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Édition du 1er au 15 décembre 2024

adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi gelant le corps électoral en Nouvelle-Calédonie

Le projet de loi constitutionnelle, qui s'inscrit dans la continuité des accords de Matignon de 1988 et de Nouméa de 1998, a été adopté avec l'aide des députés de gauche.
[Première publication, le 13 déc 06,
mise à jour, le 14 déc 06]

Nouvelle-Calédonie : la Constitution sera révisée avant avril 2007

par Patrick Roger, Le Monde daté du 15 décembre 2006

Le projet de loi constitutionnelle établissant un corps électoral restreint pour les élections en Nouvelle-Calédonie a été adopté, mercredi 13 décembre, à l’Assemblée nationale. Il devrait être examiné en janvier au Sénat, ainsi que l’a annoncé Dominique de Villepin, dans l’après-midi, en réponse à une question du premier secrétaire du PS, François Hollande. « Les conditions seront dès lors réunies pour une convocation du Congrès, a indiqué le premier ministre. Je souhaite, tout comme le président de la République, que cette procédure puisse être menée jusqu’à son terme avant la fin de la mandature. » La réponse, accueillie fraîchement sur les bancs de l’UMP, a en revanche été saluée par des applaudissements du côté de la gauche et de l’UDF.

La suite – la discussion du projet de loi -, c’était à François Baroin, le ministre de l’outre-mer, et à Jean-Louis Debré de l’assurer. Le président de l’Assemblée avait pris soin de prendre lui-même le « perchoir ». Car, en dépit des apparences, la partie était loin d’être gagnée, les positions au sein du groupe UMP nullement figées. Et les « pointeurs » chargés d’établir un décompte de la répartition des voix du groupe majoritaire bien embarrassés.

VOTE À MAIN LEVÉE

Dans un premier temps, M. Debré, avec la complicité de René Dosière (PS) et Michel Vaxès (PCF), balayait l’obstacle des motions de procédure. Il aurait en effet suffi que l’une ou l’autre fût adoptée pour renvoyer sine die la discussion. Afin d’éviter que les opposants ne s’en saisissent, la gauche avait donc annoncé qu’elle défendrait ces motions. Mais, alors que le ministre et le rapporteur du projet de loi venaient d’achever leurs interventions, le président de séance annonçait que les motions étaient retirées et ouvrait immédiatement la discussion générale.

Au fil des interventions, en dépit des sollicitations du président du groupe UMP, Bernard Accoyer, passant de banc en banc pour tenter de faire basculer les hésitants en faveur du texte, les positions restaient mouvantes. Eric Raoult (UMP, Seine-Saint-Denis), désigné porte-parole de son groupe, s’efforçait de ménager tous les points de vue : « Pour ma part, j’étais contre. Je le voterai finalement tout en comprenant et admettant les arguments de chacun. »

Christian Blanc (app. UDF, Yvelines), ancien artisan des accords de Matignon en 1988, ayant permis de mettre fin à une situation de « guerre civile », s’adressait « affectueusement » à Jacques Lafleur, un de leurs signataires, pour lui demander de « prendre (ses) distances avec ceux qui n’ont peut-être pas encore compris » l' »esprit » de ces accords. Attendu, le député UMP de Nouvelle-Calédonie s’en prenait vertement à l’ancienne ministre de l’outre-mer, Brigitte Girardin, l’accusant d’avoir fait prendre au président de la République un engagement qui ne correspondait pas à l’accord de Nouméa de 1998. Aussi M. Lafleur demandait-il le « report » de ce texte.

Une interruption de séance était alors jugée nécessaire pour battre le rappel des élus. Du côté de l’UMP, seuls ceux ayant décidé de voter en faveur du projet de loi se voyaient attribuer une délégation de vote supplémentaire. Une précaution suffisante pour assurer l’adoption du texte. Restait cependant à éviter la fracture au sein du groupe. Et c’est là que M. Debré, prenant tout le monde par surprise, après avoir fait prestement voter à main levée l’article unique, considérait que ce vote valait adoption de l’ensemble du projet et levait immédiatement la séance. « La demande de scrutin public m’est parvenue trop tard« , souriait-il après-coup, tandis que fulminaient les plus déterminés à faire barrage à son adoption.

Patrick Roger

Une délégation du FLNKS s’est rendue à Paris début décembre, afin de convaincre les parlementaires du bien fondé de leur demande. Les Kanaks gardent en mémoire les vagues d’immigration qui ont marqué l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et bouleversé les équilibres démographiques, la plus récente ayant eu lieu dans les années 1970, lors du boom du nickel. «Que dirait Sarkozy si demain l’on faisait débarquer des milliers de Kanaks à Neuilly ?», ironise Victor Tutugoro, porte-parole du bureau politique du FLNKS et membre de la délégation. Pour Charles Pidjot, vice-président de l’Union calédonienne et signataire de l’accord de Nouméa en 1998, «le corps électoral est la pierre angulaire du dispositif qui a permis de ramener la paix sur l’archipel. En 1998, nous avons déjà fait une concession, en acceptant d’intégrer les 8 000 personnes arrivées entre 1988 et 1998. Pendant des années, les Kanaks ont souffert de la colonisation. Pour nous, le gel du corps électoral est une question de principe et de respect de la parole donnée.»

