Communiqué de presse (Fidh, Laddh, Cfda)
La société civile se mobilise contre les atteintes aux droits économiques, sociaux et culturels en Algérie
Des militants associatifs et syndicaux algériens de différentes wilayas du pays se sont réunis à Alger les 15 et 16 avril 2011 dans un séminaire sur les droits économiques, sociaux et culturels (DESC) organisé par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) et le Collectif des familles de diparus en Algérie (CFDA)1.
Ce séminaire fait suite à la publication d’un rapport de ces trois organisations La mal-vie en Algérie, la situation des droits économiques, sociaux et économiques en Algérie présenté en mai 2010 à l’occasion de l’examen de l’Algérie par le comité DESC de l’ONU en vertu de ses obligations au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
Dans un contexte de protestation sociale grandissante sur plusieurs fronts dans l’ensemble du pays, les participants ont mis en lumière les principales violations des droits économiques, sociaux et culturels parmi lesquelles les atteintes au droit à des conditions de vie décentes, en particulier au droit au logement, au droit au travail, aux libertés syndicales, au droit à la santé, à l’éducation, les atteintes aux droits économiques et sociaux des groupes vulnérables, notamment les familles de disparus et les chômeurs, et les discriminations à l’égard des femmes.
Les participants ont souligné l’échec des politiques publiques. Ils ont également dénoncé la corruption généralisée qui freine le développement socio-économique et entrave l’accès égalitaire aux droits économiques, sociaux et culturels. Les participants ont insisté sur l’extrême difficulté de progresser dans le champ économique et social en l’absence de respect des droits civils et politiques. Ils considèrent que la réalisation des DESC est étroitement liée à la démocratisation et à l’existence d’un Etat de droit. Les difficultés d’accès à l’information, l’opacité des comptes publics, les nombreuses entraves aux activités des associations et des syndicats autonomes et les pratiques arbitraires du régime ont été dénoncées.
Les participants ont déploré que face à des mouvements de contestation pacifique, la réponse des autorités algériennes soit la répression, en violation flagrante des libertés d’expression, de réunion et de manifestation, l’absence de dialogue et l’annonce de mesures conjoncturelles qui ne répondent nullement aux aspirations légitimes de la population.
Les organisations exigent la mise en oeuvre immédiate des recommandations du comité DESC de l’ONU et la ratification du Protocole facultatif au Pacte international relative aux droits économiques, sociaux et culturels qui ouvrira une voie de recours au niveau international pour les victimes de violations des DESC.
Rappelant que le respect des droits économiques, sociaux et culturels est indissociable du respect des droits civils et politiques, les participants se sont engagés à continuer le travail en commun et à faire usage de tous les instruments et mécanismes au niveau national, régional et international pour faire respecter les droits économiques, sociaux et culturels.
Alger, le 18 avril 2011
Un important dispositif policier dépêché place du 1er Mai
La CNCD empêchée une nouvelle fois de marcher
Même lieu, même scène et même scénario. La Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) a été empêchée, pour la énième fois, de marcher à Alger.
En effet, la place du 1er Mai, d’où devait s’ébranler la procession des manifestants en direction de la place des Martyrs, a été hermétiquement quadrillée par un impressionnant dispositif policier dépêché sur les lieux dès les premières heures de la matinée. L’intention était claire : il ne faut pas tolérer une marche pour le changement du système, après un discours du président de la République. Le décor était donc planté bien avant l’heure du début de la manifestation.
Les représentants de la CNCD, arrivés un peu plus tôt, ont vite été encerclés par des policiers qui ont tenté de les repousser loin de la place du 1er Mai. Arrivé vers 11h, la figure de proue de la coordination, Ali Yahia Abdennour, a eu lui aussi le droit au même traitement.
Accompagné de Me Fetta Sadat et quelques militants du RCD, Ali Yahia Abdennour s’est retrouvé encerclé par un cordon composé d’une vingtaine de policiers qui empêchaient même les journalistes de l’approcher. Quelques minutes plus tard, d’autres manifestants, environ une trentaine selon nos estimations, ont pu échapper à la vigilance des policiers et rejoindre Ali Yahia Abdennour sur le trottoir mitoyen de l’hôpital Mustapha Bacha.
