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Muhittin Altun, à son retour de l'hôpital le 15 décembre 2005 (Sipa)

Affaire de Clichy-sous-Bois : mise en cause des policiers

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a rendu, le 10 juillet, un avis très critique sur la façon dont les policiers ont interrogé, en octobre 2005, le jeune Muhittin Altun, seul rescapé de l'électrocution qui a tué deux adolescents réfugiés dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois à l'issue d'une course-poursuite avec des policiers.
La mort des deux camarades de Muhittin Altun avait déclenché les émeutes de novembre dernier dans les banlieues françaises. Lire ci-dessous Clichy sous bois : le rescapé confirme la course-poursuite. [Première mise en ligne, le 18 juillet 2006,
mise à jour, le 26 juillet 2006]

Les avocats de Muhittin Altun, le mineur ayant survécu à l’électrocution de Clichy-sous-Bois, en octobre 2005, ont porté plainte «pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui et faux en écriture publique», après les critiques de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisie par le député PS Claude Evin.
La course poursuite avec la police avait coûté la vie à deux autres adolescents, le 28 octobre 2005.
[Nouvel Obs, le 27 juillet 2006]

Muhittin Altun, à son retour de l'hôpital le 15 décembre 2005 (Sipa)
Muhittin Altun, à son retour de l’hôpital le 15 décembre 2005 (Sipa)

Les policiers sévèrement tancés dans l’affaire de Clichy

[Le Monde daté du 19 juillet 2006)

« Absence totale d’égards » pour un blessé grave, « erreurs et incohérences » dans la procédure suivie : saisie le 20 janvier par le député Claude Evin (PS, Loire-Atlantique), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a rendu, le 10 juillet, un avis très critique sur la façon dont les policiers ont interrogé Muhittin Altun, 17 ans, à l’hôpital Beaujon (Clichy-la-Garenne, Hauts-de-Seine), le 28 octobre 2005.

Ce jeune homme, devenu majeur, est le seul rescapé de l’électrocution qui a tué deux adolescents réfugiés dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) à l’issue d’une course-poursuite avec des policiers. Le drame fut le prélude des émeutes de novembre.

Rendu public, mardi 18 juillet, par M. Evin, l’avis de la CNDS satisfait l’un des avocats de Muhittin Altun, Me Jean-Pierre Mignard. « Pour la première fois, la parole de Muhittin est prise en compte, pas seulement par ses avocats, mais par un organe officiel de la République, souligne-t-il. Le ministre de l’intérieur devra tirer les conséquences de cet avis. »

Quand Muhittin Altun, gravement brûlé, arrive à l’hôpital dans la nuit du 27 au 28 octobre, il est « conscient » mais « prostré et psychologiquement agressé », selon le docteur T., le médecin réanimateur de garde. C’est par ce chef de clinique que le jeune homme apprend la mort de ses deux camarades. Le même médecin, appelé par le commissariat de Bobigny entre 22 heures et minuit, donne son autorisation pour une audition du blessé : « Il n’y avait pas de coma, de défaillances d’organes, il ne s’agissait pas d’un malade en réanimation », a-t-il justifié devant la CNDS.

Quand deux policiers se présentent munis d’une réquisition, le 28 au matin, l’autorisation est confirmée par le docteur C., qui a relevé la garde. Moins de dix-huit heures après l’accident, les deux fonctionnaires s’installent ainsi avec leur ordinateur près du lit du patient. L’interrogatoire commence à 10 h 15. Il dure jusqu’à 11 h 50. Le jeune homme est « alité, dans la salle de réveil, salle collective, réservée aux polytraumatisés graves » où les visites sont interdites, souligne la CNDS.

La commission relève plusieurs dysfonctionnements. L’officier de police judiciaire F. a indiqué avoir agi sur saisine du parquet dans le cadre d’une enquête sur les recherches des causes de la mort des deux adolescents à Clichy-sous-Bois, précisant que Muhittin Altun « devait être entendu en tant que victime ». Mais le gardien de la paix B., qui l’accompagnait, a assuré qu’il s’agissait d’une enquête de flagrance, ce que confirme le procès-verbal. La distinction est importante : la CNDS note que « l’identité de M. A. [Muhittin Altun] a été relevée selon le principe réservé aux personnes mises en cause ».

De plus, « l’audition du mineur s’est déroulée sans avis préalable aux parents », qui étaient pourtant passés dans la nuit lui apporter ses papiers d’identité. Et, selon le récit de Muhittin Altun, poursuit la CNDS, « la tonalité de l’interrogatoire n’était pas celle que l’on attend du recueil de témoignage d’une victime ».

