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Édition du 1er au 15 décembre 2024
L'enterrement de Maria Francesca a eu lieu le 5 janvier 2015 (Sipa)

Le refus d’un maire d’inhumer un bébé rom

Christian Leclerc, maire divers droite de Champlan (Essonne), a refusé, « sans aucune explication », d'autoriser l'inhumation au cimetière de la commune d'un bébé rom mort le lendemain de Noël. L’affaire a soulevé un vent d’indignation générale. La famille, arrivée voici huit ans en France, vit dans un bidonville, en marge du village, à deux pas des pistes de l’aéroport d’Orly. M. Leclerc aurait prétexté que la mort du bébé aurait été déclarée hors de sa commune et justifié son refus par un manque de « places disponibles » : « priorité est donnée à ceux qui paient des impôts locaux », a-t-il jouté. La polémique aura rappelé l’ampleur des discriminations auxquelles doivent faire face les Roms. En juillet 2013, le maire de Cholet (Maine-et-Loire), Gilles Bourdouleix, avait déclaré à propos des gens du voyage : « Hitler n’en a peut-être pas tué assez. » Il a été condamné pour « apologie de crime contre l’humanité ». En décembre 2013, le maire de Roquebrune-sur-Argens (Var), Luc Jousse, a regretté, au cours d’une réunion publique, que les pompiers aient été prévenus « trop tôt » lors de l’incendie d’un camp rom.
L'enterrement de Maria Francesca a eu lieu le 5 janvier 2015 (Sipa)
L’enterrement de Maria Francesca a eu lieu le 5 janvier 2015 (Sipa)

Communiqué LDH

Paris, le 5 janvier 2015

Bébé rom : jusqu’où ira l’exclusion ?

En 2012, le Conseil d’Etat a instauré le droit à l’hébergement comme liberté fondamentale. Deux ans plus tard, il n’y a jamais eu, en France, autant de personnes sans domicile, n’ayant pour dormir qu’un hébergement précaire, voire pas d’hébergement du tout. Qu’ils soient SDF de longue date, travailleurs précaires, ou mineurs isolés étrangers, le 115 ou les gymnases ouverts en toute hâte peinent à les accueillir.

En dépit de la circulaire du 26 août 2012 qui stipule que toute évacuation d’un camp ou d’un bidonville doit donner lieu à un relogement et à un accompagnement social, des milliers de Roms continuent, eux aussi, de vivre dans la rue ou dans des conditions indignes, installés sur des terrains insalubres, en butte à d’infinies difficultés pour accéder aux soins et pour scolariser leurs enfants.

Les parents de Francesca, en France depuis plus huit ans, sont de ceux-là. Leur fille de 3 mois a succombé à la mort subite du nourrisson, dans la nuit du 25 au 26 décembre, dans un bidonville sans eau, sans électricité, sans chauffage.

La mort d’un bébé est toujours un drame. Lorsqu’elle survient dans de telles conditions, elle est d’abord révélatrice de l’exclusion dont sont victimes les Roms. Pourtant, en refusant que l’enfant soit inhumée près du lieu où ses parents sont installés, dans la commune où ses frères vont à l’école, le maire de Champlan a franchi un pas supplémentaire dans l’abject. Déjà interdits de séjour dans certaines communes, les Roms vont-ils maintenant y être aussi interdits de sépulture ? Une telle décision ne peut que provoquer la colère, et la question même heurte profondément toutes les valeurs auxquelles nous sommes attachés.

La condition humaine 1

Le ciel est si triste qu’un canard s’y pendrait… l’air est froid et humide. A 150 m dans ce confins de l’aéroport, toutes les 3 minutes, dans un long bruit assourdissant, les avions atterrissent et freinent, réacteurs en contre poussée. Déjà, quelques signes : paraboles, caméras et appareils photos en batterie, journalistes au calepin en bataille.

