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Hubert Falco veut voir des uniformes pour se sentir bien (© Jacques Robert)

Hubert Falco dénonce un film qu’il n’a pas vu

Hubert Falco a été nommé, le 23 juin 2009, secrétaire d'Etat à la Défense et aux anciens combattants (SEDAC), où il a succédé à Jean-Marie Bockel. Dans ces nouvelles fonctions, il a hérité d’un dossier : le film Hors-la-loi de Rachid Bouchared. En effet, le SEDAC avait saisi le Service historique de la défense (SHD) dès le 18 juin 2009, en lui demandant un « avis historique sur un projet de film réalisé par Rachid Bouchared »1.
Hubert Falco veut voir des uniformes pour se sentir bien (© Jacques Robert)
Hubert Falco veut voir des uniformes pour se sentir bien (© Jacques Robert)

« En politique, il suffit d’avoir une bonne conscience,

et pour ça il faut avoir une mauvaise mémoire !
»

Coluche1

Les conclusions du SHD ont été sans appel : après étude du scénario (mais ce n’était pas celui du film terminé), le général de division Gilles Robert, chef du SHD, assure dans une note interne datée du 19 septembre 2009 à l’attention d’Hubert Falco que « les erreurs et les anachronismes sont si nombreux et si grossiers qu’ils peuvent être relevés par tout historien ». Et il poursuit : « Les nombreuses invraisemblances présentes dans le scénario montrent que la rédaction de ce dernier n’a pas été précédée par une étude historique sérieuse. »2

Le combat de Lionnel Luca

Un rapport dont n’a pas manqué de se prévaloir le député UMP des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca. Chassant sur les terres de l’extrême-droite, ce fervent défenseur de la loi du 23 février 2005 qui louait le « rôle positif » de la colonisation3 dénonce depuis des mois un film qu’il qualifie de « révisionniste »4. Il accuse le réalisateur de « falsifier l’histoire » et lui reproche d’être « un irresponsable qui met le feu aux poudres »5.

Le 7 décembre 2009, Lionnel Luca s’adresse à Hubert Falco pour l’alerter sur le contenu du film et lui demander «de bien vouloir veiller à ce que la sortie du film ne puisse être cautionnée par les officiels français.». Le secrétaire d’État lui répond, dans un courrier daté du 15 janvier 20106, qu’il a «saisi» le SHD pour « analyser le contenu historique du scénario ». Après avoir évoqué des « invraisemblances, parfois grossières, [qui] montrent que la rédaction du scénario n’a été précédée d’aucune étude historique sérieuse », il conclut : « Je veillerai pour ma part, au nom de la défense de la mémoire, qui relève de mes attributions, à ne pas cautionner ce film » 7 – un film qu’il n’a pas vu !

« On peut quand même s’étonner qu’un service public – le SHD – soit ainsi mis à disposition d’un politicien – Lionnel Luca – contre un artiste », commentera Olivier Duhamel8.

Voila qui laisse présager l’usage qui pourra être fait de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie dont Hubert Falco a annoncé la prochaine création en application de l’article 3 de cette loi du 23 février 2005.

Une “croisade”

Des mouvements d’extrême-droite lancent une « Croisade sur la Croisette », appelant à manifester et à « pourrir » la projection du film de Rachid Bouchareb prévue le 21 mai, en clôture du festival : « Nous leur crierons notre indignation de voir les porteurs de valises et les déserteurs être glorifiés par le film et être élevés au rang de “Justes” pour avoir fourni des armes aux assassins de soldats français. »

Le 3 mai, à l’ouverture des débats du conseil municipal de Cannes, André Mayet, conseiller municipal de la majorité UMP, subdélégué aux Anciens combattants, quitte solennellement la salle en déclarant : « Les délibérations de ce conseil municipal me paraissent tellement futiles par rapport à ce que je viens de vous exposer que je préfère ne pas y participer ! » Président de la Maison des rapatriés, il prédit « un vomissement sur la France et sur l’armée française ». Il considère que « le préfet des Alpes-Maritimes doit prendre ses responsabilités [en interdisant] la projection de ce film pour risque de trouble à l’ordre public » ; à défaut, il appelle à « l’occupation des marches du Palais. » Cette prise de position, radicale, a été applaudie par l’opposition divers-droite de Philippe Tabarot qui s’associe « bien volontiers à ces propos »9.

Soutiens

Dans une tribune intitulée « les guerres de mémoires sont de retour »10, une douzaine d’intellectuels ont réagi à ces attaques en dénonçant le « retour en force de la bonne conscience coloniale» et en rappelant que « le pire est à craindre quand le pouvoir politique veut écrire l’histoire ».

L’Observatoire de la liberté de création «proteste contre ces pressions de responsables politiques qui cherchent à faire obstacle à la liberté du réalisateur de donner sa version de la guerre d’Algérie »11.

Des historiens s’expriment. Benjamin Stora dénonce la «campagne» menée contre le film et appelle à « affronter » « le refus d’assumer la guerre d’Algérie [qui] est très mal vécu par une part importante de la société française aujourd’hui. »12. Pour Gilles Manceron, le combat contre le film Hors-la-loi est un «combat d’arrière garde ». « Tôt ou tard, il devra y avoir une reconnaissance officielle de la part des autorités françaises [des responsabilités de l’État ] dans les massacres coloniaux comme ceux de mai 1945 dans l’Est algérien. »13

L’activisme de Lionnel Luca a suscité vendredi la riposte de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) : le député UMP se voit décerner un « prix de la bêtise avec un grand C » (selon l’expression de Jacques Prévert), tout juste créé pour l’occasion. Votée à l’unanimité par le conseil d’administration de la SACD, cette gratification satirique « vise à honorer ceux qui, en toute méconnaissance de cause, prendront dorénavant l’initiative de tenter de limiter la liberté d’expression en s’attaquant publiquement à des œuvres sans les avoir lues ou vues »14.

  1. Cité par Khalida Toumi, ministre algérienne de la Culture – LeMatin.dz, le 16 mai 2010.
  2. Le Figaro, 29 avril 2010.
  3. Lionnel Luca est, avec Thierry Mariani, Michel Voisin, Claude Goasguen et Élie Aboud, l’un des cinq députés signataires de la proposition de loi N° 2477, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 avril 2010, dont voici l’article unique :

    « La France reconnait les souffrances subies par les citoyens français d’Algérie victimes de crimes contre l’humanité commis du 19 mars 1962 au 31 décembre 1963 du fait de leur appartenance ethnique, religieuse ou politique. »

  4. Var Matin, 22 avril 2010.
  5. AFP – 22 avril 2010.
  6. Cité dans «Hors la loi : au pays de l’histoire officielle» d’Edwy Plenel : http://www.mediapart.fr/journal/france/300410/le-film-hors-la-loi-au-pays-de-lhistoire-officielle.
  7. LeMonde.fr, 4 mai 2010, mis à jour le 10.
  8. Chronique de France Culture, mardi 4 mai 2010 – 7h55.
  9. Nice-Matin, le 4 mai 2010.

    Philippe Tabarot est le fils de Robert Tabarot.
  10. Le texte est repris ici.
  11. Le communiqué de l’observatoire.
  12. Entretien accordé à l’AFP, le 7 mai 2010.
  13. La Tribune d’Algérie, 9 mai 2010.
  14. Le communiqué du SACD : http://www.sacd.fr/Lionnel-Luca-premier-laureat-du-nouveau-prix-Betise-avec-un-grand-C.1605.0.html.
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