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Après un naufrage (2009)

Immigration et naufrages à Mayotte

Nouveaux naufrages entre Mayotte et les Comores. Après la Ligue des droits de l'Homme, une commission sénatoriale met en cause la politique mise en place pour «maîtriser l'immigration» dans ce cent-unième département français.

Immigration à Mayotte :

des sénateurs proposent de « remplacer » le visa Balladur

par Gabriel Kenedi, Zinfos974.com, le 19 juillet 2012

Des sénateurs ont mené une mission à Mayotte et sont revenus très préoccupés par la situation migratoire dans l’île et aux Comores. « Des dizaines, voire des centaines meurent chaque année lors de la traversée entre l’île d’Anjouan et Mayotte », a déploré le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, qui a présenté mercredi à la presse le rapport de la mission.

L’actualité récente ne lui donnera pas tort. Rien que ses deux derniers mois, deux naufrages de kwassa-kwassa avec à bord des clandestins comoriens ont provoqué plusieurs dizaines de morts et de disparus au large de Mayotte.

La principale préconisation des sénateurs est de revenir sur le « très restrictif » visa Balladur, en place depuis 1995. « Il n’y a pas d’autre solution que de revoir nos relations avec les Comores pour maîtriser l’immigration », explique Jean-Pierre Sueur. Le visa Balladur est « tellement contraignant », explique-t-il, que « presque personne ne peut passer légalement. Il ne faut pas le supprimer mais le remplacer par un autre plus réaliste et plus efficace », a-t-il indiqué à Médiapart.

Ouvrir un espace de régulation à l’intérieur des Comores

Christian Cointat, sénateur UMP qui a participé à la mission, estime que « ce visa ne protège rien du tout ». Il propose de remplacer le « visa Balladur » par un visa délivré aux détenteurs d’un passeport comorien. Ceci « pour ouvrir un espace de circulation à l’intérieur des Comores », y compris Mayotte, soutient-il. « Ce signe en direction de l’Etat comorien permettrait au moins de savoir qui est sur le territoire de Mayotte », explique le sénateur UMP, qui s’est aussi exprimé en faveur d’« une coopération sérieuse avec les Comores ».

« L’objectif n’est pas de renoncer à une politique de régulation de l’immigration, mais de la coupler avec une nouvelle politique de coopération régionale », précisent les rapporteurs. Les sénateurs proposent également au gouvernement de constuire un nouveau centre de rétention administrative et de renforcer l’effectif de la police aux frontières.

Mayotte ou quand

l’humanité et le droit international font naufrage…

par Thibaut Lemière, Mediapart, le 17 juillet 2012

Mayotte, au beau milieu du canal du Mozambique, dans l’Océan indien, vendredi 13 juillet 2012. A 3 heures du matin, heure locale, un kwassa-kwassa (barque de pêcheurs recyclée en embarcation de migrants) chavire avec à son bord 24 passagers, dont des femmes et des enfants, près des côtes sud-ouest de l’île, non loin de la ville de Boueni. Le bilan est très lourd: 7 morts, dont 4 enfants, et 6 disparus selon la préfecture de Mayotte. Un nouveau drame maritime qui vient frapper les côtes mahoraises, déjà durement endeuillées par le naufrage d’au moins trois embarcations du même type depuis le début de l’année 2012, faisant au total plus de 29 morts dont 8 enfants et des dizaines de disparus. En janvier, deux naufrages dans des circonstances similaires, et le 19 mai 2012, un nouveau drame maritime, venaient relancer la question des flux migratoires dans cette île demeurée française depuis 1975 malgré les objections internationales.

En effet, depuis le 1er janvier 1995, le tandem Balladur-Pasqua, respectivement premier ministre et ministre de l’intérieur, instaurait un visa pour réglementer la circulation entre les trois autres îles de l’archipel des Comores et Mayotte. Une fermeture des frontières qui intervenait après des siècles de libre circulation entre les îles, mouvement tellement ancien qu’il n’est pas une famille qui ne soit dispersée sur l’ensemble des îles de l’archipel. Un verrouillage des frontières aux hommes mais également aux marchandises, puisque ce visa s’accompagna de barrières douanières renforcées sur les échanges « traditionnels » de la région (Comores et Madagascar principalement). C’est cette situation, combinée avec une politique du chiffre décrétée dès les années 2000 par les responsables politiques français engagés dans une nouvelle politique d’immigration, qui conduira au développement de la « question » ou plutôt du « problème » migratoire à Mayotte.