C’est ici qu’une très jeune enfant, la jeune Maria Francesca Ruset, née en France le 14 octobre et décédée dans la nuit du 25 au 26 décembre 2014, va être inhumée. Pour être plus précis, je devrais dire une très jeune enfant « Roms » pour décrire la situation. Rom : tout est dit. La lie de la société, le ban, la menace. Sa famille – présente en France depuis 8 ans – habite un bidonville à Champlan. Le maire de cette ville a tenté d’empêcher son enterrement dans le cimetière communal. C’est donc dans la ville d’à côté, Wissous, que cet enterrement est organisé ce matin. C’est là que j’ai décidé d’être présent, comme élu, avec mon écharpe tricolore.

Le Maire de Champlan a un nom : Christian Leclerc. La presse de ce matin retrace bien, malgré ses dénégations et sa réécriture de « dysfonctionnements qu’il assume en tant que Maire… », ce qu’il s’est autorisé : fouler au pied la douleur d’une famille, continuer la relégation, la stigmatisation, jusqu’au non respect des morts. Dénuant jusqu’à ce point ultime à cette population la parcelle d’humanité.

Longue attente du corbillard. Les militants du soutien au quotidien des familles Roms sont là. Je sais qu’il assure le front au jour le jour de la solidarité, de la lutte contre les maires et l’état expulseurs. L’état dont l’unique politique est la diffraction de mois en mois des camps installés qui se reforment aussitôt ailleurs. J’ai le souvenir d’avoir vécu, pour le camp d’Ormoy, la pire manifestation de ma vie, appelée il y a deux ans par les maires des communes du sud de Corbeil-Essonnes. Un camp protégé par les gendarmes, les élus en soutien à peine physiquement respectés. Le président du collectif Rom Essonne au bord d’être battu. La lutte avec les mots, pied à pied…

Ces militants me remercient d’être là et m’assurent que c’est important. A vrai dire, seuls quelques élus ont fait le déplacement.

Que dire, qui suis-je pour être là avec mon écharpe tricolore, représentant un parti, des militants, fragment de chair et d’os d’une république qui n’aurait pas abdiqué de ses valeurs fondatrices. Témoin d’une nouvelle digue qui cède. A la presse, quelques mots sobre : parce que nous sommes humains, je viens témoigner de la compassion à la famille. Dire que la république ce n’est pas cela.

Dire que, trop c’est trop, une nouvelle étape a été franchie. Se demander quelles sont les abdications successives des autorités qui légitiment un maire (ayant reçu la légion d’honneur) a entrer à ce niveau d’un mécanisme d’exclusion : celui qui conduit à ne pas respecter le tabou de la mort d’un enfant.

Me reviennent le discours de Grenoble, l’identité nationale manipulée, un groupe humain stigmatisé. Me reviennent aussi les propos d’un premier ministre (qui se refait ce matin par un tweet une virginité à bon compte) qui classe les Roms en tant que groupe « inassimilables ».

Le corbillard arrive. Les cris de la mère déchirent l’air. Ils sont une trentaine, ces Roms. Ils sont identifiables : les habits de la pauvreté et du froid, la longue fatigue dans le regard de ceux pour qui le quotidien est survie. Les enfants pleurent à tour de rôle. « Viens jusqu’à la mise en terre » me disent les militants, il faut témoigner par ta présence.

Echarpe tricolore devant la douleur. Petit cercueil blanc posé dans la fosse. Roses dérisoires jetées sur le cercueil par la cinquantaine de personnes présentes. Dans un car délabré, les familles repartent

France 3 est là. Nous avons fait le choix de ne pas faire de « politique », disent-ils. Pas d’interview. C’est pourtant bien le cœur de la « vie de la cité » qui est en cause aujourd’hui.

Ce soir sur Champlan, le froid est glacial. C’est au chaud que j’écris.

Cimetière de Wissous, le 5 janvier 2015

Jacques Picard

Conseiller régional EELV d’Île-de-France

Corbeil-Essonnes

  1. Mediapart, le 06 janvier 2015 : http://blogs.mediapart.fr/blog/jacques-picard/060115/cimetiere-de-wissous-lundi-matin-la-condition-humaine#comment-5788783.
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