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Édition du 1er au 15 octobre 2024

Algérie : les institutions réagissent à la loi française du 23 février 2005

Les députés algériens s'apprêtent à réagir à la loi d 23 févier 2005 votée par le parlement français dans laquelle ils voient une apologie de la colonisation. Une réponse est envisagée par les parlementaires algériens à leurs homologues français au sujet de cette loi portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », pieds-noirs et harkis. Nous reproduisons la dépêche de l'agence Associated Press à ce sujet, un entretien publié dans le quotidien algérien Liberté avec Abdelaziz Belkhadem, ministre d'État algérien et secrétaire général du FLN, ainsi qu'un article du quotidien El Watan.

Le parlement algérien veut riposter à la loi française sur les rapatriés d’Algérie

ALGER [AP | 16.06.05 | – Le parlement algérien est en train de préparer une riposte à la loi française sur les rapatriés d’Algérie, dans laquelle il voit une apologie de la colonisation, a déclaré jeudi le président de l’assemblée nationale populaire algérienne, Ammar Saidani.

Des consultations sont en cours entre l’Assemblée et le Sénat avec l’ensemble des groupes parlementaires pour aboutir à un texte consensuel qui sera la réponse des parlementaires algériens à leurs homologues français, au sujet de cette loi portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », pieds-noirs et harkis.

Voté définitivement le 10 février dernier, le texte prévoit notamment une amélioration de « l’allocation de reconnaissance ». Mi-travail de mémoire mi-réparation économique, il fait scandale auprès des élus algériens, et agite depuis quelques jours les partis politiques et organisations dans la périphérie du pouvoir algérien. La dernière dénonciation vient de la puissante Organisation nationale des anciens Moudjahiddines (ONEM), les anciens combattants de la guerre de libération.

« Alors que les plaies se cicatrisent progressivement et que de nouvelles perspectives susceptibles de servir les objectifs des deux peuples algérien et français se dessinent à l’horizon, les anciennes forces coloniales continuent de faire l’amalgame entre la guerre d’agression coloniale et la lutte légitime de libération », estime l’ONM dans un communiqué.

Le Front de Libération Nationale (FLN, parti majoritaire et membre de la coalition présidentielle) avait le premier dénoncé ce texte dans les colonnes du quotidien « Liberté », le 6 juin. Le FLN y estimait que ce texte « consacre une vision rétrograde de l’Histoire », et condamnait « cette volonté de justification de la barbarie du fait colonial en gommant les actes les plus odieux tels que les extermination de la population et tribus, les enfumades collectives, les déportations massives de la population ».

Le FLN estime en outre que le Parlement français a « pris une lourde responsabilité pouvant remettre en cause le processus largement entamé, sous l’impulsion des présidents Bouteflika et Chirac de la difficile refondation des relations entre l’Algérie et la France ».

Les observateurs voient dans cette montée au créneau collective, à l’heure où les relations franco-algériennes connaissent une nouvelle crispation, l’œuvre du président Abdelaziz Bouteflika, qui avait déjà comparé, le 8 mai dernier, les fours à chaux utilisés en 1945 par des colons français pour incinérer les milliers des cadavres d’Algériens tués lors de la répression des manifestation du 8 mai 1945 dans l’est algérien, aux « fours crématoires des nazis ».

Dans un entretien publié le 13 juin dans le quotidien algérien Liberté, Abdelaziz Belkhadem, ministre d’État algérien et secrétaire général du FLN, commence par aborder la loi du 23 février 2005.

Liberté : Vous avez été le premier responsable politique à dénoncer la loi portant sur “la reconnaissance de la nation et la contribution nationale en faveur des Français rapatriés” adoptée le 23 février dernier par le Parlement français. Pensez-vous que l’adoption de cette loi est de nature à compromettre la signature du traité d’amitié franco-algérien prévue vers la fin de l’année en cours ?

Abdelaziz Belkhadem : Non. Je ne crois pas que cela puisse compromettre la signature du traité d’amitié. Mais, il était du devoir de la classe politique de rappeler à nos amis français que nous avons affaire à une France souveraine qui désire entretenir des rapports d’amitié, de partenariat et de bon voisinage avec une Algérie souveraine. Et que la France coloniale reste du domaine du passé.

Alors, nous n’avons pas compris qu’au moment où l’on parle de refondation des relations, au moment où l’on parle de la nécessité pour les deux peuples d’entretenir des relations de partenariat beaucoup plus élaborées, la majorité parlementaire française dépose une proposition de loi portant sur les rapatriés et l’adopte. S’ils veulent à travers cette loi réhabiliter une partie des Français, libres à eux, mais de là à dire qu’il y a des aspects positifs dans la colonisation, c’est là où nous leur disons qu’ils ont falsifié l’Histoire. C’est là aussi où nous disons qu’au lieu d’aller vers la repentance, au lieu d’aller vers une plus grande sérénité dans la relation algéro-française pour préserver les intérêts des deux pays, on nous ressert ce qui a été un crime sous une forme positive.

Nous étions donc dans l’obligation de réagir. J’aurais aimé que l’ensemble de la classe politique réagisse et que la réaction ne soit pas seulement une condamnation. Que la classe politique fasse appel à la conscience des Français qui ont connu la résistance et les crimes commis par le nazisme pour ne pas avoir à positiver une occupation coloniale.

L’ambassadeur de France reçu par le secrétaire général du FLN

Comment dépasser la polémique ?

par Adlène Meddi, publié par El Watan le 13 juin 2005.

Le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, a reçu, samedi 11 juin au siège du parti à Alger, l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, selon un communiqué du FLN. Selon des sources diplomatiques, l’entrevue a été sollicitée par l’ambassadeur.

