Le jeudi 15 septembre dans le quotidien algérien Le Citoyen Hamlaoui Mekachera, ministre français délégué aux Anciens combattants, estimait que la loi française du 23 février sur le » `rôle positif de la présence française outre-mer’ est un problème franco-français, et notamment en Afrique du Nord « . Il répondait ainsi à ce qu’il qualifiait d' »interprétation complètement absurde » d’un « pseudo-historien« . Etait notamment visé par cette pique Claude Liauzu, professeur à l’université Denis-Diderot, initiateur d’une pétition réclamant l’abrogation de cette loi et notamment de son article 4 stipulant que » les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite « .
Voici la réponse d’historiens, dont Claude Liauzu, Jean Baubérot ou encore Pierre Vidal-Naquet, aux attaques du ministre.
Communiqué commun : Le retour des `professeurs de trahison’ ?1
Les `professeurs de trahison’, c’est par cette formule qu’un ministre bien peu républicain de la IV° République dénonçait les universitaires qui ne couvraient pas de leur silence les crimes commis par des Français durant la guerre d’indépendance algérienne.
Le ministre délégué des anciens combattants vient de rappeler tout cela à notre souvenir par un entretien avec le journal Le Citoyen (Alger) du 15 septembre, repris sur le site du Nouvel Observateur. Il a affirmé que la loi française du 23 février dont l’article 4 impose d’enseigner « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » est « un problème franco-français », ajoutant que la contestation de cette loi était née d' »une interprétation complètement absurde » d’un « pseudo-historien ».
Un seul ? L’article 4 de cette loi est à l’origine de la pétition parue dans Le Monde du 25 mars signée en quelques semaines par plus de mille enseignants, chercheurs, membres des universités, des grands établissements de l’enseignement supérieur dont le Collège de France, ainsi que de nombreux universitaires du Maghreb, d’Europe, des États-Unis, du Japon, d’Australie et d’autres pays.
Leur critique a été rejointe par des associations comme la Ligue des droits de l’Homme, la Ligue de l’enseignement, le MRAP, la Licra ainsi que par les syndicats professionnels. L’Association française des anthropologues, l’Association des professeurs d’histoire et de géographie et les inspecteurs généraux ont demandé également l’abrogation de cet article 4.
Autant de « pseudo-historiens » qui auraient fait la même « interprétation complètement absurde » de cette loi ?
Les réactions algériennes prouvent, s’il en était besoin, que la loi concerne les pays anciennement colonisés et qu’elle risque de mettre la France dans une situation comparable à celle du Japon. L’histoire de la colonisation ne peut s’écrire que par le croisement des travaux des historiens des anciens pays colonisateurs avec ceux des historiens des anciens pays colonisés, ainsi qu’avec ceux des autres pays. Elle est loin de n’être qu’un « problème franco-français ».Les milieux à l’origine de l’article de loi dont parle le ministre sont certaines associations de rapatriés, dont les plus agissantes ont été jusqu’à faire construire des monuments en l’honneur de l’OAS et étalent sur leurs sites leurs affinités avec l’extrême droite, leurs haines contre les « fauteurs » de paix. Ériger leur discours en vérité officielle reviendrait à nourrir les tensions internes de la société française et à dégrader les relations extérieures de la France. L’article 4 met en cause l’autonomie de la discipline historique. C’est pour défendre cette autonomie, pour assurer les fonctions sociales qui lui sont liées, que nous nous élevons contre de telles déclarations.
Scandalisés par ces propos, nous demandons au ministre de l’Education nationale – qui est demeuré jusqu’ici silencieux sur cette loi – de se prononcer. Nous demandons au président de la République, qui nomme par décret les professeurs d’université, de se prononcer lui aussi.
– Collectif des historiens contre la loi du 23 février 2005.
– Ligue des droits de l’Homme.
Les premiers signataires :
Esther Benbassa, directrice d’études à l’EPHE
Jean Baubérot, directeur d’études à l’EHESS
Raphaëlle Branche, maîtresse de conférences à Paris 1
Mohammed Harbi, professeur université de Paris 8
Thierry Le Bars, professeur de droit, université de Caën
Claude Liauzu, professeur émérite université Denis Diderot
Gilles Manceron, vice-président de la LDH
Gilbert Meynier, professeur émérite, université de Nancy
Sylvie Thénault, chercheuse à l’IHTP, chargée de recherches au CNRS
Lucette Valensi, directrice d’études à l’EHESS
Pierre Vidal-Naquet, directeur d’études honoraire à l’EHESS
Vous pouvez adresser votre signature à :
Ligue des droits de l’Homme, service communication
138 rue Marcadet, 78018 Paris
Tel : 01 56 55 51 00 – Fax : 01 42 55 51 21
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Les listes de signataires (associations et individuels) sont consultables sur le site national de la LDH http://www.ldh-france.org/actu_derniereheure.cfm?page=2&idactu=1116.
- Rendons à César, en l’occurrence à l’extrême droite, ce qui lui appartient. L’accusation d’être des « professeurs de trahison » émane du « Manifeste des intellectuels français » qui, en octobre 1960, dénonce les « 121 » .
Une autre pétition, lancée par la Fédération de l’Education nationale avec le soutien d’une partie de l’UNEF, obtient près de 9000 signatures le 20 octobre 1960. Elle s’adresse à ceux qui « ne sont partisans que d’une paix négociée tenant compte de la complexité et de la spécificité du problème algérien, qui ne sont partisans que de la démocratie ». Parmi les signataires: Daniel Mayer pour la LDH, Pierre Gaudez pour l’UNEF et de nombreux universitaires.
Ces pétitions seront suivies par la grande manifestation étudiante du 27 octobre 1960.
Quant à la formule « les chers professeurs », elle est de Bourgès-Maunoury à la suite de la publication d’un texte, « France ma patrie » publié dans Le Monde du 5 avril 1956, dans lequel Henri Marrou dénonçait « de véritables laboratoires de torture« .