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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Propositions de loi au Sénat visant à abroger l’article 4 de la loi du 23 février 2005

Visant à abroger l'article 4 de la loi du 23 février 2005, deux propositions de loi ont été déposées au Sénat. L'une, le 27 juin 2005, émane de M. Guy Fischer et de sénateurs communistes et l'autre, le 4 juillet 2005, de M. Jean-Pierre Michel et de sénateurs socialistes. Nous les reproduisons, ainsi qu'un commentaire paru dans la presse algérienne, par Yacine Kenzy, publié dans le quotidien Liberté, le 8 juillet 2005. Après avoir été adoptée dans la discrétion, le silence et les complicités passives, la loi du 23 février 2005 fait l'objet de critiques au parlement qui tiennent compte de celles des historiens, enseignants et citoyens.

PROPOSITION DE LOI

déposée au Sénat le 27 juin 2005

tendant à abroger l’article 4 de la loi n° 2055-158 du 23 février 2005 qui tend à l’apologie du colonialisme,

PRÉSENTÉE PAR LES SÉNATEURS

M. Guy FISCHER, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Eliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Pierre BIARNÈS, Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA et Jean-François VOGUET,

(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

L’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 stipule que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le caractère positif de la présence française outre mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires, la place éminente à laquelle ils ont droit. »

Cet article 4 doit être supprimé pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, sur un plan formel, il n’est pas souhaitable que le Parlement fixe le contenu des programmes scolaires.

De nombreux enseignants et historiens soulignent avec raison que ces programmes doivent se fonder sur les acquis de la recherche scientifique. De nombreuses associations, dont l’APHG (association des professeurs d’histoire et géographie), ont pris position pour l’abrogation.

La demande proposée par la disposition incriminée tend, au contraire, à élaborer ces programmes en fonction d’objectifs politiques de pure opportunité.

Les auteurs rappellent au ministre délégué aux Anciens combattants ses propres écrits : « Prétendre imposer une pensée officielle aux historiens et diffuser une histoire homologuée en classe, serait stupide et n’a jusqu’à présent été réalisé sur notre continent que par des régimes totalitaires. Ni le législateur ni le gouvernement n’ont eu le projet, ni même l’idée. Il appartient aux historiens d’écrire l’histoire et aux enseignants de l’enseigner. » (Le Monde 8 mai 2005).

Ensuite, les auteurs constatent que l’adoption de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 intervient dans un contexte de réhabilitation de ceux qui ont défendu jusqu’au bout par la terreur, la violence et les assassinats, le principe de la colonisation.

Ainsi le 6 juillet 2005 certains nostalgiques ont tenté d’inaugurer un monument dédié « aux fusillés de l’OAS » à Marignane dans les Bouches-du-Rhône. 71 personnes tombèrent sous le coup de cette organisation d’extrême droite en métropole et 399 furent blessées. 2 200 au moins furent assassinées en Algérie. L’un de ses chefs Roger DEGUELDRE fut alors fusillé le 6 juillet 1962. L’émotion et l’intervention de nombreuses personnalités et associations ont amené les pouvoirs publics à annoncer l’interdiction de cette initiative et à la faire respecter.

Enfin, les auteurs estiment choquant lorsque l’on sait quels furent les fondements de la colonisation, c’est-à-dire l’exploitation sans vergogne de ressources minières, végétales et humaines de pays et continents entiers et les conséquences désastreuses de celles-ci, déstructuration des sociétés, maintien, aujourd’hui encore, d’un tutorat politique et économique bridant le développement, d’inscrire dans la loi de notre pays qui se proclame « patrie des droits de l’Homme », le caractère « positif » de la présence française outre-mer.

Les auteurs estiment urgent de rectifier cette loi, susceptible d’être ressentie comme une insulte pour les millions d’hommes et de femmes, leurs descendants, qui ont été victimes de la colonisation.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

  • L’article 4 de la loi 2005-158 du 23 février 2005, portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, est abrogé.

PROPOSITION DE LOI

déposée au Sénat le 4 juillet 2005

visant à abroger l’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés,

PRÉSENTÉE PAR LES SÉNATEURS

M. Jean-Pierre MICHEL, Mme Bariza KHIARI, MM.Claude DOMEIZEL, Jean-Pierre BEL, Yannick BODIN, Roger MADEC, Bernard FRIMAT, Mme Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Pierre SUEUR, Claude SAUNIER, Serge LARCHER, Claude LISE, Richard YUNG, Raymond COURRIÈRE, Mme Odette HERVIAUX, M. Jean-Marc TODESCHINI, Mmes Michèle ANDRÉ, Maryse BERGÉ-LAVIGNE, MM. Bernard DUSSAUT, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Serge LAGAUCHE, Mmes Sandrine HUREL, Alima BOUMEDIENE-THIERY, Dominique VOYNET, MM. Jean-Marc PASTOR, Gérard MIQUEL, Mmes Marie-Christine BLANDIN, Catherine TASCA, Christiane DEMONTES, MM. Charles GAUTIER, Pierre MAUROY, Daniel REINER, Mmes Gisèle PRINTZ, Patricia SCHILLINGER, Raymonde LE TEXIER, Claire-Lise CAMPION, MM. David ASSOULINE, Jean-Louis CARRÈRE, Jean DESESSARD et Jacques GILLOT,


(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

L’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés dispose :

« Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite.

Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.

La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée. »

Il convient tout d’abord de noter le caractère redondant des énoncés de cet article quant à l’oeuvre accomplie par des personnes de toutes origines durant la présence française outre-mer. Il est en effet rendu hommage à celles-ci, dès l’article premier de la loi, dans des termes clairs et concis :

« La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. »

Il convient également de noter que le troisième alinéa de l’article 4 est sans aucune portée juridique.

