Ave Sarkozy, ceux qui ne peuvent oublier te saluent
«Mais qu’est-ce que tu connais toi de la France sinon Bugeaud et Bigeard? A partir d’aujourd’hui, je voudrais que tu retiennes que mes camarades et moi n’avons fait que notre devoir, car nous sommes l’autre face de la France. Nous sommes l’honneur de la France».
Francis Jeanson (responsable du réseau des porteurs de Valises)
Il y a quatre ans, lors de la venue de Chirac, je l’avais accueilli par ces phrases: «Ave Chirac, ceux qui ont souffert te saluent» paraphrasant, ainsi, les gladiateurs saluant César avant le combat. Je salue cette fois-ci le président Sarkozy en lui répliquant d’emblée que nous ne pouvons oublier ce qui s’est passé. Il ne peut y avoir en l’occurrence de solde de tout compte. Même si les politiques font dans le «politiquement correct», ils n’engagent qu’eux-mêmes et non l’Algérie profonde.
«Le peuple algérien semble indifférent : « Une simple visite de courtoisie » qui vise à garder les relations bilatérales actuelles, « en attendant de savoir ce que nous réserve l’avenir« . En tenant ces propos, lundi 26 novembre, dans le quotidien El Khabar, le plus gros tirage d’Algérie, Mohamed Abbas, le ministre des Moudjahidine (anciens combattants), a créé la stupéfaction. La visite d’Etat de Nicolas Sarkozy en Algérie, les 3, 4 et 5 décembre, ne déclenche pas un enthousiasme excessif au sein de la population algérienne — ici, le nom du nouveau président français est synonyme de restriction des visas, de tests ADN, de soutien à Israël. […] Alger fait mine d’adopter le même langage pragmatique que l’Elysée, mais, de toute évidence, les blessures et les non-dits sont loin d’avoir disparu.»1
[…] Pour nous Algériens qui avons souffert dans notre chair pendant 132 ans, nous sommes, naturellement, plus que tous les autres, sensibles à la paix. A bien des égards les perturbations existentielles qui nous occupent, sont des répliques d’un tremblement de terre qui a eu lieu le 5 juillet 1830… Notre société qui a été profondément déstructurée n’a pas pu participer en son temps au mouvement de l’histoire et de la première révolution industrielle. Qui sait si nous n’aurions pas évolué d’une façon plus positive, s’il n’y avait pas eu l’invasion! A bien des égards aussi, notre gap technologique vient de notre état de colonisé pendant un siècle et trente ans. Nos interrogations sur le choix de société, pendant que les autres vont à la conquête de la science, nous vient du retard accumulé. Qui sait si nous n’aurions pas évolué comme les nations actuelles dites développées, si nous n’avions pas subi la colonisation inhumaine! C’est cela aussi la vraie dette de la France. La refondation des relations avec une France sereine permettra aux deux pays de regarder l’avenir avec sérénité.
