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“Al-gé-rie fran-çaise !”

L'Algérie française agonise et Oran est en flammes. par Bertrand Le Gendre [Le Monde, du 30 juin 2002]

L’après-midi du 25 juin 1962, les commandos de l’OAS (Organisation armée secrète) se sont emparés d’un immeuble du front de mer. Des terrasses, ils tirent à l’arme lourde sur les réservoirs de la British Petroleum. Dix millions de litres de mazout flambent, enveloppant la ville d’un nuage noir de deuil.

Depuis le 18 mars, date de la signature des accords d’Evian, les pieds-noirs n’ont plus d’illusions mais ils veulent vendre chèrement leur peau, les événements d’Oran en témoignent.

Après l’échec du putsch des généraux, en avril 1961, les plus déterminés ont remis leur sort aux mains de l’OAS, née à Madrid quelques mois plus tôt dans la fièvre d’un énième complot activiste. Le Comité supérieur de l’Organisation mêle dans la clandestinité des Français d’Algérie et d’anciens officiers d’Indochine raidis dans leur refus du « bradage » de l’empire. Ils ont tout misé sur une insurrection populaire mais si les Européens s’enthousiasment facilement pour les « exploits » de ces « desperados » ils ont refusé de prendre les armes. Alger ne sera jamais Budapest.

Pendant des semaines, l’agit-prop de l’OAS a revigoré le moral chancelant du petit peuple d’Algérie. Ses émissions pirates ont persuadé les plus crédules qu’elle était omniprésente sinon toute puissante : « Ici Radio France-Algérie française, tous à l’écoute, mettez vos transistors sur vos balcons. » L’OAS a organisé des journées dites des « casseroles », au cours desquelles Alger tout entière retentissait des cinq notes « Al-gé-rie fran-çaise ! » Des embouteillages monstres ont paralysé les villes et leurs abords. Mais, à quelques semaines de l’indépendance, la violence aveugle a pris le dessus.

On attribue quelque 2 000 morts à l’OAS-Algérie, dont 85 % de musulmans. Exécutions sommaires de militants du FLN ou présumés tels. Opérations meurtrières montées contre les partisans européens de l’Algérie algérienne. Règlements de comptes internes à l’OAS. Un délire obsidional imprégnait l’Organisation, qui, à l’approche de la date fatidique, a été décimée. Le 24 mars 1962, « Compagnon » (le général Edmond Jouhaud) a été arrêté par hasard à Oran. Le 7 avril, c’est au tour de « Delta » (le lieutenant Roger Degueldre) de tomber aux mains de la police. Le chef des commandos de l’OAS sera condamné à mort et exécuté. Le 20 avril, le chef suprême de l’Organisation, le général Raoul Salan – cinq étoiles, dix rangs de décorations – est « logé » dans une « planque » à Alger, où il se cache, grimé, sous l’identité de Louis Carrière, administrateur de société.

L’OAS, qui n’a jamais compté plus de 3 000 militants et un millier de « combattants », est le dos au mur. Pour se « refaire », l’Organisation, que plus personne ne contrôle, a eu la folle idée de créer à Bab el-Oued, où bat le coeur de l’Algérie française, une zone libérée. Les forces de l’ordre ont riposté en bouclant le quartier. Pour rompre l’encerclement, la foule pied-noire a été lancée contre un barrage de la rue d’Isly, où a éclaté une fusillade qui a fait 66 morts.

Pendant ce temps, les deux civils qui comptent au sommet de l’OAS s’entre-déchirent. Jean-Jacques Susini, 29 ans, a échafaudé, via Abderrahmane Farès, le président de l’exécutif provisoire, un accord mort-né FLN-OAS, destiné à arracher aux vainqueurs des garanties pour les Européens censés rester en Algérie. Jean-Jacques Perez, le chef, sur le papier, de Degueldre, prône, lui, la politique de la terre brûlée (il se défend aujourd’hui d’avoir donné l’ordre de mettre le feu à la bibliothèque d’Alger, 60 000 volumes partis en fumée).

A Oran, où l’OAS joue sa dernière carte, Algériens et Européens s’entre-tuent dans une fureur d’apocalypse. Entre le 19 mars et le 1er juillet 1962, 32 membres des forces de l’ordre y trouvent la mort, 66 civils européens et 410 Algériens. Les quelques jours qui suivirent l’indépendance furent pires encore.

BERTRAND LE GENDRE

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