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Abdelkrim Al-Khattabi, le Rifain précurseur de la lutte anticoloniale

Après la biographie de ce stratège de la lutte armée anticoloniale publiée par Le Monde Diplomatique, on lira « 1925, Guerre du Rif : Pétain et Franco s’allient contre Abd El Krim », par Alain Ruscio.

Mohammed Ben Abdelkrim Al-Khattabi, dit Abd El-Krim, est né vers 1882 à Ajdir, près d’Al-Hoceima, dans le Rif marocain, au sein du clan Al-Khattab, de la puissante tribu berbère des Beni Ouriaguel. Son père, cadi (juge musulman), donna à son fils une formation coranique, et l’encouragea à faire des études secondaires à Tétouan et à Melilla, où il passa son baccalauréat. Il suivit ensuite une carrière de droit islamique à l’université Qarawiyin de Fès, et de droit espagnol à Salamanque.

A l’âge de 24 ans, Abd El-Krim est recruté par le quotidien de Melilla, El Telegrama del Rif, pour diriger sa section en langue arabe. Un an plus tard, en 1907, l’administration coloniale l’engage comme professeur d’arabe et traducteur pour son bureau des affaires indigènes. Les autorités françaises, en 1915, le dénoncent auprès des forces espagnoles comme « informateur » du Reich allemand. Une enquête révèle alors ses sentiments anticolonialistes. Incarcéré dans la forteresse de Rostrogordo, il se brise une jambe en tentant de s’en évader, ce qui le fera boiter pour toujours.

A sa sortie de prison, Abd El-Krim entreprend d’organiser la révolte contre les colonisateurs. Grâce à son charisme, il parvient à rassembler les principales tribus du Rif, et constitue le noyau de son armée. Il devient le chef du mouvement anticolonial au Maroc. Il remporte des victoires militaires retentissantes, en particulier à Annoual, où, le 22 juin 1921, il met en déroute plus de 25 000 soldats espagnols avec à leur tête le général Sylvestre. Au printemps de 925, il lance de violentes attaques vers le sud. Fès est menacée, de même que la riche région du Gharb.

Sa renommée devient internationale : Abd El-Krim cherche l’appui du Komintern et du Parti communiste français, et trouve des aides dans le monde islamique. Il crée sur le territoire qu’il contrôle la « République confédérée du Rif », dotée d’une Constitution et d’un makhzen (administration centrale), qui est bien accueillie, pour des raisons géopolitiques évidentes, par la Grande-Bretagne, mais combattue par l’Espagne et par la France. Ces deux pays rassemblent une force redoutable aux ordres du général Primo de Rivera et du maréchal Philippe Pétain. La contre-offensive, lancée en septembre 1925, vient à bout de la résistance d’Abd El-Krim, qui se rend aux forces françaises en 1926.

Les autorités coloniales l’envoient en exil à la Réunion. En 1947, il réussit à s’enfuir et trouve refuge en Egypte, où il continue à œuvrer pour la décolonisation de l’Afrique du Nord. Il meurt au Caire en février 1963, à l’âge de 81 ans, avec la satisfaction d’avoir vu, après l’indépendance de l’Algérie en 1962, la libération totale du Maghreb.

La guerre du Rif a servi de modèle aux mouvements d’indépendance d’autres pays colonisés. Hô Chi Minh, le héros de l’indépendance du Vietnam, considérait Abd El-Krim comme le « précurseur », parce qu’il mit au point le modèle de lutte armée pour la décolonisation des peuples.


1925, Maroc, Guerre du Rif
Pétain et Franco s’allient contre Abd El Krim

par Alain Ruscio, pour histoirecoloniale.net

Le Rif, à l’extrême nord du Maroc, a toujours été un pays siba, autonome, voire rebelle à l’égard des autorités. Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi, couramment appelé Abd el Krim, un Rifain issu d’une grande famille, vivant dans la partie espagnole du Maroc, leva l’étendard de la révolte en 1921.