En revanche, l’article 4 de la loi excède l’expression de la reconnaissance de la Nation, telle qu’elle peut légitimement être exprimée dans un texte voté par le Parlement.

Tout d’abord, ce texte constitue une injonction à l’égard des responsables des programmes scolaires et universitaires. La compétence d’élaboration des programmes appartient au ministre de l’éducation nationale, après avis du Conseil national des programmes, composé de personnalités qualifiées nommées par le ministre, notamment de représentants des enseignants.

S’il est du domaine de la loi de déterminer l’organisme compétent pour participer à l’élaboration des programmes, il n’est pas de son ressort de fixer, en quelque matière que ce soit, le contenu des programmes scolaires et universitaires.

Ce faisant, la loi, bien que votée dans les formes démocratiques, constituerait l’amorce d’une dérive vers l’instauration d’une histoire officielle telle qu’elle n’est réalisée que par les régimes totalitaires. Ainsi, la rédaction du texte de l’articler 4 obère l’éventualité d’effets négatifs en ne mentionnant explicitement que la reconnaissance « en particulier du rôle positif de la présence française outre-mer ».

Telle ne saurait être la volonté du législateur. Toutefois, le texte de la loi porte atteinte à la neutralité républicaine. Il révèle une volonté d’ingérence du pouvoir politique dans les recherches accomplies par les historiens, en vue d’orienter les conclusions de leurs travaux.

D’autre part, l’article 4 anticipe sur les débats qui font aujourd’hui l’objet du travail des chercheurs. Il n’est en effet pas établi que le rôle de la présence française outre-mer puisse être qualifié globalement de positif. La présence française outre-mer a été multiforme. Sa durée s’est étalée sur plusieurs décennies, avec des effets divers, positifs parfois, mais aussi très négatifs, notamment pour les populations locales.

Il importe donc avant tout de laisser le débat se poursuivre afin de permettre aux universitaires et aux historiens de dégager progressivement, à travers les documents disponibles et les témoignages, les éléments de faits qui permettront d’établir la vérité historique. Ce travail ardu et délicat, compte tenu des guerres, des conflits et des traumatismes nombreux qui ont marqué la fin de la colonisation, doit impérativement se dérouler dans la sérénité. Aucune injonction dans ce domaine n’est recevable.

Que l’ancienne puissance coloniale s’arroge le droit de décider, de façon unilatérale au moyen d’un texte législatif, que sa présence a eu des effets positifs, -semble-t-il à l’exclusion de tous autres effets éventuels- et que ces effets positifs doivent être enseignés dans les programmes scolaires, ne peut que nuire à la sérénité du débat.

Cette attitude est déjà ressentie comme une marque de mépris par les populations des pays autrefois colonisés. Il en est de même pour les personnes issues de l’immigration, ce qui va à l’encontre de la volonté d’intégration affirmée par ailleurs, et risque de conduire ces populations au repli communautaire.

Elle est perçue comme une persistance de l’état d’esprit colonial et peut nourrir de regrettables malentendus avec les représentants des États constitués après la fin de la colonisation. Elle peut aussi favoriser un négationnisme réciproque, non seulement sur les effets négatifs avérés de la présence coloniale, mais aussi sur les circonstances tragiques qui ont marqué la fin de la colonisation.

A l’évidence, l’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ne répond pas aux aspirations de toutes celles et tous ceux qui ont vécu de manières différentes la colonisation ou ont été victimes, à des titres divers, des drames qui ont marqué la fin de cette époque.

A l’inverse, sa rédaction se révèle lourde de dangers, tant à l’égard de la neutralité scolaire, expression essentielle du principe de laïcité nécessaire à l’unité nationale, que de la liberté de pensée qui fonde toute recherche scientifique.

Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

  • L’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés est abrogé.

Le Parti socialiste français demande l’abrogation de la loi du 23 février 2005 sur la colonisation de l’Algérie

par Yacine Kenzy, publié dans Liberté, le 8 juillet 2005.

Les socialistes français ont demandé au Premier ministre Dominique de Villepin de “proposer l’abrogation” de la loi française du 23 février perçue à Alger comme un “éloge” de la colonisation et qui a suscité une crispation des relations entre les deux pays.

Les présidents des groupes PS à l’Assemblée et au Sénat, Jean-Marc Ayrault et Pierre Bel ont écrit une lettre au Premier ministre pour formuler leur demande. Ils estiment que “la tentative d’écrire une histoire officielle de la colonisation et de la propager par l’enseignement scolaire est choquante et inacceptable”.

L’article 4 de la loi du 23 février 2005 en faveur des rapatriés exprime la “reconnaissance” de la France pour leur “œuvre”, prévoit que les programmes scolaires reconnaissent “en particulier le rôle positif de la présence française” en Afrique du Nord et “accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit”.

Les socialistes, qui avaient voté contre l’ensemble de ce texte, n’avaient néanmoins pas critiqué en séance cette disposition sur les programmes scolaires, à l’Assemblée le 11 juin 2004, ou au Sénat le 16 décembre 2004, pas plus qu’à l’Assemblée en deuxième lecture le 10 février 2005 où les députés avaient adopté dans les mêmes termes qu’au Sénat le texte, voté en conséquence définitivement. Au Sénat, le 16 décembre, Gisèle Printz (PS) avait alors estimé en séance que cette disposition “méritait approbation”. Elle n’avait d’ailleurs donné lieu ensuite à aucun débat au Sénat lors de l’examen des articles.

La loi a été initiée par des députés UMP dont l’actuel ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy.

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