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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
Abderrahmane Taleb

Proche de Maurice Audin, Abderrahmane Taleb, résistant algérien victime de la guillotine

Abderrahmane Taleb
Abderrahmane Taleb

« Pour ma patrie, pour mon idéal et pour mon peuple, périr n’est qu’un sublime sacrifice auquel je suis résigné… Je saurai mourir. L’Algérie sera libre envers et contre tout. »

Abderrahmane Taleb, 28 ans, étudiant en Chimie à la faculté d’Alger, guillotiné à la prison Barberousse à Alger.


Durant la guerre d’Algérie, les exécutions à la guillotine de résistants algériens à la colonisation ont commencé le 19 juin 1956, par celle Ahmed Zabana, appelé par ses proches du prénom de Hmida, qui avait pris les armes et rallié les maquis de l’Ouest.

La décapitation de Zabana, à la prison Serkadji à Alger, a eu des échos dans toute l’Algérie, et plus particulièrement à d’Oran, dans son quartier de Sidi Blel où les femmes ont fait entendre leurs youyous. De son côté, Hamani Mohand Cherif ben Wahrane, qui est né et a grandi dans le quartier de Sidi Blal, prés de Mdina Djdida, à Oran, a écrit à sa mémoire le poème « Dbayli ana », vite adopté par l’Ouest et tous les Algériens. Après avoir suivi ses études à l’université Zitouna, Mohand Cherif a regagné Oran où à il a enseigné la langue arabe à l’école El Fallah et est décédé en 1981 après avoir écrit plusieurs autres poèmes comme « El Hmam » et « Zabana », ce poème, repris par Ahmed Wahby, Blaoui Houari et tant d’autres formations musicales, qui est aujourd’hui incontournable en Algérie dans les festivités nationales.


Algérie : Abderrahmane TALEB, l’enfant studieux de Bir Djebbah

par Mohamed Rebah, auteur « Des Chemins et des Hommes », Alger, 2009, le 24 avril 2011.

Abderrahmane Taleb, l’enfant studieux de Bir Djebbah, dans la Casbah d’Alger, le fils d’un ouvrier pâtissier, est mort sur l’échafaud, le 24 avril 1958, à l’aube, à la prison de Serkadji, dans la Haute Casbah. Il avait 28 ans.

Né le 5 mars 1930, rue des Sarrazins, près de djamaa Sidi Ramdane, face à cette prison où il laissa sa vie pour l’indépendance de l’Algérie, il entre à l’âge de six ans à l’école Braham Fatah, boulevard de la Victoire. Admis à l’examen de sixième, il passe au cours complémentaire Sarrouy, rue Montpensier, en haut de l’impasse des Zouaves et de la rue des Abderrahmanes, le quartier de Bir Djebbah. Il mène de bonnes études, malgré un eczéma, qui le perturbe et l’oblige souvent à rater des cours.

Le brevet (BEPC) en poche, il entre, en 1948, en classe de Seconde du collège moderne du boulevard Guillemin, dans le quartier de Bab el Oued. Il rencontre Nour Eddine Rebah qui est en classe de Première, la classe où se prépare la Première partie du Baccalauréat.

Ils deviennent vite copains. Après un bref passage dans les groupes El Islah et El Kotb des Scouts musulmans (SMA), les deux copains se retrouvent au cercle El Mokrani de l’Union de la Jeunesse Démocratique Algérienne (UJDA), au 44 rue Ben Cheneb, face à la Médersa d’Alger, dans la Basse Casbah, où ils ont des amis communs : Ahmed Ould Amrouche, (militant du PPA-MTLD qui a rompu avec l’idéologie islamo-populiste pour aller au marxisme), Abderrahmane Akkache (cousin germain d’Ahmed Akkache),Tayeb Bouheraoua, Hadj Omar, comédien de la troupe El Mesrah El Djazaïri, fondée par Mustapha Kateb. Le cercle était également fréquenté par le célèbre humoriste Mohamed Zinet. À l’université d’Alger, Abderrahmane Taleb et Nour Eddine Rebah fréquenteront le groupe des étudiants marxistes.

Dans ces années cinquante où le mouvement national algérien se déploie, Abderrahmane Taleb est en contact avec H’Didouche Bouzrina, Sadji, Ahcène Laskri. L’été 1954, il est très affecté par la crise politique qui fractionna le PPA-MTLD en deux parties, et a vu des militants, qui avaient longtemps milité ensemble, regardant dans la même direction, durement s’affronter.

