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Cannes, le 21 mai 2010.

De la campagne de dénigrement du film « Hors-la-loi » à la « Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie »

La campagne contre le film Hors-la-loi a été orchestrée par quelques députés UMP, élus de départements où la présence de nombreux rapatriés d'Afrique du Nord et de leurs descendants laisse croire à l'existence d'un “vote pied-noir”. Cela augure mal de l'indépendance de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, prévue à l'article 3 de la loi du 23 février 2005, qui sera soumise aux pressions de ces ultras. D'autant que la confusion entre mémoire(s) et histoire ne fait qu'entretenir l'inquiétude provoquée par l'ambiguïté du projet d'Hubert Falco. Ci-dessous, une tentative de faire le point sur ces questions en s'appuyant sur une documentation rassemblée depuis plusieurs années — les liens pointent tous vers des pages de ce site.
Cannes, le 21 mai 2010.
Cannes, le 21 mai 2010.

Les actifs députés des Alpes-Maritimes

Les cinq députés UMP des Alpes-Maritimes qui ont participé à la manifestation de protestation contre le film Hors-la-loi organisée à Cannes le 21 mai 2010 – Bernard Brochand, Jean-Claude Guibal, Jean Léonetti, Lionnel Luca et Michèle Tabarot – avaient pris une part active à l’élaboration puis à l’adoption de la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés »1.

Ils s’étaient battus jusqu’au bout pour défendre le second alinéa de son article 4 qui demandait que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».

C’est Michèle Tabarot qui avait rappelé à l’Assemblée Nationale le 29 novembre 2005 le « passé glorieux de la France en Algérie qui a construit 123 hôpitaux, 56.000 kms de routes, des ports, des aéroports, des dispensaires, qui a éradiqué des maladies comme le paludisme ».

C’est Lionnel Luca qui, après que Jacques Chirac se soit résolu à supprimer l’alinéa litigieux, avait organisé le baroud d’honneur du 3 février 2006, à Saint-Laurent-du-Var.

Et c’est ce même Lionnel Luca qui a lancé la campagne contre Hors-la-loi.

La croisade d’Elie Aboud

Un autre député UMP a participé à la manifestation de Cannes : Elie Aboud, président depuis juillet 2008 du Groupe d’études parlementaire sur les rapatriés.

Cet élu de l’Hérault manifeste un activisme volontiers provocateur sur le sujet de la présence française en Algérie : il était présent au cimetière neuf de Béziers le 26 mars 2009 lors de l’hommage qui y a été rendu aux quatre membres de l’OAS condamnés à mort et fusillés. Après avoir déposé en septembre 2009 une proposition de loi «visant à préserver la mémoire des victimes de la guerre d’Algérie» 2, il en prépare une seconde concernant la mention «Mort pour la France»3.

Un article de l’édition du 29 avril 2010 du Midi libre, intitulé « Le député Aboud lance une croisade contre le film de Bouchareb », a rapporté des propos de d’Elie Aboud sur Hors-la-loi : tout en avouant ne pas en avoir lu le scénario, il fait état de « fuites » selon lesquelles « ce film entâche de façon très violente la présence de la France en Algérie et fait la promotion du FLN », et exprime la crainte que le film « attise les haines au moment où nous allons lancer – en juin – une fondation pour la mémoire apaisée entre la France et l’Algérie. »

Thierry Mariani à la pêche aux voix4

Est-ce son échec aux élections régionales de mars 2010 où il avait été choisi par Nicolas Sarkozy pour conduire la liste UMP en région PACA et le score élevé réalisé par le Front national (il a dépassé 20% au premier tour) qui a incité ce député UMP du Vaucluse à intervenir violemment dans la polémique au sujet de Hors-la-loi ? « Cela suffit ! a-t-il déclaré dans Valeurs actuelles, le 20 mai 2010, à la veille de la projection du film à Cannes. Il y en a assez d’entendre, de lire ou de voir des films où il est expliqué à quel point la France s’est mal conduite durant la guerre d’Algérie ».

Il faut rapprocher cette déclaration de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Thierry Mariani, cosignée par Élie Aboud, Lionnel Luca, Michel Voisin et Claude Goasguen5. En voici l’article unique, qui s’inscrit dans le prolongement de la loi du 23 février 2005 :

«La France reconnait les souffrances subies par les citoyens français d’Algérie victimes de crimes contre l’humanité commis du 19 mars 1962 au 31 décembre 1963 du fait de leur appartenance ethnique, religieuse ou politique.»

