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Édition du 1er au 15 octobre 2024

Cinq ans après la mort d’Adama Traoré,
une marche a demandé justice

Un millier de personnes ont défilé le 17 juillet 2021, entre la gare de Persan-Beaumont et Beaumont-sur-Oise, à l’appel du collectif « Vérité pour Adama », afin de demander justice pour le jeune Adama Traoré tué cinq ans plus tôt, en juillet 2016, à la suite de son interpellation par des gendarmes. Elles ont défilé jusqu'aux quartiers périphériques de cette petite ville de l'Oise où, comme beaucoup d'autres habitants issus des immigrations, vit la famille d'Adama Traoré et où d'autres jeunes ont grossi la foule. Le défilé a dénoncé, avec Assa Traoré, la sœur d'Adama, les mensonges de la police et de la justice qui ont couvert les comportements illégitimes de certains membres des forces de l'ordre à l'encontre de jeunes vis-à-vis desquels ils n'hésitent pas, comme certains policiers aux Etats-Unis, à recourir à des gestes mortels.

Le 17 juillet 2021 dans les rues de Beaumont-sur-Oise
Le 17 juillet 2021 dans les rues de Beaumont-sur-Oise

Youssouf, Bagui et Assa Traoré devant la caserne de gendarmerie de Persan.
Youssouf, Bagui et Assa Traoré devant la caserne de gendarmerie de Persan.

Cinq ans après la mort d’Adama Traoré,
une nouvelle marche pour réclamer « justice »

par Rémi Yang, publié dans Mediapart le 17 juillet 2021.
Source

« Pas de justice, pas de paix ! » Ce samedi 17 juillet, les rues désertes de Beaumont-sur-Oise sont prises d’assaut par le cortège du « Comité Adama ». Dans cette commune du Val-d’Oise, un millier de personnes sont venues défiler pour demander « vérité et justice » pour Adama Traoré, jeune homme décédé en juillet 2016 après avoir été interpellé par des gendarmes de la ville, érigé depuis en symbole des violences policières.

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La marche pour Adama, samedi 17 juillet 2021. © RY


Peu de temps après son départ de la gare de Persan-Beaumont, le cortège, mené par la sœur d’Adama, Assa Traoré, a marqué un arrêt devant la caserne de gendarmerie de Beaumont. « C’est ici que mon frère est mort », tonne au micro celle qui est devenue une icône de la lutte contre les violences policières.

José, lui, raconte : « Il y a dix ans de ça, j’ai failli être un Adama Traoré. On subit quotidiennement les violences policières dans les quartiers populaires. » C’est la deuxième fois que cet électricien de 31 ans, venu de Villiers-Le-Bel, participe « à un rassemblement comme ça. Je soutenais beaucoup sur les réseaux sociaux, mais je me suis dit qu’il fallait que je vienne en personne ».

Perchée à l’arrière d’une camionnette, Assa Traoré s’indigne en pointant la gendarmerie du doigt : « Ce jour-là, mon frère voulait juste faire un tour à vélo et il va mourir ! Trois ans après, on va médailler les gendarmes responsables de la mort de mon petit frère (lire ici nos révélations sur ces médailles accordées en 2019) ».

Thomas marche avec ses deux parents sexagénaires. « Ils sont venus me voir de Toulouse et je trouvais que c’était une bonne occasion de les amener ici », explique le trentenaire, de toutes les manifestations. « Ça devrait être un devoir de citoyen de participer à ça », soutient sa mère.

Après s’être réjouie de la libération de son frère Bagui Traoré, acquitté le 9 juillet à l’issue d’une longue détention provisoire et d’un procès pour « tentatives de meurtre en bande organisée sur personne dépositaire de l’autorité publique » (dans le contexte des émeutes qui ont suivi la mort d’Adama), Assa Traoré a dénoncé la nouvelle expertise médicale demandée dans l’enquête en cours sur la mort d’Adama. « Nous sommes dans un déni de justice », a-t-elle estimé.

Le 30 juin, compte tenu de nouveaux témoignages et éléments médicaux recueillis par les enquêteurs, les juges d’instruction ont en effet demandé un complément d’expertise médicale aux quatre médecins belges qui avaient rendu, en janvier dernier, un rapport destiné à trancher la bataille d’expertises contradictoires. Ils avaient conclu que la mort d’Adama Traoré avait été causée, en pleine canicule, par un « coup de chaleur » qui n’aurait toutefois « probablement » pas été mortel sans les manœuvres d’immobilisation et de menottage des gendarmes, ainsi que, « dans une plus faible mesure », par des « états pathologiques sous-jacents ».