Il faut bien en convenir, la loi du 23 février 2005 est vécue par les Algériens comme une nouvelle violence. Les Algériens ne comprennent pas que pour un sujet aussi important, aussi chargé de faits et de méfaits, il n’ait pas été fait preuve de plus de discernement. Nous ne tomberons pas dans le travers du négationnisme de la douleur et de l’atrocité de la colonisation vu du côté des indigènes. Nous disons que la colonisation, malgré ses aspects sanguinaires et de déni de la dignité, a laissé, par le dévouement de certains de ses instituteurs et enseignants, l’amour d’une langue et d’une culture. A titre d’exemple, l’humanisme sans complaisance d’André Mandouze qui a aidé le peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance restera, pour nous tous, une leçon de vie et ne disparaîtra jamais. André Mandouze, non seulement a gardé son enseignement, mais, de plus, a accompagné l’enseignement supérieur algérien balbutiant. A tous ces titres, il mérite notre respect profond et notre recueillement à sa mémoire. Si on devait, objectivement trouver quelque attrait à la présence française en Algérie, en l’occurrence, les Algériennes et les Algériens ne sont pas ingrats. Ils sont reconnaissants à la France de compter, en son sein, des hommes de la trempe et de la dimension du professeur Mandouze. A titre individuel, les Mandouze, Jeanson, et tant d’autres ont transcendé les interdits pour venir prêcher inlassablement la paix, la tolérance, le respect de la dignité humaine. Assurément, ils ont largement leur place parmi les «Justes».2 […]
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A la veille de la visite de Sarkozy en Algérie «L’héritage mémoriel» en débat à Paris
La visite d’Etat du président français Nicolas Sarkozy en Algérie ravive le débat sur la relation bilatérale entre les deux pays avec, comme toile de fond, un héritage mémoriel contradictoire largement abordé lors d’une conférence de presse organisée hier à Paris par le Club des journalistes algériens en France (CJAF), en présence de Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Communication, la sénatrice socialiste Bariza Khiari, Rachid Kaci (UMP), conseiller technique à la présidence français, et M. Jean-Pierre Tuquoi, journaliste au Monde et spécialiste du Maghreb, auteur de «Paris-Alger: couple infernal» paru en novembre dernier. […] Reconnaître ces faits, assumer son passé font partie, selon M. Rahabi, du «devoir de mémoire». […] Or, tous les comportements qui sont en train de s’ériger aujourd’hui en règle notamment en France, avec la loi du 23 février 2005, la réhabilitation des criminels de l’OAS ou l’inauguration samedi dernier à Perpignan d’un «mur des disparus» qui vise à la réhabilitation des tenants de la période coloniale, ne vont pas dans le sens de cet «apaisement». «On ne peut pas aboutir à des relations assainies en développant ce type de geste tout à fait révisionniste, tout à fait inamical et tout à fait inacceptable», a plaidé M. Rahabi dont les propos n’étaient pas du goût de M. Rachid Kaci.
Visiblement contrarié, M. Kaci a estimé que la meilleure manière d’aborder «sereinement» ce passé est «de laisser les historiens travailler», de leur «laisser ce passé». Il a relevé au passage que «les paroles (de M. Rahabi) ne sont pas celles d’apaisement». «La philosophie générale de Sarkozy lors de ce voyage est justement un voyage d’apaisement», dira-t-il avec cette idée bien claire d’opposer deux points de vue forcément différents. Il s’est dit, par ailleurs, «surpris» de voir «ce décalage profond qu’il y a entre les populations et les classes politiques» y compris dans son propre parti politique UMP (majoritaire) dont des députés ont voté la loi de février 2005. Comme pour justifier les gestes des élus du sud de la France, qui participent sciemment à raviver les nostalgiques de l’Algérie française, il a insinué qu’ils «ont un électorat local et leur prise de position qui est, quelques fois scandaleuse vis-à-vis de l’Algérie notamment, s’explique par la présence massive d’un électorat d’une population issue de l’Algérie (les rapatriés)». Même s’il trouve que le vote de la loi du 23 février 2005 — dont un article faisant l’apologie de la colonisation fut abrogé — «n’est pas constructif du tout», il a insisté sur le rôle des historiens dans l’écriture de cette histoire «partagée».
Ce qui n’est pas l’avis du journaliste Jean-Pierre Tuquoi. Rappelant la «spécificité algérienne» bien détaillée dans son dernier opus «Paris-Alger: couple infernal», laquelle spécificité est traduite par «une colonisation de peuplement» pratiquée par la France coloniale, le journaliste a estimé qu’il est certes vrai qu’il y a changement de générations mais «cette mémoire commune, cette mémoire de l’Algérie française va continuer à peser longtemps sur la relation» entre les deux pays.