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C’est donc tout naturellement contre l’occupant espagnol qu’il tournera d’abord ses armes, lui infligeant une cuisante défaite à Anoual (juillet 1921). En Espagne, le général Miguel Primo de Rivera1 prend le pouvoir en septembre 1923, installant une des premières dictatures d’extrême droite d’Europe. Rageusement, Madrid va répliquer par une guerre d’une cruauté inouïe, utilisant massivement l’arme chimique (d’ailleurs fournie alternativement par les deux anciens ennemis, la France et l’Allemagne…). En avril 1925, les troupes d’Abd el Krim empiètent sur le territoire du haut Ouergha, dans le Maroc français (avril 1925). Occasion rêvée pour le colonialisme français de mater ce dissident devenu menaçant. La France est alors dirigée par un gouvernement de gauche, dit du Cartel (Paul Painlevé, président du Conseil), dirigé par le Parti radical, soutenu par la SFIO. Nationalistes à Madrid, hommes d’une certaine gauche à Paris : il n’y a pas de barrières idéologiques quand il s’agit de défendre la civilisation occidentale.

Au plus fort de la guerre, Abd el Krim disposera de 75 000 hommes, pour seulement 30 000 fusils. En face, la France et l’Espagne aligneront un corps expéditionnaire énorme (120 000 combattants, 400 000 supplétifs), disposant d’une supériorité matérielle écrasante (artillerie lourde, chars, aviation), utilisant les armes les plus terribles – dont des bombes chimiques.

Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi
Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi

Lyautey et Pétain

Lorsque la France entre dans le conflit, le maréchal Lyautey préside aux destinées du pays – malgré la fiction du Protectorat qui ne trompe personne – depuis 13 ans. Il mènera une guerre sans pitié contre Abd el Krim. Sans pitié, mais sans guère de résultats. Bien des postes français sont isolés, Fez paraît même un instant menacée. La personnalité et la politique de Lyautey sont de plus en plus remises en cause à Paris, d’autant qu’une vieille méfiance l’amène à s’opposer à toute manœuvre commune avec les Espagnols. Le 14 juillet 1925, le gouvernement décide d’envoyer en inspection le maréchal Pétain. Camouflet supplémentaire pour Lyautey, qu’une inimitié réciproque (et de notoriété publique) oppose à Pétain. Le sens de la mission de ce dernier est net : « Il faut renforcer les effectifs, il faut de l’aviation, il faut intensifier notre action »2. Mais cette mission a également une signification diplomatique : la seule parade imaginable à la menace rifaine est de sceller un pacte avec les Espagnols. Fin juillet ont lieu à Madrid, puis à Ceuta, de premiers entretiens Pétain-Primo de Rivera. C’est à cette occasion, semble-t-il que Pétain rencontrera pour la première fois Franco, colonel et patron de la Bandera, la Légion espagnole. Une complicité de vingt années commençait.

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En septembre, Lyautey est rappelé à Paris, y est l’objet de remontrances des politiques et, surtout, y apprend la nomination de Pétain comme Commandant en chef, qui passe donc d’une mission temporaire à une fonction permanente. C’en est trop. De retour au Maroc le 15 septembre, il démissionne le 24. Il est remplacé par Steeg, mais c’est Pétain qui a désormais les pleins pouvoirs militaires.

L’initiative concertée peut commencer : les Espagnols envoient un corps expéditionnaire au nord (Alhucemas, 8 septembre 1925) pendant que les Français attaquent par le sud.

Début décembre, la presse annonce que Pétain va se rendre de nouveau à Madrid. Primo de Rivera déclare devant le Conseil des ministres du 8 décembre 1925, que la France, « désirant donner une preuve de ses sentiments d’amitié envers l’Espagne, avait décidé qu’une visite serait faite prochainement à Madrid par le maréchal Pétain »3. Les deux hommes se rencontrent effectivement le 25 du même mois, à Madrid, puis le 28, à Tétouan, afin de combiner leurs opérations4.

Lors de l’hiver 1925-1926, le territoire d’Abd el Krim fait désormais figure de forteresse assiégée.

La supériorité écrasante des armées franco-espagoles

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Comme il l’avait promis, Pétain mène une guerre de grande envergure. Le gouvernement lui a accordé les moyens demandés. Alors qu’en juillet, Lyautey n’avait obtenu que 2 bataillons de renforts, le nouveau commandant en chef en obtient 36 ! Surtout, la coopération militaire entre les deux pays – dont l’un utilisait des armes chimiques depuis 4 ans – devait déboucher sur une aggravation de la guerre chimique. On sait aujourd’hui que l’armée française a alors utilisé des obus au phosgène, à la chloropicrine (obus N° 7) et à l’ypérite5.