Hubert Falco, maire de Toulon et secrétaire d’État

Sa victoire à Toulon sur le Front national lors des élections municipales de 2001 restera le titre de gloire d’Hubert Falco. Elu maire de Toulon, Hubert Falco a ménagé la partie “nostalgérique” de la population toulonnaise. C’est ainsi qu’on a pu à diverses occasions découvrir au pied du monument à l’Algérie française 6 une gerbe du maire de Toulon.

Trois jours plus tard, les fleurs déposées le 26 mars 2005 sont toujours en place.
Trois jours plus tard, les fleurs déposées le 26 mars 2005 sont toujours en place.

Quel est le sens d’un tel geste accompli en un lieu régulièrement fleuri par l’ADIMAD, association vouée à la défense de la mémoire des membres de l’OAS ? Que répondre aux enfants que l’on y voit souvent jouer au ballon, quand ils vous interrogent sur la signification de l’expression “Algérie française” ?

Depuis sa nomination le 23 juin 2009 à la tête du Secrétariat d’Etat à
la Défense et aux Anciens combattants, Hubert Falco se trouve en première ligne… Il a notamment participé en novembre 2009 à la promotion de l’album où Patrick Buisson expose sa vision très orientée de l’action de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Bien qu’il n’ait pas eu la possibilité de visionner le film, Hubert Falco a commencé par dénoncer Hors-la-loi. Mais il a pris ses distances par rapport à la manifestation de Cannes tout en rappelant dans un communiqué diffusé le 20 mai qu’il avait « pris en compte les observations factuelles émises par le Service historique de la défense »7.

Hubert Falco
Hubert Falco

La Fondation pour la mémoire…

Un point important de la “feuille de route” de Hubert Falco est la mise en place de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie, qui est prévue à l’article 3 de la loi du 23 février 2005 et qui sera créée prochainement.

Le 2 février 2010, une question posée par Elie Aboud a permis d’évoquer ce projet à l’Assemblée nationale. Cette fondation « ne sera pas un instrument politique», a déclaré Hubert Falco, et elle «ne sera pas partisane». Il a poursuivi : elle «n’est pas chargée d’écrire l’histoire de la guerre d’Algérie», mais «il est temps de parler librement, dans un devoir de vérité, pour transmettre à nos jeunes l’histoire de cette période.»

Comment comprendre ces déclarations révélatrices d’une confusion entre histoire et mémoire ? Une confusion confirmée par le secrétaire d’État aux Anciens combattants dans son intervention devant le congrès national de l’Union nationale des combattants, à Montpellier, le 14 mai 2010 : « Il s’agit de défendre la vérité simple, la vérité toute nue. Il s’agit de réunir des historiens et des spécialistes, de récolter les témoignages des anciens combattants et de réaliser sur cette période de notre histoire un travail de réconciliation des mémoires… »8, et dans son communiqué du 20 mai : « Réconcilier les mémoires et faire la vérité, c’est tout le sens de l’action menée par Hubert Falco en vue de créer, cet été, la fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie »9.

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Teminons en rappelant la lettre ouverte intitulée L’autre 8 mai 1945 que la section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme a adressée à Hubert Falco, et concluons avec cet extrait de l’appel Liberté pour l’histoire ! du 13 décembre 2005 10 :

«L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas.»

  1. La loi du 23 février 2005 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000444898.
  2. Proposition de loi enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2009 :
    http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1945.asp.
  3. Voir sur le site d’Elie Aboud : http://www.e-aboud.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=351:reunion-nationale-des-rapatries-a-beziers&catid=11:actualites&Itemid=54.
  4. Thierry Mariani est également connu pour l’amendement qu’il avait proposé lors de l’examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile à l’Assemblée nationale en vue de permettre de vérifier, par l’analyse des ADN, la réalité des filiations alléguées par les candidats au regroupement familial. Cette mesure semble avoir été abandonnée.
  5. Proposition de loi N° 2477, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 avril 2010 : http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion2477.asp.
  6. Un monument rendant hommage à Roger Degueldre, chef d’un des plus sinistres commandos de l’OAS.
  7. Communiqué de presse diffusé le 20 mai : http://www.armees.com/Ceremonie-organisee-le-vendredi-21-mai-a-Cannes,33313.html.
  8. Extrait de l’intervention d’Hubert Falco – un discours d’anthologie – devant le congrès national de l’Union nationale des combattants, à Montpellier, le 14 mai 2010 : http://discours.vie-publique.fr/notices/103001139.html.
  9. Référence : voir la note [7].
  10. Source : 1086.
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