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Édition du 1er au 15 octobre 2024

Présumés émeutiers en herbe

des jeunes devant la Justice

Profil des mineurs : le difficile portrait des émeutiers en herbe

[Source :
VousNousIls (Dépêche de l’Education), mercredi 9 novembre 2005.]

Près de la moitié des jeunes déférés devant les tribunaux pour les violences dans les banlieues sont des mineurs, mais la justice est bien en peine, pour l’instant, de dresser le portrait type de ces émeutiers en herbe.

Couvre-feu, réforme de l’apprentissage, multiplication des « bourses au mérite » et des « internats d’excellence » : les mesures annoncées lundi soir par le Premier ministre, Dominique de Villepin, visaient d’abord les plus jeunes.

Pourtant, la justice a du mal à appréhender la place exacte des mineurs dans les violences urbaines.

« J’ai noté que près de la moitié des auteurs de violences de ces derniers jours sont mineurs », affirmait lundi matin le ministre de la Justice, Pascal Clément.

Mais sa rencontre avec des procureurs généraux des zones les plus touchées l’avait rendu perplexe.

Le procureur général d’Amiens, Olivier de Baynast, parlait de 80% de mineurs concernés par les procédures, un énorme pourcentage que ne retrouvaient pas ses collègues de Versailles ou Paris.

« Rien ne doit être généralisé. Ce sont des cas différents », en était réduit à dire le ministre de la Justice.

Sa visite au tribunal de grande instance d’Evry (Essonne) n’a fait qu’ajouter à la perplexité, soulignait-on à la Chancellerie : parmi les magistrats qui avaient travaillé le dimanche, une juge des enfants assurait n’avoir vu que des multirécidivistes, tandis qu’un juge relevait que la majorité des personnes majeures ayant comparu devant lui avaient un travail et semblaient insérées.

Au total, selon les chiffres publiés mardi soir par le ministère de la Justice, depuis le début des violences, 180 majeurs ont fait ou vont faire l’objet de comparutions immédiates, tandis que 21 ont été convoqués par procès-verbal. Parallèlement, 170 mineurs ont été présentés à un juge des enfants.

De source policière, on estime que, depuis le début des violences, les mineurs représentent « un gros tiers » des interpellés, tout en soulignant que les majeurs dépassent rarement les 25 ans.

« On attrape ceux qui courent le moins vite » et ceux qui sont les moins habitués à échapper à la police, rappelait cependant un expert du ministère de la justice.

Et si la police constate la présence d’un « noyau dur » composé de « jeunes en situation d’échec scolaire, d’échec social, qui n’ont rien à perdre », elle voit aussi derrière eux des plus jeunes « qui, par mimétisme se laissent entraîner ».

« Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font, ils n’en perçoivent pas la gravité. C’est l’effet Game Boy. On va casser du flic comme on en casse sur sa console de jeux », dit-on de même source.

Les responsables s’inquiètent notamment du cas de « très jeunes mineurs », âgés d’une dizaine d’années, qui ont pris part aux violences. « Certains se comportent comme des fauves, que même leurs frères aînés ne parviennent plus à raisonner ».

« Beaucoup de mineurs arrêtés ne sont pas connus des services judiciaires », assure Roland Cecotti, secrétaire général du principal syndicat d’éducateurs judiciaires (SNPES-PJJ).

Un responsable policier donne une piste d’explication : « les chefs de groupe ont entre 18 et 25 ans mais ceux qui vont jeter (des engins incendiaires) sont plutôt les plus jeunes ».

Ces groupes, dit-il, sont « animés par des valeurs claniques: l’honneur tel qu’ils le considèrent, le défi à l’autorité, ne pas être en reste par rapport aux voisins ».

Sur ces plus jeunes, en tout cas, la justice s’abat lourdement. Le ministre de la Justice a demandé aux procureurs « de porter une particulière attention au traitement pénal des procédures mettant en cause des mineurs » et la chancellerie estime que les décisions prises ont été « fermes ».

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Les présumés émeutiers condamnés à la chaîne

Jugés en comparution immédiate, leur dossier est souvent bâclé.

Par Dominique Simonnot, Libération, mardi 8 novembre 2005

Des policiers qui patrouillent dans les couloirs, des salles protégées par des barrières métalliques. Des parents qui discutent sur des bancs avec des avocats. « Mon fils sortait juste de chez nous pour voir un copain… », pleure une mère. « Mes fils ont été arrêtés chez nous, ils n’y étaient pour rien dans ces incendies de voitures, ça a été reconnu mais les policiers leur ont collé des outrages et rébellion », proteste un père. C’était hier au palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis) où comparaissaient de présumés émeutiers. Il y en a tant que trois chambres correctionnelles ­ au lieu d’une en « temps normal » ­ ont été dévolues aux comparutions immédiates promises par le Premier ministre. Il y a de tout.

