au rassemblement du 29 octobre 2018 à Paris
pour le 53ème anniversaire de son enlèvement
et de sa disparition
Mesdames, messieurs, chers amis,
Merci d’être présents aussi nombreux comme chaque année pour ce rendez-vous de la mémoire, de la vérité et de la justice.
Je salue la présence de membres du Comité pour la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka, de son secrétaire ; Louis Joinet, son président du Comité vous prie de l’excuser.
Merci aux représentants des organisations et associations qui ont signé l’appel à ce rassemblement, certains venus du Maroc, ainsi que nombreux amis membres de familles de disparus.
Merci à Nadia Mouadden, conseillère municipale de Gennevilliers, ville avec laquelle nous avons des liens d’amitié et de solidarité et dont l’une des artères porte le nom de Mehdi ben Barka.
Merci à Pierre Laurent, sénateur et secrétaire national du Parti communiste français et Eric Coquerel, député et coordinateur du Parti de gauche pour leur message de soutien.
Chers amis,
Le 29 octobre a été décrétée « journée du disparu » par l’ensemble du mouvement des droits humains et des forces démocratiques au Maroc. Elle est l’occasion de rappeler les manquements des autorités marocaines pour clore le dossier de la disparition forcée. En ce moment se tient à Rabat un rassemblement organisé par les associations de droits humains. Je les salue très chaleureusement et très fraternellement, plus particulièrement les familles de disparus et les défenseur(e)s des droits humains pour que cessent la disparition forcée et la détention arbitraire.
Ces rassemblements et toutes les manifestations organisées autour de cette « journée du disparu » sont l’occasion de faire le bilan de la situation des droits humains au Maroc et de rappeler les manquements des autorités marocaines pour clore le dossier de la disparition forcée. Les familles de Houcine El Manouzi, enlevé en Tunisie par un commando marocain, la famille Ouazzane, la famille de Abdellatif Zeroual, la famille Rouissi et des dizaines d’autres attendent toujours de connaître la vérité sur le sort de nos proches, attendent que l’impunité cesse et attendent que justice se fasse. Face à la volonté du CNDH (la mauvaise volonté !) de clore ces dossiers, il faut saluer la résistance courageuse des familles qui se manifeste par les sit-in réguliers, les Marches nationales et la mobilisation de l’opinion publique nationale et internationale.
Depuis deux ans, les mouvements de protestation et de revendication sociale se sont multipliés et amplifiés au Maroc. Les plus marquants sont ceux menés par les populations du Rif et de Jerada.
Les mots d’ordre qui accompagnent ces mouvements pacifiques sont : liberté, dignité, justice sociale. Les revendications légitimes sont à la mesure de la faillite du régime à répondre aux aspirations populaires et à la mesure des immenses besoins de la population pour améliorer leur vie sur le plan social, économique, culturel, éducatif, sanitaire et environnemental.
Accompagnée de vagues promesses, la réponse du pouvoir a été une répression d’une rare violence qui s’est abattue sur les manifestants, la population, les associations de droits humains et les journalistes qui couvraient ces mouvements.
On assiste de la part du pouvoir à une véritable criminalisation du mouvement social. Des centaines d’arrestations, l’usage avéré de la torture, des procès injustes et inéquitables, de très lourdes peines de prison atteignant jusqu’à 20 ans et des conditions de détention pénibles. Voilà l’image d’un régime qui renoue avec des périodes sombres que l’on croyait révolues. Aujourd’hui, comme par le passé durant les années de plomb, la mobilisation et les actions de solidarités doivent s’intensifier pour la fin des poursuites, l’annulation des condamnations et la libération des prisonniers. Et plus que jamais, nous devons continuer à soutenir le mouvement social marocain pour la justice sociale et la dignité.
J’en profite pour apporter mon soutien à Maâti Monjib et ses amis face à l’épreuve du harcèlement judiciaire qu’ils subissent depuis trois ans. La semaine dernière, leur procès a été ajourné pour la 13ème fois. Dans un dossier vide, où les chefs d’accusation d’atteinte à la sûreté de l’état nous ramènent à des décennies en arrière, le but du régime marocain est de menacer tous les tenants du journalisme d’investigation et les défenseurs de la liberté d’opinion.
Chers amis,
En cette « journée du disparu », à l’occasion de la commémoration du 53ème anniversaire de l’enlèvement et de la disparition de Mehdi Ben Barka, il est plus que jamais nécessaire :
– de poursuivre le combat pour la vérité et la justice pour toutes les victimes de la disparition forcée, pour soutenir les actions menées par les familles pour connaître enfin le sort de leurs proches et mettre fin à toutes les formes d’impunité ;
– d’exiger avec force que toute la lumière soit faite sur l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka, ses assassins identifiés, sa sépulture localisée et que toutes les responsabilités soient établies, qu’elles soient étatiques ou individuelles ;
– de dénoncer la complicité des deux Etats marocain et français qui continuent à user et abuser de la notion de raison d’Etats et des secrets qui l’accompagnent. En faisant ainsi obstacle à l’action de la justice et bafouant le droit de ma famille à toute la vérité, ils continuent plus d’un demi-siècle après les faits à protéger les auteurs et les complices de ce crime odieux.