« Sans l’application de ces manœuvres de contrainte, on peut penser que M. Traoré n’aurait pas présenté l’évolution dramatique constatée ensuite », pouvait-on lire dans ce rapport. À ce stade, les trois gendarmes impliqués, qui réfutent toute responsabilité, n’ont pas été mis en examen.

Claudine, elle, a fait le déplacement depuis Trivy, en Saône-et-Loire : cinq heures de voiture, « un long voyage » pour cette enseignante à la retraite de 58 ans qui arbore fièrement un gilet jaune. « Je trouve inadmissible ce qui est arrivé à la famille Traoré. Je viens en soutien aux gens des quartiers qui souffrent depuis des années. Depuis Sarko, ça va de mal en pis », explique-t-elle, en déroulant une grande banderole dotée d’un gilet au centre, avec un poing tendu. « On porte toutes ces luttes communes. »

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Assa Traoré a dénoncé un « déni de justice ». © RY


Devant la caserne de gendarmerie déserte, le cortège d’un millier de personnes adresse une prière à Adama Traoré avant de repartir dans la ville de Beaumont, en s’arrêtant aux endroits qui ont marqué la vie du jeune homme décédé.

Un premier arrêt rue de la République. « C’est ici que les gendarmes ont écrasé mon petit frère de leur 250 kilos ! », s’exclame Assa, montrant l’appartement dans lequel Adama Traoré a subi un plaquage ventral.

Sur le chemin, plusieurs familles de victimes de violences policières prennent la parole et réclament à leur tour vérité et justice. Comme Mamad Camara, Awa Gueye, ou le père du jeune Sabri, décédé à Argenteuil. Le soir, plusieurs artistes dont les rappeurs Vegedream, Youssoupha, ou encore Hatik, devaient donner des concerts en soutien à la famille Traoré.


Affaire Adama Traoré : après de nouveaux témoignages, les juges ordonnent un complément d’expertise médicale

Le Parisien avec AFP, publié le 18 juillet 2021. Source

Les enquêteurs ont recueilli de nouveaux témoignages et éléments médicaux sur le jeune homme de 24 ans décédé à l’issue d’une interpellation par des gendarmes en 2016.

Cinq après la mort du jeune homme, l’affaire Adama Traoré continue de déchirer les experts. Ce dossier, devenu symbole de la dénonciation des violences policières, connaît un nouveau rebondissement : les juges d’instruction chargés de l’enquête autour de la mort du jeune Adama en 2016 à l’issue de son arrestation par les gendarmes, ont ordonné un complément d’expertise médicale. Et pour cause, les enquêteurs ont recueilli de nouveaux témoignages et éléments médicaux, a appris samedi l’AFP de source proche du dossier.

Ce complément a été demandé le 30 juin aux quatre médecins belges qui avaient rendu en janvier un nouveau rapport, censé trancher la bataille d’expertises contradictoires au cœur de l’enquête. Les experts belges avaient conclu que la mort de ce jeune homme noir, le 19 juillet 2016 dans la caserne de Persan (Val-d’Oise), avait été causée, en ce jour de canicule, par un « coup de chaleur » qui n’aurait toutefois « probablement » pas été mortel sans son interpellation sous le poids des trois gendarmes.

« C’est comme si son corps ne réagissait pas »

Depuis, les enquêteurs ont enfin pu interroger en mars un témoin direct, l’homme qui avait aidé Adama Traoré à s’échapper après une première interpellation. « Adama était essoufflé (…) Je n’ai pas l’habitude de le voir essoufflé, mais c’est vrai que là quand je suis intervenu, j’ai été un peu surpris de le voir fatigué », a déclaré cet homme, qui le connaissait depuis l’enfance.

« C’est comme si son corps ne réagissait pas. (…) Pour moi, il était dans un état qui n’est pas habituel, il ne parlait pas », a raconté ce témoin. Cet homme a ajouté qu’Adama Traoré était reparti « en marchant », ce qu’a confirmé un employé de la mairie, témoin de la scène. Le gendarme, qui s’était foulé la cheville dans la bagarre avec les deux hommes, ne l’avait pas poursuivi.

