Alger a condamné la loi française sur les « aspects positifs » de la colonisation
La loi française du 23 février « glorifiant le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » est « loin d’être innocente », a affirmé samedi 2 juillet à Alger le président algérien Abdelaziz Bouteflika.
« Nous devons être vigilants à l’égard de ces lois qui sont loin d’être innocentes », a affirmé Abdelaziz Bouteflika dans un discours prononcé à l’ouverture d’un colloque sur « la naissance et l’évolution de l’Armée de libération nationale (ALN) », bras armé du Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique), qui avait mené la guerre d’indépendance contre la France (1954-1962).
« Cécité mentale »
« Comment un parlement peut glorifier une présence coloniale coupable de massacres contre un peuple en entier, et prétendre que cette présence a rendu service aux peuples colonisés? », s’est-il demandé dans ce discours diffusé par l’agence de presse algérienne APS.
Mercredi, Abdelaziz Bouteflika avait déjà affirmé dans un autre discours à Tlemcen (extrême ouest algérien) que cette loi constituait « une cécité mentale » proche du « révisionnisme », relançant la polémique autour de ce texte qui a suscité l’indignation en France et en Algérie.
L’Algérie et la France, dont les relations se sont nettement améliorées depuis l’arrivée de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’Etat en 1999, s’apprêtent à signer un traité d’amitié avant la fin de l’année.
Excuses
Vendredi, le député Lionnel Luca, de la majorité parlementaire UMP, a réclamé des « excuses » de la part de Bouteflika jugeant « particulièrement insupportables » ses propos relatifs à la loi du 23 février.
Cette loi « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » prévoit que les programmes scolaires français « reconnaissent (…) et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».
Des partis politiques algériens ont condamné cette loi, à l’instar du FLN, qui a estimé qu’elle « consacre une vision rétrograde de l’histoire ».
Les deux chambres du Parlement vont « très prochainement » adopter une résolution dénonçant cette loi, avait annoncé, le 16 juin le président de l’Assemblée nationale Amar Saadani.
Début mai, une autre polémique avait éclaté lors de la commémoration de la sanglante répression, par les forces françaises, de manifestations indépendantistes en mai 1945. Environ 45.000 Algériens avaient été tués, selon des historiens algériens, entre 15.000 et 20.000, selon des estimations françaises.
Le président Bouteflika avait alors comparé aux « fours crématoires des nazis » les fours à chaux ayant servi à incinérer des cadavres de personnes tuées lors de la répression de manifestations à Guelma (est).
Notre ami l’indigène
par Pierre Marcelle, dans Libération, 1er juillet 2005.
Toutes ces pages et tous ces éditoriaux partout, toutes ces heures à s’empailler sur le sens des mots et particulièrement celui-là, dans cet appel-là des «indigènes de la République», qui fit hurler tant de consciences assises et vénérables, pourquoi ? Indigène, le mot choqua, paraît-il. Tant mieux. On va enfin pouvoir considérer la chose qu’à sa façon, Abdelaziz Bouteflika a mercredi remise sur le tapis. Evoquant à Tlemcen la loi extravagante et si bien de chez nous du 23 février dernier (qui promeut « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord »), le président algérien a parlé de « cécité mentale », « révisionnisme » et « négationnisme ». Le législateur appréciera, et la République française aussi. Pour des raisons qu’il n’est pas interdit de regarder comme un chouïa opportunistes, Bouteflika emploie depuis quelques semaines de drôles de mots. Evoquant la présence française dans son pays, il parle de « crime contre l’humanité », d’« entreprise de dé-civilisation », et, chez l’ex-puissance tutélaire, de « nostalgie de la domination coloniale ». Autant dire que l’appel des indigènes de la République, il aurait pu le signer. M. Bouteflika, s’il n’est pas un «gauchiste pro-islamiste» de la trempe de, par exemple, Dieudonné M’bala M’bala, n’a cependant rien à envier à ce dernier, en fait de parler mal et de penser douteux ; commémorant au mois de mai dernier le 60e anniversaire des émeutes de Sétif et de Guelma, il a ainsi comparé les fours à chaux utilisés par l’armée du «civilisateur» (pour brûler les corps des morts algériens) aux «fours crématoires des nazis». Curieusement, ce mot fit peu de bruit ; s’il l’avait entendu, nul doute qu’un ministre de l’Intérieur y eût vu matière à trouble de l’ordre public. Mais M. Bouteflika, qui sait y faire avec ses intégristes et qui a du pétrole, est un chouette copain de Paris. D’ailleurs, un traité de paix et d’amitié entre les deux pays l’établira, qui devrait être signé avant la fin de cette année.