Perpignan : 60 ans de l’exode des pieds-noirs,
les détracteurs du Cercle algérianiste ripostent
Le collectif pour une histoire non falsifiée
dénonce une réécriture de l’histoire
par Arnaud Andreu, publié par L’Indépendant le 23 juin 2022.
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Du 24 au 26 juin, le Cercle algérianiste, organise avec la municipalité RN de Perpignan, une commémoration inédite à l’occasion des 60 ans de l’exode des Français rapatriés d’Algérie après l’indépendance. Le collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée, qui pointe du doigt plusieurs points sujets à forte caution dans le programme, a décidé de riposter en rendant hommage en parallèle à toutes les victimes de la guerre d’Algérie et en proposant une réunion publique avec un historien spécialiste du colonialisme.
Ce jeudi 23 juin, à la veille du début du congrès, le Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée a officiellement lancé sa contre-attaque. « Nous n’avons rien contre le congrès du Cercle algérianiste, qui est sur le point de s’ouvrir à Perpignan, en lui-même, souligne l’un des membres du collectif, Jacky Malléa, de l’Association des pieds-noirs progressistes. Ce qui nous a mis en colère, c’est que le maire, Louis Aliot, a octroyé une subvention de 100 000 euros à cette association. Et puis il y a tout ce qu’ils organisent autour du congrès pour commémorer les 60 ans de l’exode. »
Parmi les principales initiatives qui font ruer le collectif dans les brancards, il y a tout d’abord l’attribution du titre de citoyens d’honneur de la ville à des représentants des familles de trois militaires condamnés par la justice de la République pour leur implication dans le putsch des généraux pro-Algérie française d’avril 1961 : André Zeller, Hélie Denoix de Saint Marc et Edmond Jouhaud. Ou encore l’inauguration d’un square Mourad Kaouha, du nom d’un ancien député « d’Algérie coloniale » qui est par la suite devenu une figure du Front national en pays catalan. « En plus, une procession catholique va traverser la ville dans le cadre de la commémoration. Il faut aussi défendre la laïcité », estime la vice-présidente départementale de la Ligue des droits de l’homme, Françoise Attiba.
Une instrumentalisation de l’histoire ?
Certaines déclarations de Louis Aliot ont également fait bondir les membres du collectif. Lors de la présentation du programme de la commémoration, l’édile avait plaidé pour que la mémoire des pieds-noirs soit « partagée par le plus grand nombre, y compris dans les écoles », avant de préciser ne pas être d’accord avec « la réécriture officielle de l’histoire ».
« Ce qu’Aliot appelle histoire officielle, c’est celle des scientifiques qui livrent une vision équilibrée de ce qui s’est passé. Il semble vouloir imposer une vision unilatérale pour justifier la politique du Rassemblement national », analyse Catherine Sicart, du mouvement politique de gauche L’Alternative.
En guise de riposte aux initiatives du Cercle algérianiste et de la municipalité RN, le collectif a décidé de proclamer Perpignan capitale de la fraternité entre les peuples algériens et français. Dans ce cadre, il organisera un hommage à toutes les victimes de la guerre d’Algérie, quel que soit leur camp, ce samedi 25 juin à partir de 11 heures sur la place de la Victoire, ainsi qu’une réunion publique animée par l’historien spécialiste du colonialisme Gilles Manceron, le lendemain, à partir de 17 heures, au Casal de Perpignan.
Josie Boucher :
« Je n’ai compris qu’après coup que la société coloniale
était pétrie de racisme »
Membre du Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée et de l’Association de soutien à tous les immigrés, Josie Boucher, a quitté l’Algérie en avril 1962, à l’âge de 14 ans. Elle relate ses souvenirs de la période et l’origine de son engagement : « Je suis issue d’une famille de pieds-noirs arrivée en Algérie dans les années 1880. C’étaient de pauvres Espagnols poussés par la faim. Ma mère était couturière et mon père employé. Malgré leur misère, ils étaient conscients de leurs privilèges. Même s’ils n’avaient pas beaucoup d’argent, en Algérie, ils pouvaient avoir une “fatma”, une femme de ménage. Nous avons d’abord vécu à Alger, puis à Skikda, à côté de Constantine. À partir de décembre 1961, nous ne pouvions plus aller à l’école. Je me souviens que la ville algérienne et la ville française étaient séparées par des grillages et que les Algériens ne pouvaient plus sortir de leur quartier après 20 heures. Je me souviens des nuits bleues où l’OAS (une organisation politico-militaire favorable à l’Algérie française, NDLR) faisait sauter tout et n’importe quoi. À la fin, c’était le far-west. L’OAS tirait sur tout ce qui passait. Ça a précipité le départ. Il y avait une rivière de sang entre les deux communautés. Mon père aurait bien aimé obtenir la nationalité algérienne, mais après tout ce qui s’était passé, c’était impossible. Ce n’est qu’après coup que je me suis rendu compte que la société coloniale était pétrie de racisme. »
Le Travailleur Catalan et repris sur le site LDH 66 – Pyrénées Orientales.