L’avis dénonce « une absence totale d’égards et de prise en compte minimum de l’état physique, psychologique et moral dans lequel se trouvait ce mineur ». Les défenseurs du jeune homme, Mes Mignard et Emmanuel Tordjman, ont fait part de leur intention de déposer une plainte avec constitution de partie civile pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui ». La CNDS relève aussi des « erreurs et des incohérences dont elle ne s’explique pas la raison, si ce n’est la précipitation à questionner [Muhittin Altun] ». La réquisition remise au médecin le 28 octobre attribue ainsi au mineur « une date de naissance erronée, fixant son âge à 21 ans ».

La commission conclut à « un manquement à la déontologie ». Elle recommande au ministère de l’intérieur « de rappeler solennellement aux fonctionnaires de police le respect des dispositions en faveur des mineurs ». Pour M. Evin, l’affaire « pose aussi la question du droit des personnes dans les établissements de santé ». L’ancien ministre de la santé « regrette fortement que les médecins n’aient pas mieux protégé leur patient ». La CNDS demande que l’autorisation donnée aux services de police de procéder à des auditions de patients soit obligatoirement écrite.

Nathalie Guibert et Mustapha Kessous

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Un rapport dénonce un interrogatoire précipité et la falsification d’un document

[Libération,19 juillet 2006]

Dès l’hôpital, le survivant de Clichy suspect pour la police

La police a-t-elle créé de toutes pièces une procédure et falsifié une date de naissance pour précipiter l’interrogatoire sur son lit d’hôpital du mineur ayant survécu à l’électrocution de Clichy-sous-Bois le 27 octobre 2005, prélude à un mois d’émeutes urbaines ? Depuis hier, la question est posée par Me Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, les avocats de Muhittin Altun, sur la base d’un avis très sévère de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), rendu public à l’Assemblée nationale.

«Détresse». Saisie le 20 janvier par Claude Evin, député socialiste de Loire-Atlantique, la CNDS a rendu un avis sur les conditions dans lesquelles Muhittin, grièvement brûlé, a été interrogé durant une heure et demi, dans la matinée du 28 octobre, dans la salle de réveil de l’hôpital Beaujon à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). «Le fait que Muhittin Altun ait été interrogé pendant une heure et demi, alors qu’il était grièvement blessé, en état de détresse psychologique et morale évidente, et sans l’assistance de ses parents, par des fonctionnaires munis d’un document comportant des données erronées, constitue un manquement à la déontologie», relève la commission. Cette dernière a auditionné le jeune homme, les deux fonctionnaires de police qui l’ont interrogé ainsi que deux praticiens hospitaliers de l’hôpital Beaujon.
Hier matin, Claude Evin, Mes Mignard et Tordjman ont rappelé dans le détail les circonstances de l’hospitalisation et de l’interrogatoire du mineur à la lumière de cet avis. Le 27 octobre, Muhittin et deux de ses amis, Bouna et Zyed, s’étaient cachés dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) alors qu’ils étaient convaincus d’être poursuivis par la police, comme le confirmera le témoignage du seul survivant. Bouna et Zyed meurent électrocutés alors que Muhittin est grièvement brûlé. Dans la soirée, les premiers incidents surviennent à Clichy. Muhittin est transporté à l’hôpital où le docteur T., qui était de garde dans la nuit du 27 au 28 octobre, le décrit lors de son audition par la CNDS «conscient à son arrivée, prostré et psychologiquement agressé». Contacté par le commissariat de Bobigny, le médecin répond que Muhittin est apte médicalement à être interrogé. «Il n’y avait pas de coma, de défaillance d’organes […] il ne s’agissait pas d’un malade de réanimation», a indiqué le médecin à la commission. Pour Me Mignard, en revanche, «le jeune homme étant grièvement brûlé sur 10 à 15 % du corps, la question du pronostic vital était engagée, si l’on se réfère à la littérature médicale. Il n’a pas été tenu compte de son état de santé». Pour Claude Evin, «on peut aussi se demander pourquoi Muhittin Altun a pu être interrogé à l’hôpital Beaujon alors qu’il a été ensuite placé en chambre stérile à l’hôpital Saint-Antoine à Paris et que le parquet de Bobigny a refusé alors son audition par l’Inspection générale des services [la police des polices, ndlr] pour raisons de santé».

