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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Marseille, qui fut au cœur
de l’empire colonial français,
commence à revisiter cette page de son histoire

Comme notre site l'a signalé, la municipalité de Marseille a décidé de débaptiser l’école Bugeaud qui portait le nom du général ayant ordonné la mise à mort par asphyxie des femmes, hommes et enfants des tribus hostiles à la colonisation de l'Algérie, qui s'étaient réfugiées dans des grottes. Son nom a été remplacé par celui d’un caporal algérien mort en 1944 dans les combats pour la libération de la ville. L'article du Monde que nous reproduisons ci-dessous souligne l'importance de cette décision pour cette ville qui a été au cœur de l'empire colonial français. Le Guide du Marseille colonial, dont nous avons aussi signalé la parution, publié par une équipe de militants antiracistes marseillais, recense les nombreuses traces de ce passé colonial dans la ville.

Marseille commence à exorciser sa mémoire coloniale

par Gilles Rof, publié dans Le Monde Magazine le 26 novembre 2022 (Marseille, correspondant).
Source

La municipalité a débaptisé l’école Bugeaud, du nom d’un maréchal colonisateur, pour le remplacer par celui d’un caporal algérien mort au combat en 1944. En parallèle, paraît un guide qui recense les nombreuses traces du passé colonial de la ville.

Le défilé de la victoire, le 29 août 1944. Les tirailleurs algériens, dont faisait partie Ahmed Litim, ont payé un lourd tribut pour libérer Marseille. (Fonds Julia Pirotte, La contemporaine).
Le défilé de la victoire, le 29 août 1944. Les tirailleurs algériens, dont faisait partie Ahmed Litim, ont payé un lourd tribut pour libérer Marseille. (Fonds Julia Pirotte, La contemporaine).

« Le nom d’un héros pour remplacer celui d’un bourreau. » Jeudi 10 novembre, sous un soleil estival et devant un parterre de jeunes écoliers sagement assis à ses pieds, le maire de Marseille, Benoît Payan (DVG), a officiellement débaptisé l’école Bugeaud pour lui octroyer le nom d’un caporal inconnu, Ahmed Litim. Le symbole est clair, égrené dans un discours aussi lyrique que sans ambiguïtés.

D’un côté, le rappel des crimes du maréchal de France Thomas Bugeaud, colonisateur de l’Algérie, capable d’assumer à la tribune de l’Assemblée nationale sa politique de terre brûlée et l’enfumage mortel de milliers de personnes dans les grottes de la vallée de la Dahra pour briser la résistance. De l’autre, le sacrifice d’un soldat d’à peine plus de 20 ans, débarqué avec les troupes du général de Monsabert, qui tombe, les armes à la main, le 25 août 1944, en tentant de libérer la basilique Notre-Dame-de-la-Garde des occupants nazis. « Une nation pour être grande doit regarder son histoire avec lucidité », assure l’édile de 44 ans après avoir dévoilé la nouvelle plaque apposée sur les grilles de l’école.

Dix-huit mois après avoir voté la décision, la municipalité a fait les choses en grand. Le livret militaire sépia d’Ahmed Litim, imprimé sur un grand panneau, trône au milieu de la cour. Des textes explicatifs rappellent son engagement et celui des régiments de tirailleurs algériens, marocains ou sénégalais dans la libération de Marseille… Dans ce 3e arrondissement, l’un des plus pauvres de la ville, qui a accueilli tour à tour les immigrations italiennes, arméniennes et désormais africaines, le message porte. Dans la petite assemblée, le consul d’Algérie à Marseille en salue « l’impact très positif ».

Le livret militaire d’Ahmed Litim. (Centre des archives du personnel militaire. Service historique de la Défense).
Le livret militaire d’Ahmed Litim. (Centre des archives du personnel militaire. Service historique de la Défense).

« Ici comme au pays, tout le monde connaît le passé sanguinaire de Bugeaud. Donner le nom d’un Algérien équilibre les choses »,glisse le diplomate. A quelques pas, la casquette à quatre étoiles du général Pascal Facon, gouverneur militaire de Marseille et patron de la zone sud, surplombe les têtes. « Je suis ici parce qu’on honore la mémoire d’un jeune soldat de la liberté, mort pour la France », explique celui qui dirigea l’opération Barkhane, au Sahel. Quant au déclassement du maréchal Bugeaud, le militaire, fortement investi depuis son arrivée à Marseille dans des actions de solidarité sociale, ne souhaite pas le commenter.

Sortie d’un « Guide du Marseille colonial »

La nécessité de relire l’histoire coloniale d’une ville que le chroniqueur Albert Londres appelait la « porte du Sud » est dans l’air du temps. De la même façon que pour Paris, Bordeaux, Soissons et avant Rouen, les Editions Syllepse, associées ici avec les locaux des Editions Transit La Courte Echelle, viennent de publier un Guide du Marseille colonial. L’ouvrage de 226 pages a été rédigé par un collectif d’une dizaine de militants antiracistes qui ont sillonné la ville pendant des mois.

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Son lancement, en septembre, dans une librairie du centre, a fait événement. Et la première édition, 1 500 exemplaires, est déjà épuisée. « Cela montre que les citoyens ont envie de parler de ces questions », note Zohra Boukenouche, une des membres du collectif. Quartier par quartier, le guide, présenté comme « un outil pédagogique et politique », recense les nombreuses traces de la période coloniale. Certaines sont évidentes, d’autres méritent décryptage. Plusieurs sites emblématiques de la ville y figurent.
L’entrée du parc Chanot, à côté du Stade-Vélodrome, dont les grilles ont été érigées deux ans après l’Exposition coloniale de 1922. Ou l’escalier monumental de la gare Saint-Charles, par lequel des milliers de personnes découvrent la ville et dont les statues, signées du sculpteur Louis Botinelly, représentent les colonies d’Afrique et d’Asie en femmes ­lascivement offertes. « Des personnages condensant tous les stéréotypes et fantasmes racistes et sexistes propres au colonialisme », notent les auteurs.

En avril, l’artiste et chercheuse Marie-Rose Frigière a imaginé une performance sur place pour « révéler l’existence de ces statues et, par extension, du passé colonial de Marseille », expliquait-elle alors. De son côté, l’association Ancrages, centre de ­ressources sur les mémoires des migrations, a proposé l’idée d’adjoindre aux œuvres des plaques pédagogiques explicatives. Le guide n’est pas qu’accusateur. Il recense aussi les rues dédiées à ceux qui se sont opposés en leur temps à la traite négrière, au colonialisme ou au racisme, comme l’ancien ministre de la marine Camille Pelletan (1846-1915). « Des femmes et des hommes qui ont refusé de se soumettre au mythe de la mission civilisatrice universelle de la France et de la République », indiquent les auteurs.

Venu assister à la révélation des plaques de l’école Ahmed-Litim, Alain Castan, un des coordinateurs du guide, salue le geste municipal, mais souligne que l’artère où se situe désormais l’établissement « s’appelle toujours rue Bugeaud ». Il rappelle également que d’autres bourreaux coloniaux, comme le général Eugène Cavaignac, lui aussi promoteur de l’enfumage pendant la conquête de l’Algérie, conservent ­l’honneur d’avoir des plaques à leur nom. « Ce n’est pas facile de rebaptiser une rue, mais il y a des cas plus scandaleux que d’autres », confie ce militant qui rêve désormais que la commission municipale ­chargée d’attribuer les noms aux artères marseillaises s’ouvre aux associations qui travaillent sur les traces mémorielles de la colonisation.

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