« Ils avaient 20 ans et leur insouciance s’est consumée dans les Djebels. Deux millions de Français ont traversé la Méditerranée pour une opération de maintien de l’ordre qui est devenue la Guerre d’Algérie. »
Printemps 1956, le gouvernement français décide d’envoyer massivement les appelés du contingent en Algérie. Sans expérience de la vie, ces jeunes hommes sont confrontés à des dilemmes moraux auxquels aucune autre génération n’avait eu à répondre et leur insouciance va se consumer dans une entreprise dont personne ne connaissait le but.
Après des décennies de silence, à l’heure du bilan de leur vie, ils libèrent leur parole. À partir de leurs témoignages et d’images amateurs inédites, Algérie, la guerre des appelés, un documentaire en deux parties, raconte l’épreuve qu’ils ont traversée.
Le dimanche 3 novembre 2019, à 20h50, est diffusé sur France 5 le documentaire en deux parties de Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman consacré aux appelés en Algérie. Sous le titre Algérie, la guerre des appelés, les deux documentaristes ont travaillé avec, comme conseiller historique du film, l’historien Tramor Quemeneur.
Dimanche 3 novembre à 20h50 sur France 5, les deux épisodes, « Le Bourbier » (70mn) et « L’Héritage » (60mn) seront diffusés à la suite l’un de l’autre.
Dimanche 3 novembre à partir de 20h50 sur France 5
Épisode 1 : LE BOURBIER
(durée 68’21)
1956, 10 ans après la fin de la guerre, le temps est à l’insouciance. Mais de l’autre côté de la méditerranée l’Algérie s’embrase et le contingent est envoyé en masse pour une simple « opération de maintien de l’ordre ». Pour la plupart des appelés, c’est un premier voyage, une aventure. Mais sur place, ils sont plongés dans un conflit dont ils découvrent la violence. Dès l’arrivée, la différence de niveau de vie entre certains Européens et les Algériens en interroge beaucoup sur le but de cette guerre. Dispersés ensuite sur l’ensemble du territoire, piégés à la poursuite de rebelles insaisissables, ils sont condamnés à vivre sous une menace permanente. L’incertitude de la guerre, son absurdité apparente, la disparition de copains et l’isolement se conjuguent alors pour dessiner une vie en pointillé où disparaissent les repères.
Épisode 2 : L’HÉRITAGE
(durée : 61’16)
4 ans après le début de la révolte en Algérie et 2 ans de guerre à outrance, pas un canton de France qui ne compte son jeune homme « mort pour la France ». Alors qu’une majorité de Français est désormais favorable à une solution négociée en Algérie, sur le terrain, les 400 000 hommes du contingent se sont enlisés dans une sale besogne aussi vaine, ingrate, que dangereuse. Une sale besogne qui conduit à un engrenage implacable.
Car face à des rebelles mobiles qui se fondent dans la population, les plus hauts gradés ferment les yeux sur des méthodes déjà éprouvées en Indochine : la guerre du renseignement se gagne par tous les moyens.
Comment un simple soldat peut-il résister ? Est-ce possible ?
Un fossé se creuse alors entre les appelés pris dans une guerre sans merci et une société française éblouie par l’embellie que promet le début des années soixante. Le silence des appelés s’installe alors, avant même leur retour définitif.
Commentaire dit par Johanna Nizard.
Musique originale Stéphane Lopez.
Une production What’s Up Films (Matthieu Belghiti), avec le soutien de la Procirep Angoa, avec la participation du Centre national de cinéma et de l’image animée et de France Télévisions Année 2019
Durée du replay sur france.tv J+7
Note d’intention des auteurs/réalisateurs
par Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman
Quand Matthieu Belghiti nous a proposé – à Sylvie Gilman et à moi même – de travailler sur « Algérie, la guerre des appelés », un gros travail de recherches d’archives avait été réalisé par Tramor Quemeneur, historien et conseiller historique.
C’était une récolte unique de films amateurs tournés par les appelés eux-mêmes en Algérie, mais aussi des lettres, des photos. C’était un petit trésor… et nous avons pourtant hésité, Sylvie et moi. Pourquoi en effet un film supplémentaire sur la guerre d’Algérie ? L’essentiel n’avait-il pas déjà été dit ?