Ceux qui passaient par là. La nuit du 3 novembre, Malik, lycéen de 19 ans, rentrait chez lui à Montreuil : « Je ne veux pas qu’on m’associe aux émeutiers, il n’y avait plus de bus parce qu’ils en avaient brûlé un. J’ai traversé la cité, j’ai pris un jet de lacrymo par un motard de la police. » Malik a lancé un pavé en retour, « un geste primitif, animal, que je regrette beaucoup ». Il a tenté de se sauver. Il a été rattrapé, plaqué au sol, frappé. Un cocard orne son oeil, son nez est cassé. En juin, il passera le bac et travaille en intérim pour aider sa mère. Du côté du parquet, le langage est guerrier. « Nous sommes dans une situation proche de la jungle dont ce département est victime depuis des jours », et les réquisitions sévères, comme l’a réclamé le gouvernement : « Quatre mois ferme. » Ce sera quatre avec sursis.

Il y a ceux qui contestent. Eric, 19 ans, « à la recherche d’une formation », qui vit chez ses parents, déjà condamné pour racket. Vers 22 h 30, à Montreuil, il a été repéré au milieu d’un groupe qui cassait une voiture. Il a fui avec Kevin, 15 ans. « Je ne casserais jamais une voiture, celle de mon père a brûlé, je n’ai pas apprécié. » Rien ne dit qu’Eric a approché la voiture. Deux mois ferme.

En comparution immédiate, habituellement, la procédure est déjà ultrarapide, là elle est expéditive. Dans les dossiers, ne figure souvent que le seul PV des policiers. Manque de temps. L’enquête sociale est parcellaire. Manque de temps. Les avocats se noient dans les dossiers. Et les juges se dépêchent. Plus encore que d’habitude.

Au Blanc-Mesnil, la nuit du 3 novembre, Mamoudou, 20 ans, aurait caillassé des camions. Il nie. En BTS de management. Il débute bientôt des cours en alternance avec des stages, et joue au foot « niveau nationale ». Son casier n’est pas au dossier. Il faut renvoyer l’affaire. Son frère, un ingénieur informatique, et son père sont là. La procureure : « Nous ne savons pas qui il est, en attendant le jugement, je réclame un mandat de dépôt, sa famille est incapable d’apporter la preuve de son identité. » Détention provisoire, jugement dans une semaine. Alexandre, cuistot, a été arrêté lors de l’incendie du local à poubelles dans une barre HLM, à 1 heure du matin à Pantin. Seul arrêté de la bande. Sa défense est laconique : « Mauvais endroit, mauvais moment, mais j’ai pas foutu le feu, je venais juste acheter du shit. » Quatre mois.

Au Blanc-Mesnil encore, la nuit du 3 novembre, Abdoulaye, 20 ans, a été « reconnu » par les policiers alors qu’il balançait une bouteille sur leur véhicule. Arrêté quelques heures plus tard, au commissariat, il a cassé une vitre, tandis que ses copains en faisaient le siège, « vous-même les appelant à mettre le feu », lit la juge. Problème. A l’heure du jet de bouteille, Abdoulaye ouvrait la pizzeria où il travaille. La procureure : « Il est nécessaire que ceux qui sont jugés ici et ceux qui sont dans la salle sachent que les sanctions sont très importantes ! Ce département est en feu depuis des jours ! » Relaxe pour le jet de bouteille, un mois ferme pour le reste.

Et ainsi de suite. Jusqu’à un pauvre serveur de 23 ans, finalement innocenté. Il avait été dénoncé par un témoin anonyme pour vente d’essence aux émeutiers et il y avait un bidon de fuel dans le coffre de sa voiture.

Partout en France, les tribunaux ne chôment pas. Entre autres, quatre mois à Paris pour avoir cassé une voiture et un travail d’intérêt général pour trois garçons soupçonnés d’avoir fabriqué des cocktails Molotov. Quatre mois à Dijon pour l’incendie d’un local à poubelles et cinq mois pour outrages et rébellion. Huit mois à Toulouse pour avoir caillassé les policiers et huit encore pour l’incendie d’une voiture. Hier soir, étant donné le tas de dossiers, les juges de Bobigny n’étaient pas près de finir. Devant la salle, une petite foule commente : « C’est pas la prison qui va ramener le calme !» « En plus, c’est pas les vrais méchants qui sont là, les vrais méchants, eux, personne les attrape ! »

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