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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

« Allons enfants de la Guyane »,
par Hélène Ferrarini

Journaliste à Guyaweb, Hélène Ferrarini publie, aux éditions Anacharsis, Allons enfants de la Guyane. Éduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République. Un livre qui, selon Mediapart, documente « grâce à de nombreuses archives et témoignages ce qui constitue l’un des plus grands traumatismes contemporains des familles amérindiennes de Guyane, mais qui demeure pourtant l’un des plus grands tabous de la société guyanaise, de l’État français et de l’Église catholique en France ». On trouvera ci-dessous l'article de Marion Briswalter, de Guyaweb, la critique de Zoé Courtois dans Le Monde et l'accès à des extraits et à l'introduction de ce livre.

Comment la France et l’Église catholique ont « éduqué »
de force deux mille enfants améridiens de Guyane



« Allons enfants de la Guyane. Éduquer, évangéliser, coloniser les Améridiens dans la République », Hélène Ferrarini, 2022, Éd. Anacharsis, 288 p., 16 €.
« Allons enfants de la Guyane. Éduquer, évangéliser, coloniser les Améridiens dans la République », Hélène Ferrarini, 2022, Éd. Anacharsis, 288 p., 16 €.


Main dans la main, prêtres, religieuses et administration ont mené une entreprise ethnocidaire en Guyane, afin d’évangéliser et d’assimiler les Amérindiens dans des pensionnats catholiques, documente la journaliste Hélène Ferrarini dans un livre qui vient de paraître.

par Marion Briswalter, (Guyaweb), publié par Mediapart le 10 octobre 2022.
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Pour la première fois, un ouvrage complet documente le dispositif d’évangélisation des enfants amérindiens en Guyane, pendant un siècle, par les institutions religieuses et l’administration française par le biais des pensionnats religieux.

Cet ouvrage bouleversant, signé de notre consœur Hélène Ferrarini, journaliste à Guyaweb, vient de paraître aux éditions Anacharsis. L’enquête, intitulée Allons enfants de la Guyane. Éduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République, documente grâce à de nombreuses archives et témoignages ce qui constitue l’un des plus grands traumatismes contemporains des familles amérindiennes de Guyane, mais qui demeure pourtant l’un des plus grands tabous de la société guyanaise, de l’État français et de l’Église catholique en France.

Ce travail de plusieurs années a été rendu possible grâce à une soixantaine d’entretiens menés notamment auprès d’anciens internes et à une plongée patiente, souvent saisissante, dans les archives des ordres et des congrégations, parfois jusqu’à Rome. La brutalité méthodique du clergé qui ressort des témoignages est effarante.

Cette enquête intervient dix ans après les travaux universitaires fondateurs de Françoise Armanville, qui avait regroupé des documents et des témoignages relatifs à l’histoire des « homes indiens » de Guyane à partir de la seconde moitié du XXe siècle et leurs effets. Son travail avait montré l’urgence de raconter, documenter ce fait guyanais terrible.

Selon Hélène Ferrarini, sur près d’un siècle, « 2 000 » enfants amérindiens et bushinengués furent enrôlés par les différentes forces catholiques, des années 1930 à aujourd’hui. Au moins « deux enfants » amérindiens y auraient perdu la vie.

Dans le home indien de Sinnamary, dans les années 60. © Archives Alix Resse
Dans le home indien de Sinnamary, dans les années 60. © Archives Alix Resse

La mise à l’écart systématique des enfants de leur entourage avait pris naissance à Mana, de manière non planifiée, sous l’impulsion isolée du père Du Maine, sous la forme de regroupements des jeunes garçons au presbytère, autour du prêtre, ou auprès des sœurs de Saint-Joseph de Cluny pour les petites filles.

L’enfermement plus ou moins sévère s’institutionnalisera sous le préfet Vignon dans les années 1950 : les gendarmes y prêtaient main-forte, ramenant les enfants qui maronnaient et contraignant par le mensonge les familles : « Les gendarmes disaient à mon père qu’il était incapable de m’éduquer », et promettaient « la prison » aux parents récalcitrants.

« Élever les Amérindiens comme des orphelins »

L’éducation laissée aux catholiques perdure aujourd’hui, puisque soixante collégiens et collégiennes natifs de Trois-Sauts, scolarisé·es à Saint-Georges, sont toujours placé·es sous la responsabilité des religieuses en dehors des heures de classe et hors vacances, ce qui implique « obligatoirement », selon l’autrice, la présence à la messe le dimanche et la pratique de la prière : « On prie tous les matins et tous les soirs. » Énième pied de nez à la laïcité, qui n’étonne plus personne, mais qui rappelle qu’en Guyane, territoire français d’exception toujours maintenu sous un régime similaire au régime concordataire, on ne touche pas à l’Église.

L’histoire des homes, c’est « cet internement [qui] se fait sous couvert de scolarisation, mais il doit permettre bien plus. L’alliance des religieux catholiques et de l’administration française se noue autour de l’acculturation orchestrée des populations autochtones » . Un État qui, « en confiant l’éducation et l’assimilation des enfants amérindiens de Guyane au clergé, faisait le choix d’un acteur stable et durable ».