Et la marche s’est transformée en un rassemblement qui aura duré plus d’une heure. Approché par nos soins, Ali Yahia Abdennour a préféré commenter le discours prononcé la veille par le chef de l’Etat. «Le discours du Président était un non-événement. Il n’a pas parlé des marches, alors qu’il y a eu durant les 3 derniers mois plusieurs manifestations, dont la plus importante est celle des étudiants. Elles (les marches) sont plus importantes, non seulement pour la réforme de l’université, mais aussi pour la démocratie, les libertés et les droits de l’homme. Il n’a pas tenu compte de cela», lance-t-il.
Pour le vieux militant des droits de l’homme, le président Bouteflika n’a annoncé que des «réformettes». «Le président de la République doit laisser la place à la jeunesse qui a été formée depuis l’indépendance. Elle a la technique, l’intelligence et la culture et elle est en mesure de sortir le pays du marasme actuel et d’adhérer au XXIe siècle. Le pays a besoin de démocratie qui veut dire le retour à la souveraineté du peuple et la consécration de la citoyenneté», ajoute-t-il. Selon lui, la CNCD veut aujourd’hui, à travers sa démarche, une deuxième libération du peuple algérien. «Le président de la République est malade, il doit aller se soigner et laisser la place à la génération post-indépendance», lance-t-il.
Frank La Rue : «L’Etat doit respecter le droit au rassemblement»
Le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la promotion et la défense de la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, a achevé sa mission de travail en Algérie en établissant un rapport préliminaire très critique présenté, hier, en conférence de presse au siège du PNUD, à Alger.
A l’issue des entretiens qu’il a eu avec différents interlocuteurs du gouvernement et de la société civile, M. La Rue a émis une liste de recommandations en vue d’une réelle garantie de la liberté d’opinion et d’expression en Algérie. Tout en exprimant sa satisfaction suite à l’annonce d’une révision de la Constitution et de la dépénalisation du délit de presse, le rapporteur onusien relève que la liberté d’expression demeure l’otage d’une batterie de lois l’empêchant d’avoir une existence réelle et effective sur le terrain. Il exhorte les autorités algériennes à garantir une réelle ouverture en supprimant ces lois liberticides, notamment celles criminalisant l’acte de diffamation et celle imposant le silence sur ce qui s’est réellement passé durant les années de terreur. «La liberté d’expression est garantie par la Constitution, mais l’article 97 du code de l’information de 1990 menace d’amende et d’emprisonnement d’une année l’outrage à l’égard du président de la République. Aussi, l’amendement en 2001 du code pénal a élargi ces restrictions à d’autres fonctions de l’Etat», a souligné M. La Rue en notant que de nombreux journalistes ont été condamnés en vertu de cette loi pour diffamation parce qu’ils ont dénoncé des cas de corruption.
«Il n’y a pas de réconciliation en imposant le silence»
«Je considère cela comme un acte d’intimidation clair contre la presse, ce qui a pour effet de mener à l’autocensure», indique M. La Rue, en notant qu’il faut décriminaliser le délit de diffamation. De plus, dit-il, «les poursuites pour diffamation ne doivent pas être utilisées pour étouffer les critiques à l’encontre des institutions de l’Etat et de leur politique». Outre cette loi, le rapporteur onusien exprime son inquiétude au sujet de l’article 46 de la charte portant réconciliation nationale : «La réconciliation ne peut être réalisée en imposant le silence. La paix doit être basée sur le droit à la vérité et le droit pour les victimes d’avoir accès à la justice. Dans le cas des disparus, ce droit a une importance particulière». «J’ai mentionné, lors de ma rencontre avec le président de la Commission nationale des droits de l’homme, l’importance de travailler en toute indépendance». M. La Rue, qui a été témoin au cours de son séjour de l’interdiction des marches et manifestations à Alger, a exhorté les autorités algériennes à autoriser cette forme d’expression, qui est un droit.