Pendant les vacances universitaires de l’été 1955, il organise, pour les djounouds de l’ALN naissante, un stage d’artificiers, dans la forêt d’Azzefoun, le pays de ses ancêtres. Suite à la grève du 19 mai 1956, il quitte les bancs de l’École de Chimie de l’Université d’Alger où il était en deuxième année, et rejoint le maquis des monts de Blida où le futur colonel de la wilaya IV, Amar Ouamrane, l’affecte à une infirmerie.

Il prend le nom de guerre de Mohand Akli. Sur instruction du commandant militaire, Slimane Dehilés, il quitte le maquis pour Alger où il intègre l’atelier de fabrication de bombes, créé par la Zone autonome d’Alger. Il retrouve son jeune camarade de quartier, Salah Bazi.

Fin janvier 1957, passant à travers les mailles du filet tendu par le général Massu, qui avait les pleins pouvoirs, il quitte La Casbah et rejoint de nouveau le maquis de Blida, au djebel Beni Salah.

Sur dénonciation, il est capturé au mois d’avril par les parachutistes. Il venait d’échapper à une embuscade tendue la nuit dans une clairière par les mêmes parachutistes. Cette nuit – là, il était en compagnie de Hamid Allouache qui « errait » (selon son expression) sans arme dans les parages.

Ils devaient, avec deux autres compagnons d’armes, traverser la clairière, l’un après l’autre, Abderrahmane taquinait un âne qui refusait d’avancer. Au moment où les parachutistes s’étaient mis à tirer sur eux, il n’avait pas encore traversé la clairière. Ses camarades qui avaient échappé à la fusillade étaient déjà loin devant. Se trouvant seul dans la nuit noire, il demanda l’hospitalité au premier gourbi rencontré au-dessus d’une déchra de Derdara, pas loin de Sidi el Kebir. Le lendemain, au petit matin, son hôte d’un soir, courut au poste militaire français et signala sa présence.

Conduit à la ferme Chenu, au faubourg de Blida, il fut identifié après avoir été sauvagement torturé. L’homme qui l’a vendu à l’ennemi, démasqué par le chef de secteur de l’ALN, paya de sa vie sa traitrise, me raconta Hamid Allouache qui traça pour moi le schéma des lieux en me disant : « Tu es le seul à qui je fais le récit de la capture d’AbderrahmaneTaleb et de l’exécution du montagnard qui l’a vendu ». Hamid Allouache et mon frère aîné Nour Eddine avaient rejoint ensemble le maquis de l’Arba-Palestro, au mois de juillet 1956.

Trois fois condamné à la peine capitale, Abderrahmane Taleb fut exécuté, le 24 avril 1958, à l’aube, malgré les pressantes démarches effectuées auprès du président de la République française, René Coty, par d’éminentes personnalités françaises comme Jean-Paul Sartre, François Mauriac, Henri-Lévy Bruhl, Francisque Gay, Maurice Duvergey, Henri Laugier, Maurice Haudiou, Pierre Emmanuel et par de grands écrivains et publicistes. Réunies à Londres, vingt-deux associations nationales d’étudiants de différents pays avaient demandé, en vain, la révision du procès. Son nom et son parcours furent présentés au Collège de France, dans les Instituts de recherche, les Facultés et dans les Grandes Écoles. Le journal l’Humanité, organe central du PCF, titrait : « TALEB ne doit pas mourir ».

Le jour de son exécution, il dit au Cheikh, désigné par l’administration coloniale pour lire la fatiha : « Prends une arme et rejoins le maquis! ». Aucun mot ne sortit de la gorge nouée du taleb, raconte Hamid Guerrab, un rescapé de la guillotine. Le soir, les parachutistes firent irruption chez le vieil homme, à la rue des Chameaux, à la Casbah, le trainèrent dans les escaliers jusqu’à la terrasse, d’où ils le jetèrent dans le vide.

Les lunettes qu’avait retirées à Aberrahmane Taleb, Fernand Meyssonnier (« l’exécuteur des arrêts criminels »), se trouvent toujours en France, à Fontaine-de-Vaucluse. « Je les ai gardées en souvenir », a dit son bourreau.



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