Après un naufrage (2009)
Après un naufrage (2009)

L’édification de ce mur administratif de 1995 va instaurer la sédentarisation d’une partie des populations des Comores d’un côté ou de l’autre de cette barrière qui isole Mayotte, favorisant un climat de tensions sociales accrues dans cette île qui va voir sa population multipliée par 3 en 20 ans… Le durcissement des contrôles frontaliers et l’augmentation exponentielle des reconduites à la frontière (les expulsions vont passer de quelque 4 000 en 2004 à plus de 21 000 en 2011, dont plus de 5 000 enfants mineurs) vont pousser les migrants à prendre la mer via des passeurs prêts à prendre tous les risques pour gagner les côtes de Mayotte surveillées avec des moyens policiers, renforcées par des moyens militaires tels que les trois radars qui balaient les côtes de l’île.

Une situation préoccupante puisque ces politiques mortifères de fermeture, de surveillance des frontières, combinées avec des reconduites chiffrées massives, vont transformer ce bras de mer en l’un des plus vastes cimetières marins du monde. On estime ainsi à plus de 7 000 le nombre de morts et disparus depuis 17 ans; et ce dans une indifférence quasi-généralisée en France métropolitaine et en Europe. Tant est si bien qu’un François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, de passage sur l’île de Mayotte fin janvier 2012, déclarait à propos des naufrages survenus le même mois que « Mayotte, c’est la honte pour Paris : avouer qu’aux yeux de tous, des gens meurent dans des eaux françaises… Si ça s’était passé à Lampedusa, ça aurait fait les gros titres ! »

Une indifférence qui semble persister sous la France « du changement » puisque Mayotte reste exclue des nouvelles dispositions législatives concernant les migrants. La circulaire Valls qui légifère sur la rétention et l’enferment des mineurs et de leur famille ne s’appliquera pas à Mayotte, pourtant devenu le 101e département de France depuis mars 2011. Les enfants de Mayotte ne seraient-ils pas des enfants ? Toujours est-il que la répression sur les migrants dans l’île aux parfums continue. Les malheureux exilés se trouvant enfermés avec femmes et enfants dans des conditions abominables maintes fois dénoncés (par le journal Libération en 2008, ou par l’observateur des lieux d’enfermement monsieur Delarue, depuis 2009) sans voir poindre la moindre avancée notable.

Naufrage (Mayotte 2009)
Naufrage (Mayotte 2009)

Ce ne sont pas non plus les déclarations du nouveau ministre de l’outre-mer, Victorin Lurel, en visite à La Réunion, qui laissent souffler un vent d’espoir de changement. Ce dernier, interrogé sur le drame du 13 juillet, déclarait: « C’est une situation triste, et je partage la douleur des familles des victimes […] Cela se passe à Mayotte, mais aussi ailleurs, en Guyane notamment». Des regrets, mais pas la moindre proposition concrète et durable pour remédier à ces drames et cette situation ubuesque de cette île isolée par la volonté politique.

Un ministre qui faisait part, la veille, de sa très grande satisfaction après la décision du Conseil européen de reconnaître Mayotte en tant que Région Ultra- Périphérique (RUP). Car, ironie du sort, ce drame intervient quelques jours après l’annonce officielle, mercredi 11 juillet, de l’intégration de Mayotte dans l’Union européenne en tant que RUP, rejoignant la Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin, les Açores, les Canaries et Madère. Le Conseil européen réunissant les 27 chefs de gouvernement de l’Union européenne, après examen, a donné un avis favorable à la requête formulée par la France d’intégrer Mayotte dans l’espace européen. Une décision initialement prévue le 29 juin dernier mais reportée suite à un vice de procédure.