Le vocabulaire de cette guerre est bien connu de tous : pacification, barricades, De Gaulle, rapatriés, putsch des généraux, OAS, Harkis, torture… Au gré de l’ouverture d’archives secrètes, du travail des historiens, les vérités enfouies ont affleuré Qu’ajouter de plus au récit historique ? C’est à cette période là, où nous hésitions, que mon père est mort. Et alors que je mettais un peu d’ordre dans son hangar, quelques jours après la dispersion de ses cendres, j’ai trouvé sous un établi un objet tout en longueur, soigneusement empaqueté dans du papier cartonné. J’ai défait la corde qui le maintenait : c’était le fusil de mon père, canon replié. Je ne me souvenais pas de mon père se servant d’un fusil. Même pas à la chasse, contrairement à ses voisins. L’intérieur du canon était d’ailleurs recouvert de rouille. M’est alors revenu en mémoire une phrase qu’il avait maintes fois répétée, que je n’avais sûrement pas su comprendre : « Vous donnez un fusil à un homme, et ce n’est plus le même homme ». Son fusil maintenant entre les mains, j’ai compris qu’il parlait de la guerre d’Algérie. Mon père est mort sans en avoir dit plus sur sa guerre. Il est parti avec ses silences. Comme tant d’autres. Mais ce silence ne doit pas nous abuser : cette guerre a marqué toute une génération. Il m’a alors paru indispensable de faire raconter leur guerre à ceux qui étaient encore vivants. De poser les questions que je n’avais pas posées à mon père.
Sylvie, dont le père fut également en Algérie, s’est engagée dans la même démarche. Après le recueil des images, le projet du film s’est doublé d’un recueil de témoignages. Pour expliquer au mieux cette guerre, il fallait avant tout écouter ceux qui l’avaient faite, ceux qui l’avaient vécue, ceux qui l’avaient subie. Les paroles des anciens appelés que nous avons recueillies nous ont donné la certitude que ce film devait être un film de témoignages qui allaient nous permettre de faire revivre ces images. Une façon de s’approcher au mieux de la vérité de toute une classe d’âge, la dernière « génération du feu ». Avec l’idée que la multitude des visages allait donner un visage à la guerre d’Algérie. La guerre d’Algérie, même si son récit s’est éclairé ces dernières années, demeure une zone d’ombre de notre histoire. Elle reste au cœur d’affrontements de mémoires, même à l’intérieur du pays. Si, en tant que documentariste, notre rôle est d’avancer sur ces terrains minés, une seule attitude paraît possible : adopter une démarche de vérité et d’honnêteté.
La rencontre avec les appelés
Tramor Quemeneur nous a donné accès à de nombreux appelés. Plusieurs sont aujourd’hui des personnages du film comme Stanislas Hutin ou Bernard Henry mort à 20 ans en Algérie. Ce dernier est présent dans le film grâce aux archives personnelles que son frère nous a confiées ainsi que les correspondances avec sa famille. Mais nous voulions avant tout rencontrer des personnes qui n’avaient encore jamais parlé. L’intention était de recueillir une parole la plus spontanée possible, en évitant les récits déjà construits, répétés maintes fois et qui risquaient de ne pas laisser place au sentiment. Nous ne cherchions pas forcément de révélations spectaculaires, nous voulions plutôt nous atteler à un travail d’archéologie. Mais une « archéologie du sentiment», pour reprendre l’expression de Ken Burns à propos de sa série « The war ». Car il s’agit avant tout de sentiments. Donc de paroles : celle des appelés. Pendant les interviews, il était très émouvant de voir tout à coup ressurgir chez ces hommes de plus de 80 ans les jeunes hommes de 20 ans. Le « jeune homme de 20 ans qui pleure encore», pour reprendre l’expression d’un appelé. De cette sincérité émerge toujours une vérité. C’est la vérité du soldat, c’est aussi la vérité du vieil homme qui cherche à se réconcilier avec le jeune homme qu’il fut. Il était évidemment très important de recueillir leur parole à la première personne. Et de centrer le témoignage sur ce qu’ils avait vécu et vu.
Dans le choix des intervenants nous avons voulu respecter un équilibre géographique, mais aussi balayer le spectre politique et social. Certains étaient professeurs, ouvriers, séminaristes, d’autres communistes, chrétiens engagés ou pour la plupart non politisés. Chacun incarnant à sa manière des « missions civilisatrices » de la France mises à mal pour tous sur place.
Le travail des archives
Pour nous, Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman, ce qu’ont vécu ces jeunes hommes de 20 ans s’apparente à une odyssée. Quitter sa famille, sa fiancée, son village, prendre un bateau pour aller de l’autre côté de la mer, affronter l’inconnu, se confronter à la guerre, aux choix moraux qu’elle impose, puis rentrer à la maison. Revenir métamorphosé. Se murer dans le silence devant la pudeur des proches et l’indifférence des autres.
Notre pari était de réaliser un film qu’avec le maximum d’archives personnelles et amateurs tournées par des soldats en Algérie. Tramor Quemeneur a effectué un travail de recherches colossal en cinémathèques et chez des particuliers. Les images tournées en 8 mm, inédites pour la plupart, participent de manière essentielle à la signature de ce film, à sa subjectivité. Si certaines d’entre elles sont remarquables, il s’agit surtout de décrire le quotidien du soldat : camions ensablés, méchouis, balades à dos d’ânes, danses et travestissements de soldats faisant les idiots devant la caméra, ennui, écriture de lettres aux familles… Loin des images de conflits et de la guerre, les appelés ont enregistré leurs souvenirs d’Algérie Au premier abord, ces images pouvaient paraître banales. Mais une fois portées par la voix d’autres appelés, ces images ont retrouvé toute leur émotion : derrière le grain de chaque plan, on sent tout à coup le regard de celui qui filme, la main qui tremble de celui qui tient la caméra. Ces images participent tout autant que les témoignages à cette archéologie du sentiment.