Perpignan : El fraternal Centre del Món, si si
par Yvon Huet, publié dans Le Travailleur Catalan le 1er juillet 2022.
Magnifique moment de fraternité humaine face à l’entreprise de haine orchestrée par la mairie RN de Perpignan, en ce 26 juin 2022 ! C’est ce qu’on peut retenir de cette très chaude après-midi où le Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée a fait salle pleine… Lire la suite
À Perpignan, l’extrême droite s’offre trois jours
de célébration de l’Algérie française
par Lucie Delaporte, publié par Mediapart le 25 juin 2022.
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À quelques jours des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, le maire Louis Aliot (RN) met à l’honneur l’Organisation armée secrète (OAS) et les responsables du putsch d’Alger pendant un grand week-end d’hommage à « l’œuvre coloniale ».
Le menu est copieux et pour le moins indigeste. Pendant trois jours, la ville de Perpignan, qui a versé pour l’occasion 100 000 euros au Cercle algérianiste, une association de nostalgiques de l’Algérie française, organise jusqu’au dimanche 26 juin un événement où elle se proclame « capitale des Français d’Algérie ».
Au programme : célébration de l’œuvre colonisatrice et « civilisatrice » de la France, mise à l’honneur des responsables de l’Organisation armée secrète (OAS) et des généraux putschistes… Le tout sous la tutelle du maire Rassemblement national (RN) Louis Aliot. À l’occasion d’un « dîner des 60 ans » [de l’exode des Français d’Algérie – ndlr], l’édile, issu d’une famille de pieds-noirs, « élèvera au rang de citoyen d’honneur de la ville » trois responsables du putsch d’Alger.
Après une exposition relativement modeste l’an dernier sur « les victimes oubliées de la guerre d’Algérie » dans une salle jouxtant la mairie, le maire d’extrême droite a, cette fois, voulu faire les choses en grand. L’événement se déroule au palais des congrès, avec dix-neuf expositions dans cinq lieux de la ville.
Il se terminera, dimanche matin, par une « procession » du palais des Congrès jusqu’à la cathédrale, « en présence des statues de Notre-Dame de Santa Cruz, Notre-Dame d’Afrique », suivie d’une « prière pour les nôtres ».
Après de multiples demandes, Mediapart n’a pas été accrédité pour assister à l’événement. « Nous sommes complets et les dernières places qui restent seront réservées à nos adhérents », nous a répondu une responsable du Cercle algérianiste.
Le travail des historiens n’est pas pris en compte
Pendant le week-end, Perpignan réunit tout le ban et l’arrière-ban des défenseurs d’une Algérie éternellement française, les représentants d’une histoire mythifiée de l’œuvre coloniale en Algérie.
Dans ce monde qui se vit comme assiégé – un an après la publication, par exemple, du rapport Stora, le journaliste du Figaro Magazine Jean Sévillia, auteur de nombreux articles et ouvrages sur le sujet, viendra débattre avec l’essayiste Jean-Yves Faberon, auteur du nostalgique D’Algérie (L’Harmattan), d’une question qu’on pressent comme de plus en plus brûlante : « Face à la montée de la déconstruction de l’histoire de l’Algérie française, peut-on espérer un jour endiguer le phénomène ou faut-il le voir comme une fatalité ? »
Dans ce cercle fâché avec le travail des historiens qui, année après année, est venu battre en brèche l’histoire mythifiée de la colonisation, avec son éternelle imagerie de « routes, hôpitaux, écoles » construits pour le plus grand bonheur d’une population algérienne, étonnamment ingrate, s’est mise en place une histoire parallèle qui se raccroche aux derniers alliés. La recherche historique les trahit ? Pourquoi ne pas interroger l’armée – ou une partie de l’armée – sur ce passé en train de s’estomper ?
« En quoi l’armée peut-elle être un outil de transmission de la mémoire de la guerre d’Algérie ? », interroge ainsi, de manière révélatrice, l’une des tables rondes du week-end. Y ont participé Christophe Assémat, présenté comme un « docteur d’État en science politique ». Ce militaire, auteur d’un roman sous pseudonyme, Frères de solitude (éditions de l’École de guerre), est le fils de Jean Assémat, fondateur avec Roger Trinquier l’Union nationale des parachutistes (UNP), le théoricien de la « contre-subversion » et le défenseur de l’emploi de la torture en Indochine comme en Algérie.