Le « home » d’Iracoubo, dans le nord de la Guyane, dans les année 1950. Fonds de Arnauld Heuret
Le « home » d’Iracoubo, dans le nord de la Guyane, dans les année 1950. Fonds de Arnauld Heuret

Pour l’administration, il faut assimiler les Indiens et les Marrons pour en faire une « bonne » main-d’œuvre guyanaise. Pour les forces catholiques, il faut dresser le corps et l’âme des « primitifs », des « peaux rouges ». Et faire des jeunes filles de bonnes petites ménagères à l’européenne. « On a la jeunesse, on peut la malaxer, la travailler », disait ainsi le père Barbotin qui appelait « à élever les Amérindiens comme des orphelins ». 

Considéré comme une grande figure guyanaise par les fervents et les dominants, on comprend que le père Barbotin porte une énorme responsabilité dans le développement des pensionnats et les violences et traumatismes induits aux quatre coins du territoire. Barbotin trouva dans son entreprise génocidaire le relais précieux des religieuses, aveuglées d’avoir trop cherché la lumière. Ainsi, le clergé des hommes « ouvrai[t] un front pionnier missionnaire », et aux religieuses la « gestion sur le long terme des établissements ».

Un « génocide culturel »

Le terme de « génocide culturel » n’est pas employé dans le livre. En juillet 2022, à l’issue d’un déplacement au Canada, le pape François avait eu ces mots devant la presse : « Enlever des enfants à leurs familles, changer la culture, changer les esprits [c’est] un génocide, oui. » À la lecture des faits et témoignages compilés par Hélène Ferrarini, cette déduction d’une entreprise génocidaire de la culture amérindienne en Guyane par le clergé et l’État français au cours du XXe siècle éclate.

La journaliste raconte les petits bricolages des institutions pour détourner les allocations familiales des parents vers les pensionnats et pour s’accommoder avec l’aide sociale à l’enfance. Elle revient sur les privations de liberté, de nourriture, les coups, l’interdiction de parler les langues maternelles, la démonisation des cultures indigènes, ces corps frottés car pas assez blancs, ce temps long volé aux fratries, aux parents, ces identités détournées, car « pour une domination culturelle qui pénètre les moindres interstices de la vie […] les pensionnaires demeurent plusieurs années », parfois dès l’âge de 2 ou 3 ans, pour n’en ressortir qu’à l’adolescence. « En prenant les petits jeunes comme ça, c’est comme si le home a volé les petits », se lamente un ancien pensionnaire.

« Désigner ces établissements du nom de “home”, qui évoque la douceur du foyer, est une imposture. Le véritable home d’un enfant indien, c’est son village et le carbet de ses parents », s’insurgera sur le tard Jean Hurault.

Au tournant des années 1970-1980, le système fait débat au sein du clergé parce qu’on reproche aux prêtres de passer trop de temps à vouloir redresser les marmailles plutôt qu’à faire vivre leur paroisse. Ces années-là, les homes du littoral ferment avec l’ouverture d’écoles publiques. C’est à ce moment que deux nouveaux internats ouvrent : à Maripasoula et à Saint-Georges.

En 1982, l’association des Amérindiens de Guyane française dénonce publiquement cette « entreprise de déculturation […] basée sur une politique de non-respect de l’identité, la violation de la personnalité, la désorganisation et la dégradation des structures familiales, la répression sous forme de châtiments corporels et privations ».

En 2000, expliquant pourquoi il fait des films, l’intellectuel et ancien ministre haïtien de la culture Raoul Peck expliquait que face au suprémacisme blanc, il avait choisi la voie du cinéma, parce qu’elle est « beaucoup plus convenable que de brûler des voitures ». Pour certain·es, il y a aussi la voie du militantisme pour la reconnaissance des droits autochtones et pour la réconciliation. « Les homes sont l’histoire d’une honte […]. La connaissance et l’appropriation de l’histoire, en ce qu’elles peuvent permettre la reconnaissance des violences perpétuées par des institutions et leurs représentants et des souffrances qu’elles ont engendrées, peuvent être une première pierre d’un tel processus de réconciliation », conclut Hélène Ferrarini.

Lire des extraits et l’introduction d’Allons enfants de la Guyane.


Retour dans les homes de la honte



par Zoé Courtois, publié par Le Monde le 12 novembre 2022.
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C’est une enquête essentielle, fouillée et passionnante, sur un trou de l’histoire de France qui lézarde aussi le présent. Dans l’ouvrage qu’elle publie cet automne, la journaliste Hélène Ferrarini, par ailleurs scénariste de bande dessinée (Eldorado, avec Damien Cuvillier, Futuropolis, 2018), documente avec précision la création des « homes » en Guyane française dans les années 1930, et la manière dont l’Eglise et l’Etat y ont travaillé ensemble à évangéliser et acculturer les enfants des différents peuples autochtones pendant près d’un siècle.

Outre son intérêt documentaire, le livre est remarquable par les ­qualités d’écriture que son autrice y déploie. L’humilité, par exemple, avec la mise en scène d’un « je » ­d’essayiste qui tour à tour doute et apprend, conscient de ses limites et de celles du moment auquel il appartient. Point de prétention au récit exhaustif des faits ni à l’analyse scientifique, mais une narration touchante et modeste, destinée à en engendrer de plus grandes.

Mais c’est par son ouverture, surtout, que ce texte se distingue. Allons enfants de la Guyane est de ces objets littéraires difficiles à classer, où l’on passe sans crier gare de l’établissement rigoureux d’une chronologie à un récit historique pertinemment recoloré par la fiction, ou à une ­convaincante analyse des traces de la colonisation dans l’usage de la langue française par les anciens pensionnaires. La curiosité sans cesse stimulée du lecteur trouvera ici sans conteste de quoi se nourrir.

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