« J’ai expliqué la position du FLN à l’ambassadeur. Ce dernier a déclaré que l’article 4 de la loi du 23 février 2005 est un sous-amendement présenté tard dans la nuit en présence de peu de députés à l’Assemblée nationale française », a indiqué M. Belkhadem, contacté hier.

Le diplomate a, lui, expliqué que cet article ne faisait pas état de colonialisme mais plutôt de « la présence de la France en Afrique du Nord et rendait hommage à ceux qui ont choisi alors la France, c’est-à-dire les harkis et les pieds-noirs », selon le patron du FLN. M. Belkhadem a ajouté que l’ambassadeur a déclaré que l’intention de cette loi n’était pas de réécrire l’histoire et que le « colonialisme est condamnable ». Hubert Colin de Verdière a également dit à Abdelaziz Belkhadem qu’il n’y avait pas d’histoire officielle.

Le premier responsable du FLN, qui parle d’une « rencontre amicale », considère que son parti restera sur la même position. Le FLN a condamné, le 6 juin, « avec la plus grande fermeté » la loi 2005-158 du 23 février 2005 sur le « rôle positif de la présence française outre-mer ». Le FLN a estimé que cette loi « glorifiait l’acte colonial » et pouvait « remettre en cause » l’avenir des relations algéro-françaises, notamment le traité d’amitié en préparation. La loi adoptée par le Parlement français porte « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » et ne fait référence qu’au seul « rôle positif de la présence française outre-mer », notamment en Afrique du Nord, sans évoquer la brutale conquête du pays ni les répressions systématiques et les violations de la dignité humaine par le système colonial. Le FLN s’était élevé « contre ce texte qui consacre une vision rétrograde de l’histoire et condamne, avec la plus grande fermeté, cette volonté de justification de la barbarie du fait colonial en gommant les actes les plus odieux ». Le parti a souligné que ce texte « dont l’inspiration colonialiste est manifeste » intervient « curieusement à un moment où l’Algérie et la France se préparent à la signature d’un traité d’amitié qui devrait confirmer le dépassement des vicissitudes de l’histoire complexe qui a empreint les relations entre les deux pays ».

« Il n’y a pas de crise mais une polémique. C’est normal vu l’histoire entre les deux pays », a réagi hier une source diplomatique à Alger. Cette source estime que le traité d’amitié ne subira pas d’incidences négatives vu les importants engagements pris dans ce sens et l’« impressionnant travail » accompli par les deux parties. Lors d’une visite à Alger, le 10 mai dernier, le secrétaire d’Etat français aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, avait réaffirmé la volonté du gouvernement français de voir « signé d’ici fin 2005 » le traité d’amitié avec l’Algérie. La même source diplomatique a rappelé que le contexte français reste marqué par la présence des rapatriés dont une partie est parfois impliquée dans « des lobbys ou dans des enjeux locaux » comme dans les régions sud de la France. Les nostalgiques de l’OAS redoublent depuis quelque temps d’ardeur commémorative à Toulon, Perpignan, Marignane. La source a indiqué que des intellectuels et des historiens en France ont fait le procès de l’article 4. Même les politiques. Cité par Le Monde, le député François Liberti (communiste) s’indigne du « dévoiement » d’un texte dont il défendait la première finalité : « Cela aurait dû être une ultime loi d’indemnisation permettant de réparer les inégalités et les injustices existantes entre les rapatriés et à l’égard des harkis. La loi votée ne solde en rien ce problème et n’est qu’un texte de réhabilitation du fait colonial. »

Le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, député de Haute-Garonne, est l’un des instigateurs de la loi du 23 février. Patron de l’UMP (parti au pouvoir) à l’époque, il avait tenté en 2003 de faire passer une proposition de loi « visant à la reconnaissance de l’œuvre positive de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la présence française », rappelle le journal Le Monde. Douste-Blazy a expliqué au même quotidien que l’article 4 de la loi du 23 février « aborde la question du travail de mémoire en laissant la responsabilité première en ce domaine aux chercheurs, historiens et enseignants dans la pluralité et l’objectivité des points de vue ».

La réaction du FLN début juin, jugée tardive et soupçonnée de « calcul politique », avait suivi la polémique née lors de la commémoration du 60e anniversaire des massacres du 8 mai 1945. Le président Abdelaziz Bouteflika a évoqué la répression des forces coloniales et des milices civiles contre les manifestants algériens en faisant allusion aux fours nazis et a parlé de « génocide ». Alors que le Quai d’Orsay réagissait le 11 mai, estimant que la rapprochement franco-algérien « passe par un travail de mémoire commun, dans le respect mutuel, pour examiner et surmonter le passé, y compris dans les pages les plus douloureuses de la période de la colonisation ». « La repentance reste pour le peuple algérien une condition sine qua non en vue de la conclusion du futur traité d’amitié franco-algérien. La construction du futur est indissociable du devoir de mémoire », a estimé Mohamed El Korso, président de l’Association du 8 Mai 1945. Hier, l’Organisation nationale des enfants de moudjahidine (ONEM), dans un communiqué signé par son secrétaire général Khalfa Mebarek, réaffirme le parallèle du président entre les crimes nazis et les crimes coloniaux. « Nous refusons la signature du traité d’amitié si la France ne reconnaît pas ses crimes contre le peuple algérien de 1830 jusqu’à 1962 et devra s’excuser pour ne pas mettre au même niveau le bourreau et la victime », dit le communiqué de l’ONEM dont le patron est membre du conseil national du RND, parti d’Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement. FLN, RND et MSP construisent-ils un consensus autour de l’exigence de repentance comme condition sine qua non de la signature du traité d’amitié ?

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