À la même table, se trouvait le père Kalka, aumônier du 1er régiment de chasseurs parachutistes. L’homme se livrait en 2016 à une attaque en règle contre l’islam lors d’une cérémonie d’un club de parachutistes organisée aux Invalides en 2016. Selon un compte-rendu de l’association, il aurait expliqué : « Nous avons peur, ne serait-ce que d’émettre une simple critique à l’adresse de l’islam. Vous pouvez insulter les chrétiens, les bouddhistes, les juifs, les hindous… Vous pouvez cracher sur la Madone et Jésus, mais malheur à celui qui critique l’islam. » Avant d’ajouter : « L’action est l’indispensable complément de la prière […]. La piété dans l’inaction s’apparente à une bigoterie de fiotte. »
La soirée de vendredi s’est terminée en musique, avec un concert du Jean-Pax Méfret, le barde de l’OAS, organisation dont le chanteur né en Algérie, adulé de Zemmour, a fait partie, avant de devenir journaliste au journal d’extrême droite Minute, puis au Figaro Magazine. À son répertoire, des chants de l’Algérie perdue, dont « Les Barricades » – « le drapeau taché du sang d’Hernandez, la foule crie : “Algérie française !” » –, qu’a applaudi Louis Aliot, présent au premier rang.
Les putschistes d’Alger vont devenir citoyens d’honneur de la ville
La journée de samedi doit se clore sur une cérémonie où le maire RN déclarera « citoyens d’honneur » Hélie Denoix de Saint Marc et les généraux Edmond Jouhaud et André Zeller, les organisateurs du coup d’État d’Alger de 1961 pour s’opposer à l’indépendance de l’Algérie.
Pour clore cette « OAS-pride », un square de la ville va porter le nom de Mourad Kaouah, député de l’Algérie française, proche de Jean-Marie Le Pen et figure du Front national en Catalogne.
En protestation, le Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée a organisé un contre-événement, avec un rassemblement le samedi dont le mot d’ordre était : « Perpignan capitale de la fraternité entre les peuples algérien et français ».
Pour Josie Boucher, une des responsables du collectif, il s’agit de dénoncer « une propagande qui consiste à glorifier ce qu’a fait la France en Algérie, une insulte au peuple algérien ».
L’instrumentalisation politique des pieds-noirs est une vieille histoire à Perpignan, que Louis Aliot porte à son paroxysme. Déjà, sous le mandat précédent du maire Les Républicains Jean-Marc Pujol, le collectif s’était battu contre l’inauguration d’une stèle à la gloire de l’OAS dans le cimetière de Perpignan, puis contre la création, avec les subsides de la mairie, du Centre de documentation des Français d’Algérie, qui célèbre, selon le collectif, « le bon temps des colonies ». Le journal L’Indépendant rappelait récemment que Louis Aliot a octroyé une aide de 3,7 millions d’euros pour agrandir le couvent où se trouve le centre de documentation.
Pour une histoire non falsifiée
Jacques Pradel, porte-parole de l’association des Pieds-noirs progressistes, une organisation qui entend empêcher l’extrême droite de confisquer la parole des rapatriés d’Algérie, participera à l’événement. « Le Cercle algérianiste est nostalgique non pas de l’Algérie mais de l’Algérie coloniale. Ils me font l’effet de gens qui ont arrêté de penser dans les années 1960 », regrette-t-il, soulignant que « jusqu’à aujourd’hui, cette association avait pris soin de ne pas trop afficher son soutien à l’OAS. Là, on a le sentiment que plus rien ne les retient. »
« Comment peut-on imaginer parler de l’Algérie sans prendre en compte le travail des historiens ? », s’interroge-t-il encore.
Ce dimanche, l’historien Gilles Manceron fera à une conférence pour démonter « le récit mensonger qui est forgé à Perpignan, notamment sur l’OAS, en présentant comme des résistants à un général traître à la France des factieux, des gens qui désobéissent à la France et à la République ».
Dans la ville RN, les falsificateurs de l’histoire ont les honneurs de la mairie et occupent le palais des congrès. Les vrais historiens se contenteront de quelques tréteaux sur la place du Castillet.
Quand le RN célèbre les assassins de l’OAS,
le fils d’un commissaire de police républicain
rappelle le souvenir de l’une de leurs victimes
Réponse de Jean-François Gavoury
dont le père a été assassiné
par cette organisation terroriste et criminelle
[/Le 31 mai 1961 /]
Le programme du congrès national du Cercle algérianiste, réuni au cours de ce week-end à Perpignan, a été élaboré il y a longtemps.
