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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Alain Ruscio : les vieux fantasmes ont la vie dure

Un billet d'humeur inspiré par l'actualité à Alain Ruscio, historien, auteur de
  • Que la France était belle eu temps des colonies. Anthologie de la chanson coloniale française, Ed. Maisonnneuve & Larose, 2001
  • Le Credo de l’Homme blanc, Ed. Complexe, 2002

Pauvre Pascal Sevran, héritier, sans doute sans le savoir, d’une longue tradition colonialiste et raciste : il croyait énoncer des évidences d’aujourd’hui, il n’a fait que reprendre des clichés d’avant-hier. La référence à la démographie africaine, liée à une sexualité réputée débridée, est un des plus anciens clichés de la pensée coloniale et post-coloniale, sur base de complexe inavoué devant le sexe hénaurme de l’homme noir. Pas de Mémoires de voyageurs en Afrique ou aux Antilles, depuis quatre siècles, sans un récit détaillé d’actes sexuels plus ou moins bestiaux, achevant souvent des danses endiablées. N’est-ce pas, Paul Morand ? Pas de chansons qui se veulent grivoises et qui ne sont que vulgaires, sans référence aux pantalons gonflés des Nègres, aux va-et-vient érotiques dans les cases.

N’est-ce pas, Charles Trenet, en 1937 :

On travaille pour la République

Quand on fait Biguine à Bango

N’est-ce pas, Henri Varna, qui fit chanter à Joséphine Baker, en 1930 :

La canne à sucre, c’est fou

C’est bien meilleur que la banane

Ça se suce par le petit bout…

Les Nègres, c’est bien connu, sont rythme et chair, c’est-à-dire nature.

Nous ne sommes plus au temps des colonies, et les indigènes sont devenus des Français. Mais tous les esprits sont-ils, eux, décolonisés ?

Venons à la rescousse du Sevran en question. Sa grande erreur – ou son grand fantasme – n’a-t-il pas été d’écrire « bite », là où il aurait fallu utiliser des formules savamment balancées, subtilement rédigées, comme ce jeune intellectuel qui monte, Eric Zemmour : « Face à cette rare dépression démographique [en métropole], les progressistes conséquents et les technocrates compétents ont une solution : l’immigration. C’est d’ailleurs historiquement ce qui s’est passé en France. Les grandes lois sur le divorce et l’avortement sont exactement contemporaines d’une autre législation, celle du regroupement familial. Ce sont d’ailleurs des chiffres du même ordre de grandeur, entre le nombre annuel d’avortements et le nombre d’entrants sur le territoire français par la procédure du regroupement familial […] . Symboliquement, tout s’est passé comme si les vieux peuples fatigués renonçaient à se reproduire eux-mêmes et appelaient à la rescousse des plus vigoureux, plus juvéniles. Tout s’est passé comme si les hommes français et européens, ayant posé leur phallus à terre, ne pouvant ou ne voulant plus féconder leurs femmes devenues rétives, avaient appelé au secours leurs anciens “domestiques“ qu’ils avaient émancipés. Tout s’est passé comme si la France, et l’Europe, devenue uniformément femme, s’était déclarée terre ouverte, attendant d’être fécondée par une virilité venue du dehors. ». C’est également paru en 2006. Cela s’intitule Le premier sexe (décidément…), chez Denoël, et, cela ne peut vraiment s’inventer, dans la Collection Indigne.

Alain Ruscio
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