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Édition du 1er au 15 octobre 2024

Hommage à Bernard Ravenel,
militant anticolonialiste et fondateur du PSU

Bernard Ravenel (1936-2023) a été l'un des fondateurs du PSU en 1960, qu'il a rejoint avec le groupe « Tribune du communisme » constitué de militants issus du PCF. L'une des raisons de son évolution politique depuis 1956 était sa fréquentation d'étudiants algériens et son soutien à la cause de l'indépendance algérienne. Devenu historien, il a publié en 2016 « Quand la gauche se réinventait. Le PSU, histoire d'un parti visionnaire, 1960-1989 » (La Découverte). Fidèle à son engagement anticolonialiste, il a été le premier président de l'Association France Palestine solidarité. Ci-dessous deux textes qu'il a écrits pour l'ouvrage publié en 2021 sur le rôle méconnu du PSU dans la protestation contre le massacre du 17 octobre 1961, et l'enregistrement d'une émission sur l'engagement de Français aux côtés des indépendantistes algériens. Un hommage lui est consacré le 27 mars 2023.

Un militant anticolonialiste



Bernard Ravenel est né le 16 mars 1936 à Saint-Quentin (Aisne) et mort le 15 janvier 2023 à Paris. Professeur agrégé d’histoire, il a enseigné en classe préparatoire à l’Institut d’études politiques de Paris.

A l’âge de 20 ans, il a quitté le Parti communiste français après l’intervention soviétique de 1956 en Hongrie et adhéré en 1960 au Parti socialiste unifié (PSU) au moment de sa création. Il a été le secrétaire de la section du PSU de la Résidence universitaire d’Antony où les étudiants se sont mobilisés en avril 1961 contre l’OAS et le Putsch des généraux d’Alger. Candidat de ce parti aux élections législatives de 1967 et 1968, il est devenu membre de son bureau national en 1972 et été responsable de son secteur international de 1974 à 1984.

Après la dissolution du PSU, en 1990, il en a écrit l’histoire et a présidé l’Institut Tribune socialiste qui fédère les associations qui perpétuent la mémoire de ce parti.

De 2001 à 2009, il a présidé l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS) et été l’un des organisateurs ensuite du Tribunal Russell sur la Palestine.


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En couverture :

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Les éditions du Croquant, 192 pages, 10 €.


Postface


1er Novembre 1961 : « le PSU fait donner la rue »

par Bernard Ravenel, président de l’Institut Tribune Socialiste.

Dans une réunion de la direction du PSU qui s’interrogeait alors sur la difficulté de peser efficacement sur la politique algérienne du pouvoir gaulliste, François Furet déclara alors : « Maintenant il faut faire donner la rue ».

Pour que cette nécessité politique puisse se concrétiser il aura fallu attendre le 1er novembre 1961- jour anniversaire du déclenchement de l’insurrection algérienne. Le paradoxe tragique qui marqua cette reconquête de la rue c’est que celle-ci avait d’abord été réalisée par les seuls Algériens le 17 octobre mais au prix d’un massacre insupportable.

Cette division de fait entre Algériens et Français qui se battaient pour la paix et pour le droit à l’autodétermination et à l’indépendance était intenable.

C’est dans cet étrange moment qui exprimait à la fois les hésitations de l’opinion et les réticences politiques de la gauche qu’avec le PSU je vais vivre intensément.

J’étais secrétaire de la section étudiante du PSU à la Résidence Universitaire d’Antony, haut lieu de mobilisation contre la guerre. Avant le 17 octobre j’avais été informé qu’à la demande du FLN des militants du PSU avaient été choisis pour être des observateurs-témoins sur le parcours prévu de la manifestation. Les militants de la région parisienne qui avaient pas été sollicités pour y participer se devaient d’être vigilants pour cette manifestation que nous savions pleine de dangers.

Au milieu de l’après-midi du 17 j’apprends par la radio qu’il y avait des incidents sérieux sur le parcours de la manifestation près de la Seine. Je décide alors d’aller en bas du Boulevard Saint Michel en direction de la Seine. Avant d’arriver sur le pont je rencontre mon copain-complice algérien Ahmed Degheb (FLN-UGEMA) qui était mon interlocuteur « secret » à la Résidence Universitaire. Quand il me voit débouler il écarte ses bras comme pour m’empêcher d’aller plus loin. « N’y vas pas c’est le massacre ». Je remonte alors le Boul’Mich hanté par ce « massacre » que je n’ai pu voir. Et je sais qu’on sera obligé de réagir fortement quand l’opinion, au moins celle de gauche, saura ce qui s’est passé…

Je ne devinai pas alors la formidable entreprise de désinformation qui allait avoir lieu dans les jours qui ont suivi. Une bataille qui a un nom : « censure », laquelle prend trois formes : une absence quasi totale d’informations par les principaux médias, une désinformation parfois grossière (Il y aurait deux morts parfois présentées comme accidentelles…) et puis et surtout la saisie de journaux qui ont voulu briser, pourtant prudemment, la censure, comme L’Humanité et Libération.