Les enquêteurs ont par ailleurs saisi le dossier médical d’Adama Traoré à la médecine du travail, réalisé lors de son embauche par une association d’insertion en 2014. Placé sous scellés et transmis aux experts, il n’a pas à ce stade été communiqué aux avocats, en raison du secret médical. Un arrêt de travail a également été retrouvé pour la période du 2 au 18 juin 2014, sans que le motif ne soit mentionné au dossier.

Une ancienne conseillère de Pôle emploi a par ailleurs rapporté aux enquêteurs avoir été informée de problèmes d’essoufflement d’Adama Traoré qui auraient justifié un changement d’affectation. Mais parmi la quinzaine d’ex-responsables ou ex-travailleurs de l’association auditionnés, aucun n’a confirmé cet élément.

Une marche pour Adama

Les experts doivent dire d’ici au 31 août si ces nouveaux éléments ont « vocation à modifier » leurs conclusions initiales, qui évoquaient aussi le rôle joué, « dans une plus faible mesure », par une maladie génétique et une pathologie rare dont souffrait Adama Traoré.

Cinq ans après les faits, la mobilisation réclamant « Justice pour Adama » ne désemplit pas. Une nouvelle marche d’hommage organisée par le comité « La vérité pour Adama » se tiendra ce samedi à 14 heures depuis la gare de Persan (Val-d’Oise). Une mobilisation qui intervient après de récentes informations de Mediapart selon lesquelles trois des gendarmes qui ont interpellé le jeune homme de 24 ans ont été décorés en septembre 2019.


Marche pour Adama : un combat qui se transmet
de génération en génération

par Meline Escrihuela, publié par le BondyBlog le 18 juillet 2021. Source

A Beaumont-sur-Oise, plus de deux mille personnes ont apporté, samedi 17 juillet 2021, leur soutien à la famille d’Adama Traoré – enfin réunie au complet après la récente libération de Bagui. Mais l’annonce de la décoration des trois gendarmes mis en cause dans l’affaire étaient sur toutes les lèvres. Reportage.

Gilet jaune floqué d’un poing noir, formation politique ou étudiante, familles au complet : une fois de plus, la foule a répondu présente pour entourer la famille Traoré. Symboliquement, Bagui Traoré tenait fermement la photo de son frère Adama en tête du cortège qui a traversé les rues des communes de Persan et de Beaumont, où résidait le jeune homme. « Cela a forcément un sens particulier qu’il soit là aujourd’hui. Il aurait du être présent dès le départ », murmure une jeune femme qui a fait le déplacement depuis Paris.

La libération de Bagui est de l’oxygène pour nous

Incarcéré depuis fin 2016, Bagui Traoré – témoin principal de l’arrestation de son frère, a définitivement été acquitté des chefs d’accusation de « tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité public en bande organisée », le 9 juillet dernier par la cour d’Assises de Pontoise (Val-d’Oise) après les trois nuits de révoltes suite à la mort d’Adama Traoré en juillet 2016. « La libération de Bagui est de l’oxygène pour nous. Elle nous donnera encore plus de force ».

« Les juges se sont aperçus que les gendarmes avaient menti dans ce dossier », expose, très ému, Bagui Traoré. « C’est une petite brèche que l’on doit prendre pour arriver au but : le jugement des gendarmes », poursuit-il. « Nous réclamons plus, nous exigeons plus », rappelle également sa sœur Assa Traoré.

Libération de Bagui, relaxe d’Assa Traoré, le 1er juillet, accusée de diffamation à l’encontre des gendarmes (à la suite de la publication de sa tribune « J’accuse » publiée sur ses réseaux sociaux, dans laquelle elle dévoile le nom des gendarmes impliqués dans la mort de son frère, NDLR) : les cartes semblaient enfin rebattues pour la famille Traoré, réunie au complet pour la première fois depuis décembre 2016. La joie de ces retrouvailles a pourtant été gâchée par les informations dévoilées la veille de la marche par le quotidien Mediapart.

Le site d’information a révélé que les trois gendarmes qui ont participé à l’arrestation du jeune homme ont été décorés pour leur action lors de cette opération. « Les gendarmes sont venus devant la cour d’Assises de Pontoise sans aucune honte face à notre famille et ont menti avec lâcheté. (…) Bien évidemment qu’ils vont venir dans cette impunité puisqu’ils sont médaillés et récompensés », analyse écœurée la sœur du défunt lors de la conférence de presse organisée en amont de la marche.