Contradictions. Lorsqu’ils débarquent à l’hôpital Beaujon, les deux policiers présentent au médecin une réquisition indiquant «une date de naissance erronée (le 4 avril 1984) fixant à 21 ans» l’âge du jeune homme, qui en réalité n’a que 17 ans. En le considérant comme majeur, ils se passent de l’avis préalable des parents, alors que le père avait remis vers 3 heures du matin la carte d’identité de son fils en confirmant au personnel soignant que Muhittin «était bien mineur et âgé de 17 ans». Mais surtout la commission pointe une contradiction majeure entre les déclarations des deux policiers. Le capitaine de police qui a interrogé Muhittin affirme avoir agi dans le cadre d’ «une enquête sur les recherches des causes de la mort» des deux mineurs électrocutés. En revanche, le gardien de la paix qui assiste l’officier, évoque une procédure de flagrance, d’ailleurs confirmée par le PV dressé par les deux fonctionnaires. Muhittin, lui, se souvient devant la CNDS, que «vu les questions que les policiers me posaient, ils me reprochaient quelque chose […]. On aurait dit que j’étais accusé». L’avis de la CNDS va dans le même sens : «Il ressort du récit de Muhittin Altun que la tonalité de l’interrogatoire n’est pas celle que l’on attend du recueil de témoignage d’une victime.» «Il a été considéré comme suspect, potentiellement coupable alors qu’il n’était que témoin», affirmait hier Claude Evin. Pour Me Mignard, «il n’y avait aucune procédure de flagrance dans le dossier. Pourquoi en avoir inventé une ? Si ce n’est pour interroger au plus vite Muhittin». La CNDS ne dit pas autre chose dans son avis en relevant «des erreurs et des incohérences dont [elle] ne [s’explique] pas la raison, si ce n’est la précipitation à questionner Muhittin Altun». Enfin, la commission recommande «à M. le ministre de l’Intérieur de rappeler solennellement aux fonctionnaires de police et notamment aux OPJ [officiers de police judiciaire, ndlr] le respect des dispositions en faveur des mineurs». Hier soir, la direction générale de la police a démenti tout «manquement à la déontologie» des policiers.

Les avocats du jeune homme comptent désormais sur la justice pour éclairer l’attitude de la police. «Nous allons demander à M. le procureur de la République de Nanterre d’ouvrir une information judiciaire pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui et faux», indiquait hier Me Jean-Pierre Mignard.

Jacky Durand

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Clichy sous bois : le rescapé confirme la course-poursuite

Muhittin Altun, blessé dans le transformateur EDF de Clichy-sous-Bois, a été entendu par la justice.

[Libération, vendredi 11 novembre 2005

A l’écouter, ils étaient bien poursuivis par la police. Grièvement électrocuté, le 27 octobre, dans le transformateur où Zyed Banna et Bouna Traore ont trouvé la mort, Muhittin Altun a expliqué hier pour la première fois au juge d’instruction de Bobigny, Olivier Géron, les circonstances du drame de Clichy-sous-Bois. Il a été entendu durant une heure et demie à l’hôpital Saint-Antoine où il a déjà subi plusieurs interventions chirurgicales, la dernière mercredi. Blessé au bras droit et aux cuisses, Muhittin a pu préciser, voire rectifier, la déposition consignée par la police, durant quatre heures, le lendemain du drame, alors qu’il se trouvait en soins intensifs. Dans ce procès-verbal, Muttin signalait que Bouna lui avait «dit de courir» à l’arrivée de la police et qu’il courait «parce que les autres couraient».

En réalité, Muhittin a vu lui aussi «deux policiers» aux trousses de Bouna, remontant le parc où ils avaient l’habitude de rester un peu après leurs matchs de foot. Et encore un autre portant «un flash-ball». Il s’est retourné deux fois. Si les autorités ont cru pouvoir conclure à l’«absence de course-poursuite», Muhittin la confirme. Quittant le parc, il traverse la rue pour entrer avec les autres dans un petit bois qui sert de décharge. Le mur d’enceinte du transformateur EDF n’est que trente mètres plus loin. Les policiers sont sur leurs talons. Me Jean-Pierre Mignard et Me Emmanuel Tordjman, les avocats de Muttin et des familles des victimes, ont tenté de reconstituer la présence policière sur les lieux.

L’enquête de l’Inspection générale des services (IGS) a fait apparaître qu’outre les policiers poursuivant les jeunes dans le parc, puis dans la décharge, deux agents étaient entrés dans le cimetière voisin, qui offre une vue panoramique sur la centrale. «Les policiers tendent une souricière, a commenté hier matin Me Mignard. Les deux voies d’accès ont été tenues alternativement par les policiers.» Mais c’est l’équipe présente dans le cimetière qui annonce, par radio, que «les deux individus sont localisés et sont en train d’enjamber pour aller sur le site EDF». Un policier commente par radio qu’il ne «donne pas cher de leur peau». Entre-temps, deux jeunes, Sofiane et Arouna, sont interpellés sur le site de la décharge boisée.

Muhittin, Bouna et Zyed se cachent dans le transformateur. «Ils sont persuadés que la police reste longtemps, explique Me Mignard. Ils n’ont pas leurs papiers. Leur préoccupation, y compris lorsqu’ils se trouvent dans le transformateur, est de rentrer chez eux pour ne pas manquer l’heure de la rupture du jeûne.» Muhittin et ses amis entendent les sirènes des voitures de police. L’aboiement d’un chien. Zyed s’inquiète particulièrement. Des trois, il est le seul à avoir eu «un incident avec la police», sans suite judiciaire. Son père a demandé une «mesure éducative». «Si je vais au poste, mon père me renvoie en Tunisie», aurait-il murmuré avant le drame.

Karl Laske
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