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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Appel à la suppression du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration

Au nom des « idéaux universalistes qui sont au fondement de notre République», une vingtaine de chercheurs ont lancé le 4 décembre 2009 un appel demandant la suppression de ce ministère, symbole d'une politique qui « met en danger la démocratie». Le site Mediapart avec plusieurs dizaines de personnalités avait lancé le 2 décembre un appel à refuser le “grand débat sur l'identité nationale” organisé par le pouvoir. La LDH est signataire de cet appel : elle souhaite qu'il soit à l’origine d’une grande pétition citoyenne qui suscite un vaste rassemblement.
[Mise en ligne le 4 décembre 2009, mise à jour le 16 février 2010]

Appel 1

4 décembre 2009

«Nous exigeons la suppression du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration»

Promesse électorale de Nicolas Sarkozy, la création d’un ministère chargé de l’Immigration et de « l’Identité nationale » a introduit dans notre pays un risque d’enfermement identitaire et d’exclusion dont on mesure, chaque jour depuis deux ans et demi, la profonde gravité. Très officiellement, des mots ont été introduits sur la scène publique, qui désignent et stigmatisent l’étranger – et par ricochet, quiconque a l’air étranger. Réfugiés et migrants, notamment originaires de Méditerranée et d’Afrique, et leurs descendants, sont séparés d’un «nous» national pas seulement imaginaire puisque ses frontières se redessinent sur les plans matériel, administratif et idéologique.

Qu’a fait naître ce ministère? De nouveaux objectifs d’expulsion d’étrangers (27 000 par an), des rafles de sans-papiers, l’enfermement d’enfants dans des centres de rétention, le délit de solidarité, l’expulsion des exilés vers certains pays en guerre au mépris du droit d’asile, la multiplication des contrôles d’identité au faciès, enfin la naturalisation à la carte, préfecture par préfecture, qui rompt avec le principe d’égalité…

Dans cette fissure de la République se sont engouffrés nos dirigeants. Par des propos inadmissibles dans une démocratie, banalisés et désormais quotidiens, ils légitiment tous les comportements et les paroles de rejet, de violence, et de repli sur soi. Nous ne sommes pas ici face à des « dérapages » individuels. En réalité, ces propos sont la conséquence logique d’une politique que le gouvernement souhaite encore amplifier sous le couvert d’un « débat » sur l’identité nationale. Nous sommes ainsi appelés à devenir coauteurs et coresponsables du contrôle identitaire sur la France.

La circulaire ministérielle adressée aux préfectures pour encadrer le débat lance une interrogation : « Pourquoi la question de l’identité nationale génère-t-elle un malaise chez certains intellectuels, sociologues ou historiens ? » La réponse est simple. Nous ne pouvons pas accepter que le regard inquisiteur d’un pouvoir identitaire puisse planer, en s’autorisant de nous, sur la vie et les gestes de chacun.

C’est pourquoi il est temps aujourd’hui de réaffirmer publiquement, contre ce rapt nationaliste de l’idée de nation, les idéaux universalistes qui sont au fondement de notre République.

Nous appelons donc les habitants, les associations, les partis et les candidats aux futures élections à exiger avec nous la suppression de ce « ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration », car il met en danger la démocratie.

Signataires :

Michel Agier (anthropologue, EHESS et IRD)

Etienne Balibar (philosophe, université Paris-X et university of California)

Marie-Claude Blanc-Chaléard (historienne, université Paris-X)

Luc Boltanski (sociologue, EHESS)

Marcel Detienne (historien, EPHE et université Johns Hopkins)

Eric Fassin (sociologue, ENS)

Michel Feher (philosophe, Paris)

Françoise Héritier (anthropologue, Collège de France)

Daniel Kunth (astrophysicien, CNRS)

Laurent Mucchielli (sociologue, CNRS)

Pap Ndiaye (historien, EHESS)

Gérard Noiriel (historien, EHESS)

Mathieu Potte-Bonneville (philosophe, Collège international de philosophie)

Richard Rechtman (psychiatre, Institut Marcel Rivière, CHS la Verrière)

Serge Slama (juriste, université d’Evry)

Emmanuel Terray (anthropologue, EHESS)

Tzvetan Todorov (historien, CNRS)

Paul Virilio (urbaniste, Ecole spéciale d’architecture de Paris)

Sophie Wahnich (historienne, CNRS)

Patrick Weil (historien, CNRS)

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Appel 2

2 décembre 2009

Nous ne débattrons pas

Par principe, nous sommes favorables au débat. A sa liberté, à sa pluralité, à son utilité. C’est pourquoi nous refusons le « grand débat sur l’identité nationale » organisé par le pouvoir : parce qu’il n’est ni libre, ni pluraliste, ni utile.

