Communiqué d’Amnesty international
Il faut protéger les Roms contre les expulsions forcées
Les autorités françaises doivent immédiatement mettre fin aux expulsions forcées qui touchent plusieurs milliers de migrants roms chaque année dans le pays, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public jeudi 29 novembre.
Intitulé Chassés de toutes parts : les expulsions forcées de Roms en Île-de-France, ce rapport porte principalement sur la périphérie de Paris. Il décrit les conséquences négatives des expulsions forcées sur la vie des migrants roms et dénonce le manque de détermination des autorités françaises à traduire dans le droit national les normes internationales relatives aux expulsions.
« Le nouveau gouvernement français a pris certaines mesures encourageantes concernant la situation des Roms, a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. Cependant, si l’on note une amélioration au niveau de l’approche et du discours par rapport aux années précédentes où les Roms étaient souvent stigmatisés par les autorités, la pratique des expulsions forcées se poursuit au même rythme alarmant. »
« La France n’a pas intégré dans son système juridique national les normes internationales relatives aux droits humains qui s’opposent aux expulsions forcées. Aussi les Roms sont-ils expulsés des campements informels où ils vivent généralement sans être dûment informés, consultés ni avertis au préalable.
« Dans la plupart des cas, aucune solution de relogement n’est proposée et des familles entières se retrouvent à la rue. Elles n’ont d’autre choix que de se réinstaller dans un autre camp informel, sur un autre site, et les soins médicaux et la scolarisation sont interrompus. »
La plupart des quelque 15 000 migrants roms qui vivent en France viennent de Roumanie et certains de Bulgarie. Presque tous fuient la misère chronique et la discrimination qu’ils subissent dans leur pays d’origine.
En tant que citoyens non français de l’Union européenne (UE), ils n’ont pas le droit, aux termes du droit français, de séjourner plus de trois mois dans le pays, sauf s’ils ont un emploi ou peuvent prouver qu’ils disposent de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins.
Toutefois, en tant que citoyens de l’UE, s’ils sont expulsés, ils sont libres de revenir en France, et beaucoup l’ont fait à plusieurs reprises.
Sur le territoire français, on déplore une pénurie chronique de logements et d’hébergements d’urgence pour tous ceux qui en ont besoin, mais les Roms, victimes de préjugés et de discriminations, en France comme partout ailleurs en Europe, sont particulièrement vulnérables aux violations de leur droit à un logement convenable, garanti par les textes internationaux.
En l’absence d’autres solutions, de nombreux Roms vivent dans des campements informels pendant des mois, voire des années, dans des conditions très difficiles, dans la peur permanente d’être expulsés de force, et finissant bien souvent par l’être, sans avoir été consultés, informés ni avisés au préalable. Dans la pratique, bien mince est leur possibilité de contester l’expulsion devant les tribunaux.
Il est très rare que des Roms expulsés se voient proposer des solutions de logement à long terme ; ils doivent même se battre pour être admis dans des structures d’accueil d’urgence ou bénéficier d’autres dispositifs d’aide, qui leur permettraient d’avoir un logement sûr.
Les campements et les squats où se sont rendus les délégués d’Amnesty International varient au niveau de la taille et des services existants, mais ont tous en commun les risques très élevés pour la santé de leurs habitants : en effet il n’y a pas – ou rarement – d’eau courante, de sanitaires, de collecte des déchets, et ils sont bien souvent infestés par les rats. Loin de régler ces problèmes, les expulsions forcées à répétition les exacerbent.
« Les expulsions forcées à répétition ont des conséquences désastreuses sur la santé des Roms, leur éducation et la possibilité pour eux d’atteindre un niveau de vie suffisant. Délogés d’un site à l’autre, ils finissent par se retrouver dans des conditions de plus en plus misérables, contraints de dormir dans la rue ou sous des tentes, jusqu’à ce qu’ils puissent construire un nouvel abri de fortune, a expliqué John Dalhuisen.
« Au cours des expulsions, ils perdent fréquemment leurs affaires, leurs papiers d’identité et leurs dossiers médicaux. Dans de nombreux cas, la scolarité est perturbée, les traitements médicaux interrompus, et les liens avec les réseaux locaux d’emploi et de soutien sont coupés. Cependant, le droit français ne prévoit pas de réparations appropriées. »
En août 2012, le gouvernement français a diffusé une circulaire précisant les meilleures pratiques relatives aux mesures à prendre avant et durant les expulsions. Ces lignes directrices sont facultatives et appliquées de manière incohérente. En aucun cas elles ne sont destinées à mettre un terme aux expulsions forcées.
Le gouvernement a entamé une consultation avec les organisations non gouvernementales (ONG), dont Amnesty International, afin de préparer son plan national en matière d’accès au logement et à l’hébergement d’urgence pour tous ceux qui en ont besoin.
Cependant, malgré des initiatives positives dans certains départements, les expulsions forcées se poursuivent dans tout le pays, en violation des obligations qui incombent à la France en vertu du droit international.
« En effet, aux termes du droit international, la France est tenue de garantir le droit à un logement convenable, sans discrimination, et d’empêcher les expulsions forcées. Aussi les autorités françaises doivent-elles y mettre un terme sans délai, et faire en sorte que tous les habitants des camps informels jouissent des garanties internationales relatives aux droits humains », a conclu John Dalhuisen.
Exemples de cas
Constantin, 39 ans, vit en France depuis 20 ans ; il a été expulsé en moyenne deux fois par an et renvoyé en Roumanie à trois reprises. Il vivait depuis 18 mois avec son épouse et leurs deux enfants dans un campement informel à La Courneuve. Les délégués d’Amnesty International l’ont rencontré le 21 septembre, trois jours après qu’un huissier lui eut donné l’ordre de quitter les lieux sur-le-champ. D’après Constantin, il n’a en aucune façon été consulté.
« C’est très dur de déménager sans cesse. Nous ne pouvons même pas rester un petit peu. Dès que j’apprends que je dois partir, cela me fait mal au cœur », a confié Maria, femme rom qui vit dans un entrepôt à Sucy-en-Brie.
Carmen, 27 ans, a un fils de huit ans et une fillette de quatre ans. Elle vivait dans une cabane de fortune à Villeneuve-le-Roi avant d’être expulsée de force, le 11 septembre 2012. Elle s’est vue proposer deux nuits d’hébergement d’urgence dans un hôtel. La police ne l’a pas autorisée à récupérer ses affaires durant l’expulsion et elle a dû marcher plusieurs heures avec enfants et bagages avant d’arriver à l’hôtel, qui se trouvait à plusieurs kilomètres de la gare la plus proche. Elle n’y est restée qu’une seule nuit, en raison de l’éloignement de son lieu de vie. Lorsque les délégués d’Amnesty International l’ont rencontrée le 22 septembre, elle s’était installée sous une petite tente pour deux personnes, avec son mari et ses deux enfants, dans un campement informel de Champs-sur-Marne. Il n’y avait ni eau ni toilettes, et aucun des enfants n’était inscrit à l’école. Le 16 octobre, un huissier est venu remettre aux habitants de ce site une sommation à comparaître, au sujet de leur expulsion. L’audience était fixée au 27 novembre devant le tribunal de grande instance de Meaux.
Le 29 novembre 2012