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En appel, Louisette Ighilahriz renouvelle ses accusations

Dans un ouvrage intitulé "Algérienne" et publié en mars 2001, Louisette Ighilahriz explique avoir été torturée en 1957 pendant trois mois en Algérie "par le capitaine Graziani, qui agissait sous les ordres du général Massu et du colonel Bigeard". Lors d'une émission télévisée consacrée à la guerre d'Algérie, en mars 2002, le général Schmitt avait déclaré que ce livre était "un tissu d'affabulations et de contrevérités". Condamné pour ces propos, le 10 octobre 2003, à un euro symbolique de dommages-intérêts, le général avait fait appel. Le débat a repris le 8 septembre 2005 devant la cour d'appel de Paris. Le général Schmitt a été relaxé en appel.

Le général Schmitt confronté de nouveau à la question de la torture en Algérie

par Pascale Robert-Diard,Le Monde, 10 septembre 2005

A droite, le général Maurice Schmitt, ancien chef d’état-major des armées. A gauche, Louisette Ighilahriz, ex-militante du FLN. C’est la deuxième fois que ces deux-là s’affrontent devant la justice mais leur face-à-face dure depuis plusieurs années. Entre eux, il y a la guerre d’Algérie et son poison, la question de l’usage de la torture par les militaires français.

ighilahriz.jpg Dans un article du Monde , en juin 2000, puis dans un livre, Algérienne, publié en 2001, Louisette Ighilahriz avait raconté les sévices qu’elle avait subis, de fin septembre à décembre 1957 dans l’un des baraquements de la 10e division de parachutistes du général Massu, à Alger.

Un an après la sortie de son livre, à l’occasion d’un débat sur France 3, consacré à la guerre d’Algérie, le témoignage de l’ex-militante du FLN était violemment contesté par le général Schmitt qui qualifiait son récit de « tissu d’affabulations et de contre-vérités« .

Poursuivi en diffamation pour ces propos par Mme Ighilahriz devant le tribunal correctionnel de Paris, le général Schmitt avait été condamné, en octobre 2003, à lui verser un euro symbolique de dommages et intérêts (Le Monde du 13 octobre 20031).

Dans son jugement, le tribunal avait estimé que le général Schmitt « ne met[tait] pas seulement en doute, mais prétend[ait] complètement contraire à la réalité le témoignage sur la torture livré par Louisette Ighilahriz » et lui avait refusé le bénéfice de la bonne foi, en soulignant que le prévenu avait fait « le choix de mots très forts de sens et dénués de toute réserve » .

Le général Schmitt ayant fait appel de sa condamnation, le débat a repris, jeudi 8 septembre, devant la 11e chambre de la cour d’appel, présidée par Philippe Castel. Dans une salle où chacune des deux parties avait fait le plein de ses partisans ­ militaires en retraite d’un côté ; Algériens ou Français d’origine algérienne de l’autre ­ les plaies de la guerre d’Algérie se sont donc rouvertes publiquement pendant quelques heures.

Comme en première instance, où il avait affirmé vouloir défendre « l’honneur de l’armée » , le général Schmitt a vigoureusement contesté le témoignage de Louisette Ighilahriz, qui accuse de viols et de tortures le capitaine Graziani. « C’était un homme tout à fait éloigné de ce genre d’actes » , a-t-il répété. Puis il a dressé l’inventaire des approximations ou des erreurs relevées dans le livre de l’ex-militante du FLN.

Quand est venu son tour de déposer, Mme Ighilahriz, petite femme septuagénaire grièvement blessée lors de son arrestation et qui depuis, ne peut se déplacer qu’appuyée sur des béquilles, a crié plus qu’elle n’a raconté « sa » guerre : « Oui, j’ai subi des actes innommables de la part de Graziani. Oui, il m’a violée et quarante-cinq après, je n’en dors plus. Il a brisé ma vie ! Alors, être traitée de menteuse par M. Schmitt, c’est très dur, je n’en peux plus ! »

