Toulon, le 28 juillet 2006
Madame,
Votre lettre du 23 juillet 2006 m’est bien parvenue et je tiens à vous dire avant tout que je comprends et respecte votre douleur, ravivée chaque 5 juillet, jour anniversaire de la disparition de votre père, Paul Teuma, survenue à Oran, en 1962.
D’ailleurs, la manifestation que vous avez organisée à Marseille le 5 juillet dernier est mentionnée sur notre site1, accompagnée d’une photo – une façon d’être « à vos côtés ».
Puis-je vous rappeler que, le 27 septembre 2005, lorsque, à l’initiative de la section de Toulon de la LDH, une délégation de femmes proches de disparus2 en Algérie a été reçue en mairie de Toulon, nous avons tenu à y associer « le souvenir des Français disparus à la fin de la guerre d’Algérie »3. Vous ignorez peut-être que, dans les jours précédant cette rencontre, j’avais personnellement pris contact avec le président d’une des associations qui maintiennent ce souvenir pour lui proposer de nous accompagner ; cette proposition n’a malheureusement pas eu de suite, je le déplore, mais cela n’a pas été de notre fait.
Pour ce qui concerne l’exigence d’établir la vérité, sans cesse renouvelée par les familles endeuillées, quelle que soit leur nationalité (ou leur « origine »), c’est une demande que la LDH renouvelle en toutes circonstances. Nous l’avons encore écrit le 4 juillet dernier : « La demande de vérité exprimée par les familles sur la disparition de leurs proches est légitime et nous la soutenons, en dehors de toute instrumentalisation politique. » 4
Nous avons également le souci de ne pas laisser cette tragédie tomber dans l’oubli et c’est pourquoi nous publions sur notre site des études s’y référant5. Nous déplorons le silence officiel sur ces événements et nous souhaitons qu’« une confrontation systématique des témoignages et des documents dans les deux pays »6 permette d’établir les faits avec la plus grande objectivité possible.
Pour comprendre ce drame du 5 juillet 1962, il faut le remettre dans son contexte. Il faudra en particulier ne pas oublier qu’il a été précédé par les nombreuses provocations meurtrières de l’OAS contre des civils (et parmi eux les Algériens ont été de loin les plus nombreux), ce rappel ne justifiant d’aucune façon les meurtres du 5 juillet à Oran.
Nous avons publié sur ce site l’appel du collectif de Perpignan qui refuse le projet de la mairie. Ce refus se comprend aisément : les membres des comités de pilotage du projet municipal ainsi que les historiens de référence sont tous partisans de l’Algérie coloniale ; à ma connaissance, aucun d’entre eux n’a jamais dénoncé les agissements de l’OAS et sa part de responsabilité dans la fin dramatique de la guerre d’Algérie pour les Pieds-Noirs, notamment à Oran. De plus, beaucoup des associations qui participent au projet sont liées à l’Adimad qui regroupe d’anciens membres de l’OAS ayant contribué à créer l’irréparable entre les deux communautés.
Il n’est pas acceptable que la mémoire et le chagrin soient utilisés pour honorer une seule catégorie de victimes et servent en même temps à réhabiliter l’OAS, une organisation qui a voulu renverser la République par tous les moyens criminels, y compris l’assassinat (manqué) du Chef de l’État.[Souligné par nous]
Dans l’espoir que notre échange pourra déboucher sur un progrès de la vérité et du respect de la mémoire de toutes les victimes, je vous prie, Madame, d’accepter l’expression de mes sentiments les meilleurs.