Ce choix de l’Union Européenne ancre un peu plus la présence française dans la région. Une présence et une occupation territoriale pourtant condamnée par le droit international et les institutions internationales, au premier rang desquels l’ONU. En effet, depuis 1975, date de la proclamation suite à un référendum de l’indépendance des Comores, l’ONU a pris pas moins de 20 résolutions condamnant le maintien dans le giron français de ce territoire reconnu comme appartenant à l’archipel comorien. Des résolutions renforcées par les condamnations régulières de la France par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) ou encore la Ligue arabe, dont les Comores font partie. Une orientation de l’Union européenne pour le moins étonnante puisque des états membres de l’UE avaient eux aussi condamné la présence française à Mayotte en reconnaissant l’intégrité territoriale des Comores (c’est-à-dire un archipel de quatre îles et non de trois). Une décision qui ne fait pas non plus l’unanimité à Mayotte où certains collectifs ou associations mahorais tel que les IndignéEs avaient clairement pris position contre cette « Rupéaisation » de Mayotte. Ils avaient même adressé un courrier aux députés européens les mettant en garde contre un vote « en faveur de ce nouveau statut pour Mayotte, vous soutenez un processus géopolitique qui déstabilise cette région […] Soutiendrez-vous par votre vote cette politique préjudiciable aux équilibres d’une île, d’un pays et plus largement encore de toute une région ? »

Reste à savoir ce que cette intégration à l’Union européenne, entérinant un fait colonial, une décision riche de conséquence diplomatiquement et politiquement, aura comme répercussions sur la vie locale, mais aussi plus largement pour l’ensemble de la région.

Communiqué LDH

A Mayotte, ce n’est pas la mer qui tue, c’est la politique !

Samedi soir 19 mai 2012, une embarcation s’est renversée dans le sud de Mayotte.

Elle arrivait d’Anjouan, chargée de quarante-trois personnes, dont quatre enfants. On compte cinq morts et quinze disparus. Autrement dit, la moitié des passagers a perdu la vie. La LDH considère que la responsabilité de la France est engagée, et qu’elle ne peut la rejeter sur la mer dangereuse ou sur la sécurité du territoire.

C’est, dit-on, « Un drame de plus, avant d’autres à venir ». La phrase peut paraître juste. Mais elle ne prend de sens que si l’on dit la nature du drame. Il ne s’agit pas de misère, de naufrage de clandestins voulant rejoindre la France qui ne peut, tout le monde le sait « accueillir toute la misère du monde ». En réalité, les personnes embarquées sur ce « kwassa » sont celles auxquelles un simple accès au droit a été refusé. Certains demandaient une régularisation de leur situation, d’autres que l’on fasse accueil à la demande de délivrance de leur carte nationale d’identité (CNI).

Ce ne sont pas les « clandestins » de Mayotte, ceux qui auraient tenté de « débarquer illégalement sur l’île pour y travailler et s’y faire soigner », ceux dont on dit qu’ils n’ont ni attache ni connaissance de la France que de savoir que l’on y rase gratis ! Nombre d’entre eux ont des liens profonds avec Mayotte (une île parmi d’autres d’un archipel qui s’appelle les Comores) mais ils n’arrivent pas à se faire entendre. D’abord parce que le droit à Mayotte est dérogatoire et qu’on y applique une réglementation qui n’a rien à voir avec la loi commune, ensuite, faute de personnels suffisamment qualifiés et en nombre pour traiter leur demande. Ainsi plusieurs milliers de Français de droit n’ont pas accès à la CNI et sont donc expulsables sans recours suspensif, selon les consignes expresses de l’administration et leur application par les services de police et de gendarmerie.

A raison de plus de vingt mille expulsions par an –dont la plupart dans la plus grande illégalité–, les « sans-papiers » de Mayotte ont déjà été expulsés plusieurs fois et cette politique conduit à la mort : le mur de radars ne laisse de passages que dans les zones les plus dangereuses où viennent se disloquer les barques sans que rien ne change dans la politique et le droit, loin, si loin de la France…

La LDH demande au gouvernement le rétablissement de la loi et des règles de droit sur tout le territoire de la République. Elle s’adresse à Victorin Lurel, ministre de l’Outre-mer, pour qu’il entame une approche, par les droits, de la situation mahoraise.

Paris, 22 mai 2012.

En bref :

comores.gif

Le référendum d’autodétermination de 1974, organisé île par île par la France dans son ancienne colonie des Comores, entraîna la scission de l’archipel : trois des quatre îles (Grande Comore, Anjouan et Mohéli) optèrent pour l’indépendance et constituèrent un État souverain en 1975, alors que la quatrième, Mayotte, demandait son rattachement à la France. Mayotte est devenu un département français le 31 mars 2011.

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