L’atmosphère était d’autant plus tendue que, depuis le jugement de première instance, de nouveaux épisodes sont venus enrichir la polémique. On les doit notamment à une journaliste du Monde, Florence Beaugé, spécialiste du Maghreb, qui avait recueilli le témoignage de Louisette Ighilahriz et qui a ensuite continué son enquête sur la guerre d’Algérie. Celle-ci l’a conduite à publier de nombreux articles sur la torture mettant en cause l’ex-parachutiste devenu président du Front national, Jean-Marie Le Pen ­ contre lequel elle a gagné deux procès en diffamation ­ puis le général Schmitt (Le Monde du 19 mars). De cette longue enquête, elle vient de publier le récit, Algérie, une guerre sans gloire, aux éditions Calmann-Lévy.

Citée par la partie civile, la journaliste est venue livrer à la cour le témoignage recueilli à l’occasion de ce livre, d’un ancien du 3e régiment de parachutistes, Raymond Cloarec, qui confirme sur plusieurs points celui de Louisette Ighilahriz. Surtout, il fait état des multiples tentatives du général Schmitt, entre mars et avril, pour le faire revenir sur ses déclarations dans la perspective du procès en appel contre Mme Ighilahriz.

Ces propos, enregistrés sur un répondeur téléphonique, ont été largement repris dans la plaidoirie de Me Yves Baudelot, l’un des deux avocats de l’ex-militante du FLN. Dans l’un des enregistrements, Raymond Cloarec raconte notamment que le général Schmitt lui a demandé « de lui envoyer un papier signé » démentant tout ce qu’il avait confié à Florence Beaugé concernant l’opération au cours de laquelle Louisette Ighilahriz avait été arrêtée.

Dans cette nouvelle querelle, l’avocate générale, Marie-Jeanne Vieillard, n’a pas voulu s’immiscer. Soucieuse de ramener le débat sur le seul terrain juridique du délit de presse ­ qui doit établir la réalité ou non de la « bonne foi » du général Schmitt dans sa critique du témoignage de Mme Ighilahriz ­, elle a estimé que la décision de première instance méritait un « réexamen approfondi » . Rappelant que ces propos avaient été tenus dans le cadre d’une émission polémique sur la guerre d’Algérie, elle a observé : « Ne devriez-vous pas considérer que ce militaire n’a pas outrepassé la polémique et qu’il devrait bénéficier de la liberté d’expression ? »

Jugement le 20 octobre.

Pascale Robert-Diard

« La ‘liberté d’expression’, ce n’est pas cela »

par Florence Beaugé, journaliste, Le Monde, 10 septembre 2005

Pourquoi le général Schmitt s’implique-t-il tant dans cette affaire ?

C’est un grand mystère. Il est en effet le plus mal placé pour parler et aurait dû être le dernier à le faire. Mais on peut avancer deux raisons principales. Tout d’abord, le général Schmitt en veut à quiconque dit la vérité à propose des exactions de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Or, Louisette Ighilahriz a été l’une des premières à s’exprimer et à dénoncer la torture, en juin 2000.

De plus, il s’agit dans son cas de la plus horrible des tortures, la torture suprême pour une femme, le viol.
Ensuite, je pense que joue également le fait que si Louisette Ighilahriz n’a pas eu affaire à lui, sa sœur, Malika est passée en 1957 par le centre d’interrogatoire qu’il dirigeait, l’école Sarouy à Alger. Peut-être a-t-il l’impression d’avoir quelques petites choses à se reprocher.

De plus, le général Schmitt a exprimé sa position dans plusieurs livres, et il se trouve maintenant pris dans un piège dont il ne peut plus sortir. Il s’accroche à sa version, à savoir que pour sa part il n’a pas eu besoin d’utiliser la torture et que les personnes interrogées se « déballonnaient » à la première gifle.
Mais c’est à lui qu’il faudrait poser cette question plus qu’à moi.

Que sait-il exactement sur les exactions de l’armée française en Algérie ?

Il est très bien placé pour savoir ce qu’il se passait. A l’époque, il revenait d’Indochine et était lieutenant dans une compagnie d’appui au sein de la 10e division parachutiste, celle du général Massu. Et il a été l’un des deux responsables de l’un des centres d’interrogatoires de plus sinistre réputation de l’armée française en Algérie, celui de l’école Sarouy à Alger.