Il n’est pas libre car c’est le gouvernement qui le met en scène, qui pose les questions et qui contrôle les réponses. Il n’est pas pluraliste car sa formulation réduit d’emblée notre diversité nationale à une identité unique. Il n’est pas utile car cette manœuvre de diversion est une machine de division entre les Français et de stigmatisation envers les étrangers.

Affaire publique, la nation ne relève pas de l’identité, affaire privée. Accepter que l’Etat entende définir à notre place ce qui nous appartient, dans la variété de nos itinéraires, de nos expériences et de nos appartenances, c’est ouvrir la porte à l’arbitraire, à l’autoritarisme et à la soumission.

La République n’a pas d’identité assignée, figée et fermée, mais des principes politiques, vivants et ouverts. C’est parce que nous entendons les défendre que nous refusons un débat qui les discrédite. Nous ne tomberons pas dans ce piège tant nous avons mieux à faire : promouvoir une France de la liberté des opinions, de l’égalité des droits et de la fraternité des peuples.

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Souhaitant que cet appel suscite un vaste rassemblement, Mediapart propose de le signer en ligne : http://www.mediapart.fr/node/69735#petition.

Communiqué du collectif pour la suppression du ministère de l’identité nationale

Le 8 février 2010

Le « grand débat » sur l’identité nationale s’achève enfin. Pour avoir d’emblée dénoncé les dangers inhérents à sa logique identitaire, qui n’est autre que la traduction idéologique de la politique d’immigration menée par ce gouvernement, nous ne pouvons prétendre être déçus : le débat aura malheureusement été à la hauteur exacte de nos attentes. Les « dérapages »
verbaux n’en sont pas. Ils ne font qu’expliciter crûment la logique implicite d’une politique définie au plus haut niveau de l’État. C’est ainsi que le président de la République opposait dans une tribune publiée dans Le Monde du 9 décembre « ceux qui arrivent » à « ceux qui accueillent », soit l’islam à la France « où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale ».

Chacun l’avait compris, ce débat n’en était pas un : aussi a-t-il été organisé dans les préfectures. C’était confondre délibérément la démocratie avec l’administration. Du moins la politique d’identité nationale aura-t-elle réussi à faire l’union nationale à ses dépens. La plupart de nos concitoyens se sont montrés plus éclairés que la majorité de nos dirigeants : on ne peut que se réjouir de cette conscience démocratique. Elle vient démentir la démagogie
d’un gouvernement qui tentait d’opposer les intellectuels au peuple, en invitant les Français à s’interroger avec lui : « pourquoi la question de l’identité nationale génère-t-elle un malaise chez certains intellectuels, sociologues ou historiens ? » Aujourd’hui, la réponse est claire : plus de 40 000 signatures sont rapidement venues appuyer notre appel pour la suppression du
ministère de l’identité nationale et de l’immigration, et ce sont déjà 30% des Français qui soutiennent cette démarche (d’après un sondage publié fin janvier).

Pourtant, le séminaire interministériel qui s’est tenu aujourd’hui propose, dans l’espoir de masquer l’échec de cette initiative, de lui donner un prolongement en créant une commission comprenant des historiens et des intellectuels pour « approfondir le débat ». Le travail des chercheurs n’a pas vocation à légitimer une politique illégitime. S’il est une leçon que nous retenons de l’histoire, c’est bien qu’on ne joue pas impunément avec les passions identitaires.
Nous refusons donc de collaborer avec une politique dangereuse pour ce pays, et nous invitons nos collègues à refuser comme nous d’apporter leur caution aux dérives actuelles.

Nous continuons d’appeler à la suppression du ministère de l’identité nationale et de l’immigration, qui donne une forme institutionnelle à cette régression démocratique.

Contacts :

Michel Agier : 06 76 04 87 33

Éric Fassin : 06 84 18 11 31

Gérard Noiriel : 06 86 04 98 93

Pap Ndiaye : 06 09 13 74 50

Site (notamment pour signer l’appel) :

http://www.pourlasuppressionduministeredelidentitenationale.org/l-appel

  1. L’appel a été publié dans Libération le 4 décembre 2009.
  2. Appel lancé le 2 décembre 2009 par le site Mediapart avec plusieurs dizaines de signatures de personnalités : http://www.mediapart.fr/journal/france/021209/lappel-de-mediapart-nous-ne-debattrons-pas.
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