La famille n’est pas au bout de ses peines puisque les juges ont demandé aux experts un complément d’autopsie, à l’aune d’un arrêt de travail pris par Adama Traoré en juin 2014, auquel les parties civiles n’ont pas eu accès. Les résultats de cette nouvelle autopsie devraient être versés au dossier d’instruction le 31 août prochain. « Nous répondrons en conséquence », a promis Assa Traoré.

La foule partagée entre hallucination générale et combativité

Ces énièmes rebondissements dans cette affaire devenue symbolique des violences policières choquent et inquiètent les personnes présentes à la marche. « Si c’est pas de la provocation, qu’est-ce que c’est ? », lancent deux amies venues de Paris et des Yvelines.

« Cette récompense est inadmissible mais cela n’est pas surprenant. Au-delà de la lutte de la famille Traoré, c’est un combat politique plus général contre les violences policières. Et il y a trop d’enjeux : ces derniers temps, les forces de l’ordre se plaignent régulièrement de ne pas avoir assez de pouvoir », développe N.F*, qui craint que l’on essaye d’étouffer l’affaire pour ne pas risquer une nouvelle mobilisation des forces de l’ordre, comme on a pu l’observer au printemps dernier.

« Aucun Président de la République ne veut se mettre à dos les forces de l’ordre », remarque également Aïssata Seck, membre de l’opposition municipale à Bondy (93). « Cette décoration est hallucinante. Quel message décide-t-on d’envoyer alors que l’enquête est toujours en cours ? », se désole-t-elle. « Les violences policières, cela existe. Ce ne sont pas des rumeurs, ce n’est pas un imaginaire. Et l’on ne parle même plus que des quartiers populaires. Je crains pour la rentrée sociale à laquelle on va assister », énumère-t-elle.

« Tant que l’on sera dans le déni sur ce sujet, il ne pourra pas y avoir de dialogue démocratique. Alors qu’entre les révoltes sociales et la Révolution (sic) suite au décès de George Floyd, il n’y a jamais eu autant de manifestations. »

Le combat Adama se transmet de génération en génération

« Nous avons une jeunesse de plus en plus conscientisée », observe Aïssata Seck. Brevet et bac en poche, ses deux filles l’accompagnent. « Avant, je trouvais que la plus jeune était trop petite pour venir. Cela fait quatre ans qu’elle souhaite se rendre à Beaumont. Cette année, elle s’attendait encore à un non », sourit l’élue.

Issa, 12 ans, a lui aussi tanné ses parents pour se rendre à la marche depuis Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). Aux anges, il est tout de fois bien conscient des enjeux. « Les policiers sont là pour nous sauver. Pourtant, tous les jours, des gens meurent », débite-il.

La foule lors du concert
La foule lors du concert

Pour les plus petits, encore plus présents qu’à l’accoutumé, le collectif avait tout prévu : stand de barbe à papa, jouets gonflables sur la Plaine des Grands Jeux dans le quartier de Boyenval, ainsi que la seconde édition du « festival Adama » pour clôturer la marche commémorative. Issa s’enquiert des artistes présents : Youssoupha, Hatik, rejoints cette année par Wejdene ou encore Bramsito. Mais la star du jour n’est pas chanteuse ou rappeuse. « J’ai pu voir Assa en vrai », s’exclame Issa. « Je suis un grand fan, j’ai même des poster d’elle dans ma chambre. C’était cool de la voir car grâce à elle, j’ai l’espoir que les choses changent », confie le garçon.

En « attendant Wejdene », Anissa, venue à Beaumont, a également tenu à avoir une photo avec Assa Traoré. Julia, sa maman, a tenu à lui raconter son histoire « pour lui inculquer des valeurs et lui montrer que la police commet parfois des erreurs ». « Face à une injustice, j’aimerais avoir la force de me mobiliser comme Assa. C’est beau ce qu’elle fait », ajoute la jeune maman.

Avant de laisser place aux chants et aux jeux, Bagui Traoré a pu observer la foule, réunie le poing levé en scandant le nom d’Adama, depuis l’estrade. « C’est un jour triste mais quand je vois tout ce monde, je sais qu’Adama aurait trouvé ça beau ».

* Nom d’emprunt.

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