«J’exhorte le gouvernement à ne pas utiliser la violence et à respecter le droit aux manifestations»
«Je salue la levée de l’état d’urgence, mais j’avertis qu’il existe encore un cadre législatif restrictif qui viole la liberté d’opinion et d’expression. Il est important que le droit aux rassemblements pacifiques soit considéré comme une partie du droit à la liberté d’opinion et d’expression et, de ce fait, garanti et respecté par l’Etat», indique le rapporteur. Il relève que durant sa visite il a «pu observer plusieurs rassemblements pacifiques et une marche des étudiants, contenus par une présence massive des forces de l’ordre. Les marcheurs ont été violemment dispersés. J’ai reçu des témoignages que la violence a été utilisée contre les rassemblements pacifiques, notamment ceux tenus par les familles de disparus. Je presse et exhorte le gouvernement à ne plus utiliser la force contre des manifestants pacifiques et à reconnaître aux familles de disparus le droit de s’exprimer publiquement».
Frank La Rue recommande l’amendement de la loi 91-19 qui exige une demande d’autorisation préalable de huit jours avant tout rassemblement en introduisant le régime déclaratif. Ceci et d’inviter le gouvernement à garantir le droit d’association en rendant plus facile la procédure de création d’organisations non gouvernementales.
Evoquant les atteintes et formes de pressions exercées sur la presse, le rapporteur s’offusque de l’arrestation à Oran, le 5 mars dernier, de 10 journalistes ayant couvert un rassemblement. Il relève en outre l’impossibilité que rencontrent les journalistes à accéder aux sources. Ceci et de souligner que les règles d’éthique et de déontologie sont à établir par les professionnels des médias et non pas édictées par les autorités.
L’ANEP et le fisc, moyens de pression
M. La Rue précise aussi que la création d’un journal est un droit garanti pour tous et nulle autorisation ne doit venir restreindre ce droit. Autre point soulevé par le rapporteur spécial, celui de l’utilisation de la publicité par l’ANEP comme moyen de pression et de sanction sur les journaux. «A mon avis, une telle offre doit se faire selon les principes d’équité et de justice, en suivant des normes claires qui ne permettent pas de favoriser les journaux qui sont proches des positions du gouvernement. Je recommande à cet effet que le Parlement promulgue une loi qui transforme l’ANEP en une réelle institution indépendante, et lui détermine comment distribuer sa manne publicitaire», dit-il. Ce dernier relève aussi que l’impression qui se fait pour de nombreux journaux au niveau des imprimeries de l’Etat est un autre moyen de pression exercé sur les journaux. «Il est important que ces entreprises d’impression ne dépendent pas du ressort exclusif du gouvernement, mais deviennent des entreprises indépendantes.» L’autre type de pression dont souffrent deux quotidiens indépendants, en l’occurrence El Watan et El Khabar, pour leur position éditorialiste, souligne le rapporteur, est celui du redressement fiscal, «ces deux journaux ont subi 6 mois durant un audit en 2010», dit-il. Frank La Rue souligne en outre que le paysage médiatique en Algérie compte 80 titres, ce qui représente à son avis un problème, car de nombreux journaux ont été créés pour gêner les journaux critiques envers le gouvernement et créer de ce fait une sorte de faux équilibre.
Le conférencier a par ailleurs appelé les autorités algériennes à ouvrir le pays à la presse étrangère et à faciliter les accréditations et octroi de visas aux journalistes étrangers. Evoquant la censure sur internet, le rapporteur a appelé à une libéralisation effective et à bannir toute forme de contrôle. Ceci et de relever une contradiction entre la loi contrôlant l’importation de livres et le fait qu’internet et les paraboles soient autorisés. «La censure exercée par le ministère de la Culture est une réminiscence du passé. La libre circulation des livres est un élément symbole de la liberté d’opinion et d’expression.» Dans sa conclusion générale, M. La Rue a tenu à souligner ceci : «J’ai souligné aux autorités algériennes que pour les jeunes générations, la logique du passé ne peut plus être utilisée pour freiner leurs espérances et limiter leurs libertés.» M. La Rue note que les jeunes aujourd’hui veulent et insistent sur leur désir d’avoir plus de liberté, de libre expression et d’opportunités de travail. «Permettez à la société d’atténuer la tension, à travers la liberté d’expression, y compris le droit au rassemblement pacifique.» Frank La Rue présentera son rapport de mission complet devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2012. Ce rapport, qui n’a pas de caractère contraignant, est tout de même une évaluation objective sur la situation d’un pays et a une valeur morale. Le rapporteur se propose de revenir pour évaluer la suite donnée à ses recommandations.