Ses organisateurs n’imaginaient pas, alors, le score que les candidats du Rassemblement national allaient réaliser aux élections législatives : un score qui pourrait s’avérer embarrassant et devrait (selon les règles du bon sens) donner lieu à des adaptations de dernière minute dans l’ordre du jour !
Comment, en effet, prétendre à l’image d’un parti républicain si, dans le même temps, le vice-président du mouvement, Louis Aliot, dans l’exercice de ses fonctions de premier magistrat municipal et partant au nom d’une personne morale de droit public, met à l’honneur des individus ayant recouru au putsch et à l’action criminelle de grande ampleur dans le but de renverser un Gouvernement légal, des autorités légitimes, des institutions, bref, l’ordre démocratique ?
Et comment Mme Marine Le Pen pourra-t-elle invoquer la respectabilité du Rassemblement national pour tenter d’accéder à la présidence de la plus puissante des commissions de l’Assemblée nationale si d’aventure, mardi prochain, son collègue des Bouches-du-Rhône José Gonzalez, nouveau doyen de l’hémicycle, ne résiste pas à la tentation de souligner ses antécédents de pied-noir d’Oran et sa nostalgie de l’Algérie française dans son discours d’ouverture de la première séance de la XVIe législature ?
En somme, un début de semaine prochaine à risque précédé d’un week-end de tous les dangers pour une Marine Le Pen encerclée par les Algérianistes !
[/Jean-François Gavoury/]
Benjamin Stora.
Message envoyé aux organisateurs du
« Collectif pour une histoire franco algérienne non falsifiée »
opposé au « Congrès du cercle algérianiste » de Perpignan
[/ Le 26 juin 2022./]
Depuis le début des années 2000, la notion de guerres des mémoires s’affirme dans le débat public. Les termes de « repentance » et de « lois mémorielles » sont entrés dans le discours politique et la « mémoire » devient un enjeu du présent. Les médias, les historiens, et les responsables politiques s’engagent et certains évoquent même un risque de débordement mémoriel, en particulier à propos de l’histoire coloniale.
L’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie est ainsi devenue en France un formidable espace de jeux politiques. On se souvient de la mobilisation importante contre la loi du 23 février 2005, en particulier son article 4 indiquant la nécessité d’enseigner la colonisation dans ses « aspects positifs », ou encore des manifestations à propos des menaces planant contre des historiens au sujet de l’écriture de l’histoire de l’esclavage.
Depuis plusieurs années, les chercheurs se sont interrogés sur l’instrumentalisation et la confiscation des mémoires, sur l’« art d’oublier », comme le disait Paul Ricoeur, dans une société « éternellement en colère contre elle-même », sur les rythmes de l’effervescence mémorielle ou les divers moments de remémoration comme des commémorations nationales. Plus d’un demi-siècle après, loin de s’apaiser, les passions autour de la guerre d’Algérie sont toujours aussi vives. Pour preuve, par exemple, cette guerre autour de la création d’un « Mur des disparus » dans les années 2010 à Perpignan, avec le nom de Français morts en Algérie, « victimes du FLN », a été l’occasion d’une guerre des mémoires. Un certain nombre de points ont incité des historiens à mettre en garde contre un tel projet. Dans un long texte portant pour titre « En finir avec les guerres de mémoires algériennes en France », ils écrivaient : « Les Pieds- noirs ont le droit d’honorer leurs morts. Mais l’inscription, sur un mur, des noms de tous les disparus parmi les Français d’Algérie se heurte à un problème éthique, puisque cela reviendrait à graver dans la pierre les noms de ceux, minoritaires, qui furent activistes de l’OAS. De la sorte, les descendants des victimes de cette organisation criminelle se sentiraient insultés. » Le climat actuel est donc bien celui d’une concurrence des mémoires (y compris dans les enjeux de l’immigration et de ses mémoires en mouvement).
Et ce qui est compliqué aujourd’hui en France, c’est que les partisans d’un système colonial, considéré comme positif, ont quitté les rivages de l’extrême-droite traditionnelle pour aller vers une droite très classique. Le gaullisme avait entretenu une « frontière » entre droite et extrême-droite. Le général De Gaulle était une figure de la décolonisation et il était difficile aux partisans de l’extrême-droite d’aller vers lui. Aujourd’hui, la frontière tend à s’effacer.
Quand l’avenir est fermé, quand l’espérance s’épuise, alors l’interprétation de ce qui n’est plus occupe une place centrale, décisive. Le travail historique et politique aide à sortir de ce dilemme entre trop-plein, et absence de mémoires. En laissant ouverte la porte des controverses citoyennes démocratiques, débarrassées des discours fermés de revanches, pour sortir de la rumination du passé colonial et des blessures mémorielles.