Mais cette bataille pour l’information nous l’avions en partie gagnée grâce à Claude Bourdet qui avait été mis au courant par des policiers anciens membres du Mouvement Combat dont Bourdet avait été un des principaux dirigeants.

De ce que je crois me souvenir, au moins a eu lieu une réunion des secrétaires de section de la région parisienne pour faire le point de la situation et surtout pour nous informer des contacts que le PSU a pris avec l’ensemble des syndicats et partis de gauche pour organiser une réaction commune. On apprend alors qu’aucune organisation ne semble avoir envie de bouger et qu’alors le PSU a décidé de prendre une initiative qui sera nécessairement clandestine étant donné le climat d’état de siège qui règne dans Paris rempli de forces de police.

Les difficultés d’une préparation clandestine

J’apprends donc qu’un rassemblement-manifestation dont le lieu est gardé secret a été décidé pour le 1er novembre jour anniversaire de l’insurrection algérienne, une véritable provocation qui réjouit les militants ! Nous sommes chargés de prévenir tous les militants et sympathisants et de les informer des modalités de la mobilisation qui se fera par des rendez-vous secondaires qui seront précisés par les secrétaires de section qui prendront les ultimes consignes à 14 h au local PSU du 62, Bd Garibaldi.

Une chance s’offre à moi : le samedi 31, la veille de notre initiative, un meeting est organisé à la Résidence Universitaire par le très actif groupe des Amis de Témoignage chrétien avec Hervé Bourges, rédacteur en chef de l’hebdo. Plus de 200 personnes écoutent l’orateur dénonçant avec force le massacre des Algériens par la police de Papon-Debré. Je profite de la situation et annonce que pour sa part le PSU a décidé seul d’une action le lendemain et je demande aux présents de prendre contact avec moi. 24 étudiants exactement se présentent à moi et je leur donne rendez-vous pour le lendemain pour fixer les ultimes modalités de la manifestation prévue.

Le lendemain, petite déception : nous ne sommes plus que 15, mais la mobilisation est évidemment maintenue : il y aura des groupes de 6 ou 5 (on disait « sizaine ») avec un responsable qui transmettra en temps voulu les infos concernant les étapes successives de la mobilisation. Chaque responsable aura des enveloppes fermées qu’il devra ouvrir à une heure fixée. Je me présente alors Bd Garibaldi où le camarade Janodet de Seine-Banlieue me délivre les enveloppes prévues. « Si la police est là on se replie » me dit-il. On verra bien…

Et nous voilà partis par petits groupes qui se retrouveront à 16h pile au métro Blanche où la dernière enveloppe est ouverte qui nous dit que nous devons impérativement se trouver place Clichy à 16h30. Nous y serons et trouverons une sorte de foule désœuvrée, certains faisant la queue devant un cinéma. Il m’est impossible de distinguer un manifestant potentiel d’un badaud… Enfermé dans le ghetto étudiant je connais très peu de militants. On se disperse et bientôt je me trouve proche d’un reporter d’Europe 1 qui dit dans son micro se trouver presque par hasard au milieu de la place Clichy avec des personnes qui disent qu’ils vont manifester contre le massacre des Algériens le 17 octobre… C’est Christian Bernadac, dont j’apprendrai plus tard qu’il était au PSU ! Bien joué !

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J’aperçois bientôt des militants hisser notre secrétaire national sur le socle d’une statue. Edouard Depreux annonce qu’on va manifester pour dénoncer le racisme contre les Algériens ; Il est prestement descendu et la manifestation se lance très vite car on craint malgré les précautions prises que la Police puisse arriver avant la fin de notre action… Je laisse partir le gros de la troupe, j’ai un peu peur de ne pas pouvoir courir assez vite avec une jambe abîmée par un accident récent. Je me mêle avec les derniers participants, et j’oublie ma peur au profit de la joie de m’exprimer dans Paris pour crier mon soutien au peuple algérien. On arrivera sans encombre à la hauteur du métro Blanche et on est prié de ne pas traîner. Mais on avait donné le coup d’envoi d’un mouvement de masse qui n’allait cesser de se mobiliser jusqu’à la fin de la guerre six mois après mais au prix d’un autre massacre, celui du métro Charonne.


Contre la gangrène, la riposte initiée par le PSU (extrait)

par Bernard Ravenel, président de l’Institut Tribune socialiste.

[…] Le PSU, très vite informé de la réalité du 17 octobre grâce aux informations qu’obtient Bourdet, dénonce avec vigueur cette répression hors norme. Un tract, titré « Les Algériens manifestent ! Pourquoi ? » est tiré à 125 000 exemplaires. Le PSU contacte toutes les organisations politiques et syndicales pour organiser une riposte. Aucune réponse positive.