Le parquet a demandé à ce que le général Schmitt bénéficie « de la liberté d’expression ». Pensez vous que la cour suivra ce réquisitoire ?

J’espère que non. J’ai été stupéfaite et choquée par ces propos. J’espère bien que la « liberté d’expression » ce n’est pas cela. Quand j’ai entendu ce réquisitoire j’étais atterrée et horrifiée.

Les Algériens présents dans la salle quant à eux ont été totalement anéantis. Venant d’un pays où l’indépendance de la justice n’existe pas, ils ne comprennent pas forcément qu’il ne s’agit que d’un réquisitoire que la cour n’est pas obligée de suivre. Eux, qui pensaient qu’en France la justice est libre, sont maintenant convaincus qu’il y a eu des pressions politiques, alors que leur seule réclamation, c’est la reconnaissance de la vérité, pas la vengeance.

Les propos de Florence Beaugé ont été recueillis par Jérôme Hourdeaux, le vendredi 9 septembre 2005.

Le général Schmitt relaxé dans le procès intenté par Mme Ighilahriz

par Robert-Diard P., Le Monde, 5 novembre 2005

Le général avait mis en doute le témoignage de Louisette Ighilahriz sur la torture en Algérie. L’ex-militante du FLN pourrait se pourvoir en cassation.

La cour d’appel de Paris a décidé jeudi 3 novembre de relaxer le général Maurice Schmitt. Celui-ci, ancien chef d’état-major des armées, était accusé de diffamation à l’encontre d’une ex-militante du FLN, Louisette Ighilahriz dont il avait remis en cause le témoignage sur la torture en Algérie. L’arrêt devait initialement être rendu le 20 octobre mais avait été prorogé.

Louisette Ighilahriz, ex-militante du FLN affirme avoir été violée par un officier de l’armée française à Alger en 1957.

Le général avait fait appel de sa condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Paris le 10 octobre 2003 à verser un euro symbolique de dommages-intérêts à Louisette Ighilahriz, pour avoir récusé les affirmations contenues dans son livre.

La cour d’appel a infirmé la décision du tribunal correctionnel en accordant au général le bénéfice de la bonne foi.

A l’issue du délibéré, Louisette Ighilahriz a annoncé son intention de déposer un pourvoi en cassation contre cette décision.

Plaies rouvertes

Dans cet ouvrage intitulé « Algérienne » et publié en mars 2001, elle explique avoir été torturée en 1957 pendant trois mois en Algérie « par le capitaine Graziani, qui agissait sous les ordres du général Massu et du colonel Bigeard ».

Lors d’une émission télévisée consacrée à la guerre d’Algérie, en mars 2002, le général Schmitt avait déclaré que ce livre était « un tissu d’affabulations et de contrevérités ».

Devant la 11e chambre de la cour d’appel présidée par Philippe Castel, le général a de nouveau contesté le témoignage de l’ancienne militante du FLN, expliquant notamment que le capitaine Graziani était « un homme tout à fait éloigné de ce genre d’actes ».

« Il m’a douloureusement violée, 45 ans après je n’en dors plus, il a brisé ma vie, brisé l’éducation de mes enfants. Oui, j’ai subi l’innommable de la part de Graziani », avait déclaré Louisette Ighilahriz, avec des sanglots dans la voix, lors du procès en appel.

« Etre traitée de menteuse par Maurice Schmitt, c’est très dur, les plaies se sont rouvertes, je ne peux plus assister ni entendre ce genre de paroles, je demande juste que la vérité se fasse définitivement », avait-t-elle ajouté.

Au cours de l’audience, la représentante du parquet général a estimé que la décision de 1ère instance condamnant le général Schmitt méritait un examen approfondi.  » Ne devriez vous pas estimer que ce militaire n’a pas outrepassé la polémique et devrait bénéficier de la liberté d’expression » a-elle lancé à l’adresse de la partie civile.

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