Une loi qui se voulait une loi de réparation pour les harkis est devenue une pomme de discorde dans la République, en prétendant recommander comment enseigner l’histoire de la colonisation : positivement. Une telle bévue a bien évidemment fait l’unanimité chez les historiens, pour demander une abrogation pure et simple. Valérie Esclangon-Morin analyse ici le rôle joué par les groupes de pression et livre avec acuité une réflexion sur les multiples enjeux de mémoire dont l’école ne doit pas être l’otage.
Les parlementaires français viennent de voter, en février 2005, une loi dont l’article 4 recommande que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » Face à ce type de demande, le professeur que je suis ne pouvait que se poser un certain nombre de questions. Le pouvoir législatif de notre pays nous enjoint, à nous, enseignants d’histoire, de traiter de l’histoire coloniale en mettant surtout en évidence son « rôle positif ». Cela veut-il dire que l’histoire que nous enseignons est une histoire partisane et seulement « négative » ? Est-il possible de traiter seulement l’histoire sous cette forme dichotomique « positif/négatif » ?
La quasi-unanimité des spécialistes de la colonisation se sont élevés contre cette volonté du pouvoir législatif d’imposer ainsi une « méthode » d’enseignement pour une histoire visiblement encore polémique. Car c’est bien là que se situe le problème. La vraie polémique demeure plus du côté des politiques que du côté des spécialistes. Ces derniers ont su, depuis 40 ans, construire une histoire coloniale relativement consensuelle alors que politiquement, les conséquences de la décolonisation française se font encore sentir. Elles prennent désormais la forme de groupes de pression politique qui exigent que leur mémoire soit transformée en histoire officielle. La loi du 23 février 2005 est donc l’achèvement d’un processus ancien de lobbying de personnes issues de la colonisation, en l’occurrence, certaines associations pieds-noirs. L’histoire scolaire et universitaire doit-elle être soumise à la volonté de quelques personnes ayant soif de reconnaissance et qui trouvent une écoute attentive de députés soucieux de réélection ?
Devant la polémique soulevée par cet article de loi, plusieurs interrogations s’imposent :
– Quelle histoire de la colonisation (et de la décolonisation) enseignons-nous aujourd’hui ? Est-elle si fausse qu’elle puisse être ainsi aussi sujette à contestation ?
– Pour qui cette histoire (scolaire) de la colonisation est-elle importante ? Quels sont les groupes de mémoire qui sont mobilisés derrière cette forme de « reconnaissance » officielle ?
– Doit-on, comme cela fait débat actuellement, enseigner plus ou différemment l’histoire coloniale devant des élèves, eux-mêmes issus de ces colonies ?
– Enfin, quel rôle peut avoir l’Etat devant ce type de débat ? Doit-il laisser travailler librement les historiens ou leur donner de grandes lignes directrices qui répondraient à un besoin politique ponctuel (une sorte d’histoire officielle) ?
Vous pourrez lire le texte intégral de l’article de Valérie Eclangon-Morin en téléchargeant le document (9 pages – format PDF).