La création de décor pour les interviews
Le décor était essentiel pour recueillir les témoignages. Il était important de faire venir nos appelés dans un décor unique. Venir jusqu’à Paris constituait une démarche très forte qui ouvrait déjà le chemin de la parole. Ce n’est pas sans scrupules que nous l’avons demandé à tous – c’était un effort important pour certains d’entre eux qui ont une santé déclinante – mais cela nous paraissait constitutif du projet. Il fallait créer les conditions particulières pour recueillir leur parole. La scénographie est minimale : un fauteuil, une lampe sur pied, une table basse et quelques éléments personnels que chaque témoin était libre d’apporter. L’important était avant tout de permettre à nos personnages de pouvoir faire ce saut arrière dans le passé. Chacun savait qu’un autre homme avant eux s’était assis sur le même fauteuil et qu’un autre homme leur succéderait. Enfin le décor unique égalise les différentes conditions sociales, comme l’armée.
Note du conseiller historique
par Tramor Quemeneur
J’ai commencé à travailler sur les appelés du contingent dans la guerre dans le cadre de ma thèse, dirigée par Benjamin Stora, qui portait plus particulièrement sur la question des désobéissances. Depuis lors, je n’ai jamais arrêté de travailler sur la guerre d’Algérie et sur les appelés. En 2010, j’avais élaboré un premier travail avec Benjamin Stora autour des archives privées et des parcours individuels. C’est le livre Algérie 54-62. Lettres, carnets et récits des Français et des Algériens dans la guerre, publié aux éditions Les Arènes. L’année suivante, j’ai poursuivi le travail avec le journaliste Slimane Zeghidour autour des photographies en couleurs prises par les appelés pendant la guerre (L’Algérie en couleurs, Les Arènes). Enfin, en avril 2018, j’ai publié un dossier dans le magazine Historia sur les témoignages d’appelés, à travers leurs lettres, leurs journaux intimes, leurs photographies…
Aussi, de la photo au film amateur, il n’y avait qu’un pas. C’est pourquoi, ce projet avec What’s Up Films m’a enthousiasmé. Nous avons écumé les cinémathèques de France, lancé des appels, découvert des pépites… En creusant, j’ai pu constater qu’il existe des films qui restent dans les familles, parfois sans même pouvoir être visionnés. Mais ils sont bien là et ils ont une valeur de témoignage importante. Nous avons ainsi fait des dizaines d’heures de visionnage de ces films, repéré certains d’entre eux, effectué des recherches sur leurs auteurs et obtenu leur témoignage. Thierry de Lestrade a réalisé un immense travail d’indexation et de « découpage » des films pour en garder la quintessence.
Il fallait en plus obtenir le témoignage des appelés. Nous voulions une sorte de « film cathédrale » qui rende compte du nombre conséquent de soldats engagés dans cette guerre (près de deux millions), de la variété de leurs parcours et de l’hétérogénéité de leurs positionnements politiques passés et présents.
Beaucoup d’entre nous avons un père ou un grand-père qui a participé à cette guerre. Ces anciens combattants arrivent maintenant à la fin de leur vie. Il fallait leur donner la parole, eux qui se caractérisent en général par leur silence. J’espère que ce film apportera de nombreuses réponses aux questions qui peuvent se poser, donnera une vue la plus objective et exhaustive possible sur les parcours des appelés dans la guerre, et qu’il amènera de nombreux grands-pères à raconter à leurs petits-enfants la guerre dure à laquelle ils ont dû participer, même si c’est parfois difficile, afin de lever le voile du non-dit et de permettre de cicatriser les plaies mémorielles.
Tramor Quemeneur
Historien spécialiste de la guerre d’Algérie né en 1973, Tramor Quemeneur est enseignant et membre de l’équipe de l’IHTP-CNRS (Institut d’histoire du temps présent). Sa thèse de doctorat, soutenue en 2007, était intitulée « Une guerre sans « non » ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie », la première recherche approfondie sur les quelque 15 000 jeunes Français qui ont été insoumis, déserteurs ou objecteurs de conscience pendant la guerre d’Algérie.
Il a dirigé le manuel 100 fiches d’histoire du XXe siècle (Bréal, 2004 et 2009) et a participé à plusieurs ouvrages collectifs, notamment La Justice en Algérie. 1830-1962 (La Documentation française, 2005), La Guerre d’Algérie : 1954-2004, la fin de l’amnésie (Robert Laffont, 2004), Hommes et femmes en guerre d’Algérie (Autrement, 2003) et Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie (Complexe, 2001). Aux éditions des Arènes, il a publié, avec Benjamin Stora, Algérie 1954-1962 et en 2011 avec Slimane Zeghidour L’Algérie en couleurs : 1954-1962, photographies d’appelés pendant la guerre.