Le 3 octobre dernier, le journaliste Jamal Khashoogi pénétrait dans le consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul. Il n’en est pas ressorti vivant. On ne peut douter de son assassinat par les agents du régime saoudien arrivés spécialement en Turquie pour y perpétrer ce crime odieux. Nous partageons tous l’indignation et la colère de la communauté internationale devant cet acte inqualifiable d’un régime autocratique qui se croit au-dessus des lois grâce à sa puissance financière et ses alliances clientélistes et idéologiques. Nous exigeons toute la vérité sur ce crime et que les assassins et leurs commanditaires soient dénoncés et jugés.
Il y a cinquante-trois ans, lorsque Mehdi Ben Barka fut enlevé à Paris, l’émotion et l’indignation furent aussi fortes, sinon plus. Elles furent à la mesure de la personnalité et de l’action politique de Mehdi Ben Barka qui rayonnaient au-delà du Maroc pour englober tout le tiers-monde. Les ingrédients du crime étaient les mêmes que ceux d’Istanbul : le ministre marocain de l’Intérieur, le chef de la sûreté nationale et des agents secrets accompagnés d’un soi-disant infirmier se déplacent à Paris pour exécuter l’enlèvement de Mehdi Ben Barka décidé plusieurs mois auparavant au plus haut sommet de l’Etat marocain. La différence avec l’assassinat de Jamal Khashouggi — et elle est de taille — est que les agents marocains ont bénéficié de complicités françaises dans la police, les services secrets, le monde des barbouzes et des truands pour piéger Mehdi Ben Barka et protéger ensuite leur fuite.
Cette double responsabilité (à laquelle il faut inclure celle du Mossad israélien et peut-être la CIA américaine) fait que, cinquante-trois ans après le crime, les convergences d’intérêts qui ont permis le crime se poursuivent, au nom de la raison d’Etat, pour empêcher la justice de mener jusqu’au bout son action pour connaître la vérité sur le sort de Mahdi Ben Barka et établir toutes les responsabilités.
Même si c’est du bout des lèvres et en essayant d’en limiter la portée, il faut rappeler que l’Arabie saoudite a reconnu sa responsabilité dans le crime de Jamal Khashouggi. Cinquante-trois années plus tard, les autorités marocaines et françaises ne l’ont toujours pas fait. En France, l’accès aux archives est toujours bloqué au nom du secret-défense. Le ministère de la défense, juge et partie, ne respecte même plus les délais légaux pour répondre au juge d’instruction qui demande la déclassification de 300 pages saisies à la DGSE en 2010. Au Maroc, depuis 2003, aucune CRI des juges français n’est plus exécutée. Aucune de nos demandes n’a reçu d’écho favorable, comme par exemple faire des fouilles à la prison secrète du PF3 ou entendre les agents et anciens hauts responsables marocains encore vivants.
Au contraire, avec cynisme et bassesse, l’ancien agent du CAB1, Miloud Tounzi (condamné par contumace en France pour enlèvement sous son le nom d’emprunt de Chtouki) a déposé plusieurs plaintes pour « diffamation publique contre le juge Ramaël, des journalistes, contre Me Maurice Buttin, notre avocat et moi-même. Il nous reproche d’avoir révélé sa véritable identité, ce que nous avons fait depuis 20 ans aussi bien en France qu’au Maroc.
Il a déjà été débouté dans sa plainte contre le journaliste Marc Beaudriller. Le délibéré dans le procès intenté au juge Patrick Ramaël sera connu le vendredi 8 novembre prochain.
En entamant ces procédures Miloud Tounzi (et ceux qui le soutiennent) pensent décourager la famille Ben Barka et son avocat, ainsi que tous ceux qui aspirent à la vérité et à la justice, de poursuivre le travail acharné, entamé depuis 53 ans, pour connaître les circonstances de la disparition de mon père. Ils se trompent lourdement. Face à ces procédés d’intimidation, nous sommes plus que jamais résolus à poursuivre notre combat et nous comptons sur votre soutien pour dénoncer ces manœuvres.
Dès que la date de la prochaine audience sera connue, début 2019, je la rendrai publique afin que notre mobilisation soit à la hauteur de notre indignation de voir les criminels poursuivre les familles de victimes et leurs défenseurs.
Chers amis,
Comme vous pouvez le constater, ce combat pour la vérité, la justice, contre l’oubli et toutes les formes d’impunité se poursuit dans des conditions rendues toujours aussi difficiles par le manque de courage des autorités marocaines et françaises. Au lieu de se réfugier derrière la raison d’état et ses secrets, elles se grandiraient en assumant pleinement leurs responsabilités pour que la vérité soit établie au grand jour et que justice se fasse.
