identité nationale n’était certes pas affirmée à 100 %. Le mandat britannique (1920?1948) et l’immigration juive vont ancrer, galvaniser, cette identité que seuls quelques extrémistes osent encore nier.
D’exil forcé en défaites militaires arabes, les Palestiniens, sous l’égide de l’Organisation de libération de la Palestine, ont finalement accepté en 1988 de ne réclamer, pour bâtir leur Etat, que 22 % de la Palestine historique, à savoir les territoires conquis par Israël en 1967 (Jérusalem-??Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza). Mais face à la toute-??puissance militaire et économique d’Israël, conforté par le soutien des Etats-??Unis et la bienveillance de l’Europe, les Palestiniens en sont réduits, depuis 1991, à négocier ce qu’ils pourraient sauver de ces 22 %. Car Israël, pour des raisons dites de sécurité, mais souvent aussi religieuses, n’entend céder que le minimum dans tous les dossiers, comme le retour des réfugiés (c’est un « niet » israélien total, mais le droit international dit autre chose), le partage de Jérusalem (idem) ou les colonies (illégales, elles grignotent et rongent les territoires occupés, rendant l’émergence d’un Etat palestinien quasiment impossible à l’heure actuelle).
Malgré la radicalisation d’une partie non négligeable du public palestinien, frustré, qui entend des sirènes islamistes parfois extrémistes, l’ensemble de la planète Terre s’est résolu, au XXIe siècle, à soutenir la création d’un Etat palestinien. Avec l’injustice fondamentale du sort des Palestiniens, de plus en plus difficile à cacher, les excès israéliens sont largement responsables de cette prise de conscience : des interventions armées aux moyens disproportionnés ont choqué le monde au Liban en 1982, face aux intifadas (révoltes) des populations occupées (celle de 1987 et celle de 2000), puis à Gaza, en 2008 et 2014.
En l’absence de pressions dignes de ce nom sur l’occupant israélien, la question palestinienne continuera longtemps encore à hanter les esprits.