Xavier Ternisien, Le Monde du 14 décembre 2006

La décision de redéfinir le nombre d’électeurs dans l’île divise l’UMP

par Antoine Guiral, Libération du 8 décembre 2006

Des remous calédoniens jusqu’en métropole

Que vaut la parole de l’Etat pour Nicolas Sarkozy ? Pas grand-chose lorsqu’elle a été donnée à des Kanak, comme le montre l’actuel bras de fer au sein de la majorité UMP autour d’un texte de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie. Il doit être débattu mercredi à l’Assemblée nationale avant un passage au Sénat le 16 janvier. S’il n’était pas adopté, les fragiles équilibres qui ont permis à la Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence politique des années 80 (entre partisans et adversaires de l’indépendance) au profit d’un processus pacifique de construction d’un pays et d’une «citoyenneté calédonienne» pourraient être mis à mal. Une délégation de la coalition indépendantiste du FLNKS est venue le rappeler auprès de dirigeants politiques de tous bords, cette semaine à Paris, en demandant que les engagements pris par la France ne soient ni trahis ni abandonnés (lire ci-dessous).

Ultras. L’un d’eux, objet de la fameuse loi en discussion à partir de mercredi, porte sur la définition du corps électoral autorisé à participer aux élections provinciales de 2009. Le texte prévoit de revenir au corps électoral tel qu’il était en 1998, comme le stipulait de manière ambiguë l’accord de Nouméa signé à l’époque entre l’Etat (Lionel Jospin), le FLNKS et les anti-indépendantistes du RPCR. Jacques Chirac avait alors approuvé cette démarche et avait affirmé à Nouméa, en 2003, qu’il réglerait définitivement cette question avant la fin de son mandat1
. Mais aujourd’hui, l’UMP locale de Nouvelle-Calédonie, conduite par le député Pierre Frogier et relayée à Paris par des ultras de la majorité proches de Sarkozy, ne veut pas en entendre parler. Sans même prendre en compte le contexte calédonien et le chemin parcouru par les uns et les autres depuis la sanglante crise d’Ouvéa en 1988, ils s’insurgent du fait que des Français vont voir leur droit de vote restreint en Nouvelle-Calédonie alors que, selon eux, «des immigrés vont peut-être bientôt pouvoir voter à des scrutins locaux en France». Quant à Sarkozy, il redoute que le Front national s’empare de ce dossier pour pratiquer une surenchère simpliste et nuise à ses intérêts électoraux.

Capoter. Jacques Chirac, Dominique de Villepin et François Baroin, le ministre de l’Outre-mer, plaident, eux, pour que le contrat passé soit respecté. L’Elysée suit de près le dossier et estime même qu’il faudra «envisager dès que possible la réunion du Congrès à Versailles pour que cette loi constitutionnelle soit définitivement adoptée». Avant d’en arriver là, la première étape de l’Assemblée va nécessiter force tractations. En commission des lois mercredi, six députés UMP ont voté pour le projet de loi, six contre. L’UDF et le PS ont voté pour. Fin connaisseur de la Nouvelle-Calédonie, René Dosière, député (PS) de l’Aisne, a multiplié les mises en garde ces derniers jours et assure que le «PS votera bien évidemment ce texte qui engage la parole de la France et pas seulement celle du président de la République». Avec les voix de l’UDF, du PCF et d’une partie ­ même minime ­ de l’UMP, il devrait donc être adopté. Mais le parti de droite, Sarkozy en tête, ne veut pas d’un congrès à quelques semaines de la présidentielle et menace de faire définitivement capoter tout le dispositif législatif.

Grotte. L’affaire du corps électoral figé est hautement symbolique et ne concerne que quelques milliers d’électeurs potentiels pour les seuls scrutins locaux de Nouvelle-Calédonie et non pour le référendum d’autodétermination prévu au plus tôt en 2014. Mais elle est, pour les Kanak, l’un des points clés d’un accord qu’ils ont signé en 1998, au terme d’une évolution politique difficile pour eux, destinée à mener à une décolonisation douce. Très divisé entre ces diverses composantes, le FLNKS n’affiche plus son unité que sur quelques sujets comme le corps électoral. L’une d’elles, le Palika, a dénoncé hier «la tentative d’assujettir à nouveau l’avenir de notre pays à la politique intérieure de métropole». Lors de la présidentielle de 1988, Chirac et Mitterrand avait instrumentalisé la Nouvelle-Calédonie dans leur combat. Entre les deux tours, une gendarmerie avait été attaquée à Ouvéa par des militants indépendantistes (quatre gendarmes tués), avant que l’armée ne tue 19 d’entre eux lors de l’assaut d’une grotte où ils s’étaient réfugiés avec des otages.

Antoine Guiral
  1. La définition du corps électoral autorisé à voter lors des élections locales est un des dispositifs clés de l’accord de Nouméa. Afin de préserver les droits du peuple kanak, il était prévu de geler le corps électoral à la situation de 1998, en privant les nouveaux immigrants du droit de vote.

    Le Conseil constitutionnel avait censuré en 1999 ce gel du corps électoral, déclenchant les foudres des indépendantistes du FLNKS. Soucieux d’éviter un nouvel embrasement du « caillou », Jacques Chirac avait promis en 2003 de régler la question avant la fin de son quinquennat, et ce malgré l’hostilité de l’UMP locale. [Note de LDH-Toulon]

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