«Je ne crois pas qu’il faille laisser simplement aux historiens le soin de trouver des compromis, d’écrire l’histoire entre la France et l’Algérie. Je crois que se défausser très facilement d’une responsabilité qui dépasse les historiens. […] Ils ont un rôle très important à jouer au moins aussi important que celui des historiens. Je pense qu’il revient aux politiques de faire en sorte qu’il y ait une mémoire partagée», s’est-il démarqué. Selon lui, le travail des politiques doit venir des gestes à faire et qui doivent aller dans le sens de cet «apaisement» tant souligné lors de cette rencontre. «Malheureusement avec ce qui est en train de se passer, on s’écarte un peu de ce chemin», a regretté M. Tuquoi. […]
D’autres sujets, telle la question de la circulation des personnes, ont été abordés. M. Rahabi a donné un chiffre qui renseigne sur les restrictions en vigueur depuis ces dernières années en matière de délivrance de visas. «Le volet humain est très important entre le Sud et le Nord» or «l’Occident est très aride» sur ce point et pour preuve, les visas délivrés aux Algériens ont diminué de «60%, pour passer de 750.000 à 200.000 visas» au cours de ces dernières années, a-t-il dit. Tous les intervenants se sont accordés à dire qu’il faut un «desserrement des visas» et une «meilleure fluidité» dans la circulation des personnes. Avec la pléthore des lois françaises sur l’immigration et les nouvelles mesures de plus en plus restrictives qui les accompagnent, ces propositions font malheureusement figure de voeux pieux.
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Les dits et non-dits d’une visite
Les relations entre les deux pays ont toujours été passionnelles.
[…] Il est évident que les choses ne sont pas et ne peuvent être aussi simples que l’on veut le faire croire d’autant que, d’une manière ou d’une autre, le contentieux historique entre l’Algérie et la France ne peut être ni ignoré ni dépersonnalisé. Cet arrière-fond «d’Histoire» commune entre Alger et Paris, demeurera, de fait, l’épée de Damoclès qui perturbe et continuera à perturber les rapports entre les deux pays, tant que la France n’aura pas assumé dans leur totalité les crimes commis en son nom par la colonisation. Comment, en effet, prétendre construire des relations sereines, apurées et durables entre l’Algérie et la France tant que subsistera le spectre du passé colonial français et si la France officielle refuse ce geste de reconnaissance propre à résorber cette triste page entre nos deux pays et à redimensionner des rapports qui ne peuvent être bénins tant ce qui lie l’Algérie à la France, la France à l’Algérie, est aujourd’hui tellement inextricable qu’il serait fallacieux d’en déterminer la quintessence. Or, même ce que la France ne nous a pas donné, nous l’avons pris, conservé et développé comme c’est le cas de la langue française, que l’écrivain algérien Kateb Yacine avait qualifié de «butin de guerre».
En 1962, l’Algérie n’était pas francophone, une minuscule minorité comprenait le français, en 2007 le français est une langue usitée par une large majorité d’Algériens. Notre pays est le premier pays francophone (hors la France) dans le monde, même si celui-ci ne fait pas partie de l’Organisation internationale de la francophonie. La part des émigrés algériens au développement de la France est mesurable en chiffres et en taux tant cette catégorie de citoyens franco-algériens occupe des postes de plus en plus névralgiques dans la hiérarchie politique, économique, commerciale et culturelle de la France d’aujourd’hui. Et ce n’est pas M. Sarkozy qui nous démentira qui s’est entouré d’une brochette de cadres algériens issus de l’émigration, en leur confiant des postes de ministres ou de conseillers.
Cela pour dire que les relations entre l’Algérie et la France ne sont pas et ne peuvent être ni modiques ni convenus au regard, singulièrement, du poids de l’Histoire commune — avec tout ce qu’elle a de positif et ce qu’elle a pu avoir de négatif — qui condamne Alger et Paris à oeuvrer dans le sens d’aplanir des contentieux que des ressentiments inévitables peuvent ici et là éveiller. […]