Le 13 septembre dernier, par une déclaration et une visite au domicile de la veuve de Maurice Audin pour lui demander « pardon » pour la mort de son époux le Président de la République reconnaît la responsabilité de l’Etat français dans la disparition du jeune mathématicien communiste. Dans un communiqué, le Comité pour la Vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka et l’Institut Mehdi Ben Barka-Mémoire vivante se sont réjoui de cette victoire historique de la vérité et de la justice qui marque la fin de soixante et un ans de déni. Ils ont salué le courage de Josette Audin qui s’est battue sans relâche avec l’aide de sa famille, le soutien des amis de Maurice Audin et l’action du Parti communiste français pour que la vérité soit faite sur l’assassinat de son mari. Cet acte ouvre une nouvelle page qui permettra de connaître enfin les circonstances exactes de la mort de Maurice Audin et le lieu de sa sépulture.
Ma mère, ma famille, nous tous, avons espéré, nous espérons toujours, que la déclaration du Président, d’une portée historique, précède d’autres gestes qui feront sauter les verrous de la raison d’Etat qui entravent l’action de la justice pour connaître la vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka. En particulier que toutes les archives de l’Etat, et notamment celles de la DGSE, qui concernent son enlèvement et sa « disparition » puissent être librement consultées et qu’une dérogation générale soit instituée en ce sens.
Seulement, le 17 septembre, à peine 4 jours après l’annonce à propos de l’affaire Audin, le Collectif secret-défense : un enjeu démocratique, qui regroupe 14 affaires non élucidées à ce jour du fait du secret-défense, a reçu une fin de non-recevoir du Premier ministre, alors que nous souhaitions le rencontrer pour donner notre point de vue sur la réforme d’accès aux archives qui est en cours.
Nous sommes révoltés par un tel mépris à l’égard de familles et d’amis de victimes qui attendent de l’Etat un minimum d’écoute au moment où doit s’ouvrir un large débat autour du secret-défense tel qu’il fonctionne actuellement et qui permet d’entraver les enquêtes judiciaires et le travail des historiens. L’assassinat du juge Borrel, l’assassinat de Thomas Sankara, l’assassinat de Robert Boulin, l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, l’enlèvement et l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Vernon, pour ne citer que les affaires dont nous commémorons ces jours-ci le triste anniversaire, sont des affaires d’Etat dans lesquelles l’accès aux archives permettrait de progresser significativement dans l’établissement de la vérité.
Conscient de la nécessité de faire avancer le débat autour de ces questions cruciales dans un état de droit, le Collectif secret-défense se propose de réunir prochainement une rencontre où parlementaires, juristes, historiens, familles et amis de victimes viendraient débattre.
Chers amis,
Depuis notre dernier rassemblement, beaucoup de nos proches, de nos ami(e)s, de nos camarades nous ont quittés.
Patrice Barrat, journaliste, producteur, défenseur des grandes causes humanistes, prolongé le combat de ses parents Denise et Robert Barrat. Producteur entre autres du film de Simone Bitton, « l’équation marocaine », il était membre du Comité pour la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka.
Jacques Ralite, militant communiste et homme de culture, défenseur de l’art et des artistes. Les combats qu’il défendait dépassaient largement le monde de la culture ; ils englobaient tout naturellement la défense des libertés, la démocratie, la dignité humaine. En 2015, il n’avait pas hésité à rejoindre le Comité pour la vérité.
Samir Amin, illustre figure de la pensée économique contemporaine au service du combat progressiste et émancipateur des peuples les plus démunis. Il a accompagné l’Institut Mehdi Ben barka dans de nombreuses actions.
Hussein Abderrazek, journaliste et militant progressiste égyptien, responsable du parti de gauche « hizb attajamouaâ », plusieurs fois associé aux actions de l’Intitut avec qui nous lie une longue et profonde amitié.
Bayazid Bourequat qui a souffert dans sa chair la réalité des années de plomb, du PF3 à Tazmamart. Son témoignage, avec celui de ses frères a fortement contribué à faire avancer le combat des droits humains au Maroc.
Le camarade Zaïd, grande figure de l’immigration marocaine, militant dès la première heure de l’association des marocains en France, fondateur de la section de Chevilly-Larue dès 1963, militant syndicaliste et politique.
Habib Cherkaoui, militant du mouvement national puis du mouvement progressiste, il a sans cesse montré un engagement sans faille et un attachement courageux et indéfectible à ses convictions.
Toutes et tous ont contribué à faire progresser le combat pour la liberté, la démocratie et la dignité. Ils nous manqueront, mais leur mémoire restera toujours vivante.
Je vous remercie.
Bachir Ben Barka