Pétain rentre en France le 6 novembre. À son arrivée à Marseille, il lâche : « Abd el Krim est encerclé. Il n’est plus à craindre. L’action militaire est terminée. Je passe la main à la politique »6. « L’action militaire est terminée »… Ce n’est alors vrai qu’en partie. Il reste l’ultime assaut. Mais on peut penser qu’avec cette formule, il embarrassait son illustre prédécesseur : (Pétain avait réussi là où Lyautey avait piétiné)… et son successeur, le général Boichut (si Abd el Krim ne s’était pas rendu, c’eût été sa faute). Quant à la formule « Je passe la main à la politique », elle faisait allusion aux pourparlers d’Oujda, entre Abd el Krim et des émissaires français, qui échouèrent. Le militaire Pétain était également un fin politique : dans tous les cas de figure, il apparaissait comme le seul vainqueur, il dégageait sa responsabilité de tout échec éventuel…

Début 1926, la guerre prend une autre dimension. Les Français alignent 48 bataillons, 17 batteries, 2 compagnies de chars et 3 escadrilles d’avions. Les armes chimiques, que Paris avait longtemps refusées à Lyautey, font désormais partie de l’arsenal français7.

Comme l’écrira, presque au terme des combats, le général Niessel, Inspecteur général de l’aéronautique : « Nous exécutons sur le front nord du Maroc de véritables opérations de guerre » (Revue de Paris, 1er février 1926)8.

La capitulation d’Abd el Krim

Militaires du corps expéditionnaire exhibant le drapeau de la République rifaine le 28 mai 1926
Militaires du corps expéditionnaire exhibant le drapeau de la République rifaine le 28 mai 1926

L’offensive finale est déclenchée le 8 mai 1926. Finalement, face à la supériorité mécanique des armées française et espagnole, Abd el Krim se soumet, le 27 mai. Au terme d’une guerre éprouvante, 100 000 des siens, combattants tués au front ou civils bombardés par des armes chimiques, avaient perdu la vie.

Le 14 juillet suivant, sous l’Arc de Triomphe, le général Primo de Rivera, « pantalon rouge vif soutaché d’argent, tunique bleu sombre coupée du cordon de la grand-croix de la Légion d’honneur, shako pastel et or que couronne un plumet blanc »9, est l’invité d’honneur. Il est entouré du président Doumergue, d’Aristide Briand, président du Conseil10 et, pour faire bonne mesure, du sultan Moulay Youssef.

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Quant à Pétain, il retrouva son complice quelques années plus tard. Le 27 février 1937, avant même la chute du gouvernement légal, la France reconnut le régime de Franco. Et, dans la foulée, nomma Philippe Pétain ambassadeur (2 mars). Nul doute que le déjà vieux maréchal dut savourer les derniers jours de la République espagnole. Comme un vieux couple ressassant ses jours heureux, Franco et Pétain se retrouveront une ultime fois le 10 février 1941, Franco passant alors par la France pour aller conférer avec une autre gloire du fascisme international, Benito Mussolini.

Quant à Abd el Krim, il finira ses jours en Égypte, communiquant avec Ho Chi Minh (alors dans les maquis Viet Minh) en 1949, rencontrant Che Guevara en 1959. Chacun avait choisi ses amis.

Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi
Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi
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Militaires du corps expéditionnaire exhibant le drapeau de la République rifaine le 28 mai 1926
Militaires du corps expéditionnaire exhibant le drapeau de la République rifaine le 28 mai 1926
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  1. Père de Jose Antonio, plus tard fondateur de la Phalange.
  2. Le Petit Journal, 17 juillet 1925.
  3. Journal des Débats, 9 décembre 1925.
  4. Jose Alvarez, The Betrothed of Death. The Spanish Foreign Legion During the Rif Rebellion, 1920-1927, Greenwood Press, USA, 2001.
  5. Philippe Valode, Les hommes de Pétain, Nouveau Monde Éd., 2011.
  6. Le Figaro, 8 novembre.
  7. Vincent Courcelle-Labrousse & Nicolas Marmié, La guerre du Rif. Maroc, 1921-1926, Paris, Éd. Tallandier, 2008.
  8. « Rôle militaire de l’aviation au Maroc », Revue de Paris, 1er février 1926.
  9. Le Petit Parisien, 15 juillet.
  10. Qui a succédé à Painlevé en novembre 1925.

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