Tract du PSU diffusé à la suite de la manifestation du 17 octobre  1961.
Tract du PSU diffusé à la suite de la manifestation du 17 octobre 1961.

Il faut attendre le 30 octobre pour que sorte un communiqué commun des syndicats de la région parisienne.

Le PSU dans la rue organise la riposte

Faute de pouvoir entraîner d’autres organisations dans la rue, le PSU décide d’y descendre seul, le 1er novembre, jour anniversaire de l’insurrection algérienne. La Fédération de France du FLN décide de ne pas bouger. Dans un Paris en état de siège par peur des ripostes du FLN, un dispositif policier considérable (dix escadrons de CRS, vingt-cinq escadrons de gendarmerie mobile, 8.000 gardiens de la paix mis à disposition du préfet de police) attend la manifestation du PSU dont la préfecture est informée par le tract d’appel.

La manifestation est nécessairement clandestine et une préparation rigoureuse s’impose. Pour tromper la police, de fausses informations sur le lieu de rassemblement sont répandues. Celui-ci sera décidé par les deux responsables du service d’ordre du PSU, Alain Savary et Jean Arthuis, seulement vers 14 heures, place Clichy dans la queue d’un cinéma, et les militants convoqués dans des rendez-vous secondaires avertis du lieu final par un responsable. Pour bloquer l’arrivée probable de la police, les accès de la place Clichy sont tenus par le service d’ordre du PSU, aidé d’étudiants communistes. Après une courte intervention de Depreux juché sur le socle d’une statue, le cortège d’environ 3000 personnes s’élance vers le boulevard de Clichy. « Halte au racisme ! », tel est le mot d’ordre de l’unique banderole. La dispersion se fait place Blanche avant l’arrivée de la police. Pari gagné. Le PSU a tenu la rue un bon moment sans prendre trop de risques.

C’est la première manifestation de la gauche française depuis des mois et ce, malgré l’interdiction et les menaces de poursuites contre les organisateurs. La signification politique est claire : une première étape vers d’autres manifestations beaucoup plus larges. C’est effectivement ce qui va se passer.

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2 000 ? 3 000 personnes ? A coup sûr les manifestants étaient nombreux le 1er novembre 1961 à la manifestation surprise organisée par le PSU.


Le 18 novembre, douze organisations de jeunesse appellent à manifester, avec le soutien du PSU dont on utilise la méthode de mobilisation : 10 000 à 12 000 jeunes, dont beaucoup d’étudiants communistes, arriveront à occuper les boulevards avant de se faire matraquer sévèrement, comme le note Simone de Beauvoir dans La Force des choses. Par la suite, le PCF décide d’engager ses propres forces, en donnant la priorité à la lutte contre l’OAS qui multiplie les attentats, en une sorte de putsch rampant comme le ressentent beaucoup de Français.

Le 6 décembre, à l’appel du PCF, du PSU et de la CGT, des démonstrations aux cris de « OAS assassins », « Paix en Algérie » ont lieu dans toute la France, sans que cela mette un terme aux exactions de l’OAS. Aux yeux du PSU, seul un appel intersyndical permettra de surmonter la division des forces de gauche et d’élargir le front antifasciste. Finalement, partis et mouvements se réunissent et décident d’un arrêt de travail et d’une grande manifestation le 19 décembre, qui sera une « journée anti-OAS ».

Malgré l’interdiction, la manifestation est un succès : entre 60 000 et 70 000 participants. Dès les premières minutes, les policiers, armés d’une longue matraque (le « bidule »), chargent brutalement le cortège, refoulant les manifestants vers le centre de Paris. On comptera une centaine de blessés, dont plusieurs conseillers municipaux socialistes – le PSU y compte son lot : Yvan Craipeau, Marcel Pennetier, Raymond Le Loch, le premier secrétaire national des Étudiants socialistes unifiés (ESU). Après s’être fait la main contre les Algériens, quelques unités de police formées à cet effet s’en prennent maintenant à toute la gauche française. C’est la première fois qu’interviennent les « sections spéciales » appelées aussi « compagnies de district »1. Le drame de Charonne s’annonce… Dans France-Observateur des 21 et 28 décembre, Claude Bourdet attaque Papon dont il demande la démission. Un long combat de plus de trente ans va alors commencer pour faire toute la lumière sur les massacres du 17 octobre.


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Une émission de DIMA TV sur
la solidarité de Français avec l’indépendance de l’Algérie



Avec la participation de :
Gilles Manceron, historien,
Bernard Ravenel, historien et membre Fondateur du PSU,
animée par Othmane Benzaghou.





  1. Voir Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, La Découverte, 1990, p. 104.
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