Un boycott surprenant
Comme l’a relaté, le 3 juillet 2019, un article du quotidien Le Parisien, « Bobigny : l’Etat boycotte le colloque sur les extrémismes violents », l’absence des représentants de l’Etat à l’ouverture de ce colloque est d’autant plus surprenante que ce travail d’enquête et de réflexion pour tenter de comprendre les mécanismes qui conduisent certains jeunes à des dérives vers la violence et d’y réagir est soutenu depuis plusieurs années par ces mêmes institutions publiques. Et le colloque a montré que les approches des intervenant(e)s venu(e)s de plusieurs pays étaient fondées sur des études précises et approfondies.
Elles ont mis notamment en évidence que les jeunes impliqués dans des processus de radicalisation étaient « isolés à l’adolescence », avec des scolarités honorables, souvent, mais, pour plus de la moitié, des parcours de vie abîmés. 58 % avaient déjà fait l’objet d’un suivi éducatif ou d’un placement, mais, ce furent « des rendez-vous manqués avec la protection de l’enfance ». La psychologue Malika Mansouri a souligné la protection défaillante de cette institution, comme de la famille qui se résume souvent à une mère. Elle a parlé des « trous filiatoires », de secrets de famille enfouis ou méconnus, et montré qu’il serait risqué de « dissocier le psychique du politique ». En bref, un travail de grande qualité qui ne justifie en rien cette défiance des autorités publiques sous la pression d’une campagne déclenchée par l’extrême droite.
L’une des premières protestations contre ces consignes de boycott qui ont émané du ministère de l’Intérieur, est venue de la Commission Islam & laïcité, qui a publié, le 4 juillet, le communiqué suivant.
Le sociologue Saïd Bouamama victime d’une exclusive politique
Le colloque de deux jours, organisé à Bobigny sur le thème « Mécaniques de l’extrémisme violent » a été troublé par l’absence d’un de ses organisateurs, Saïd Bouamama, suite à — semble-t-il — un veto venant du ministère de l’intérieur. Ce veto relaie un campagne express initiée par le Rassemblement National, suivi par Figaro Vox, Valeurs Actuelles, Français de Souche. Les officiels qui devaient introduire le colloque se sont fait porter pâle. L’oukase contre notre ami Saïd Bouamama est d’autant plus étonnant que Saïd est co-animateur depuis 4 ans du projet que présente ledit colloque, projet soutenu par l’État et la préfecture de Seine-Saint-Denis.
L’intervention qu’il devait faire a été lue, chaudement applaudie, nul doute qu’elle sera publiée, chacun·e pourra alors constater d’abord sa grande qualité et ensuite, qu’elle est à mille lieues de constituer une « complaisance envers le djihadisme. »
Concrètement on instrumentalise le djihadisme pour tenter de discréditer un sociologue dont les opinions politiques de gauche sont publiques et dont les références intellectuelles en matière politique se trouvent dans le marxisme et pas du tout dans l’islam politique.
Cette censure émane de milieux islamophobes, d’extrême droite le Rassemblement National, et du Printemps Républicain.
Le sectarisme destructeur du groupe de pression islamophobe va donc jusqu’à tenter de détruire des structures et projets visant à réinsérer des personnes dites « radicalisées » dans une vie sociale partagée plutôt que de poursuivre une trajectoire dangereuse tant pour les autres que pour elles-mêmes.
La Commission Islam & Laïcité est extrêmement inquiète de la rapidité avec laquelle le gouvernement cède aux pressions du Rassemblement National et de ses alliés islamophobes.
Paris, le 4 juillet 2019
Le quotidien Mediapart a publié le 5 juillet un article de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme. Source
Pour Saïd Bouamama
Une association de sauvegarde de l’enfance de Seine-Saint-Denis, reconnue par tous les acteurs institutionnels, organise un colloque sur les mécanismes de radicalisation. Les représentants de l’Etat doivent assister et prendre la parole à la séance d’ouverture. Ils se désistent sans raison apparente. La réalité: ils ne voulaient pas apparaître dans un colloque où devait intervenir Saïd Bouamama. Quand l’Etat cautionne l’extrême-droite…
Une association de sauvegarde de l’enfance de Seine Saint Denis, reconnue par tous les acteurs institutionnels, organise un colloque international sur les mécanismes de radicalisation. Les représentants de l’Etat, le Procureur de la République doivent assister et prendre la parole à la séance d’ouverture. Ils se désistent sans raison apparente.
La réalité est qu’ils ne voulaient pas apparaître dans un colloque où devait intervenir Saïd Bouamama. Mais qu’est-ce que ce sociologue, membre de l’association organisatrice du colloque a-t-il fait pour provoquer un tel comportement ? A-t-il tué ou volé ? Est-il impliqué dans des affaires de mœurs ou de corruption ? Ses propos, ses écrits tombent-ils sous le coup de la loi ? Aurait-il glorifié le terrorisme, le racisme, insulté telle ou telle communauté ? A lire la prose de la meute qui le poursuit, rien de tout cela. Il a fondé avec d’autres le parti des Indigènes et il incarne une pensée dans laquelle certains puisent leurs références. Aussitôt l’Etat est-il sommé de ne pas s’assoir aux côtés de ce dangereux « communautariste » (musulman, forcément musulman…) et le pire, c’est le mot qui convient, c’est que ses représentants obtempèrent !
Je ne m’attarderais pas sur le ridicule qui voit les représentants de l’Etat pratiquer la politique de la chaise vide lors d’un colloque d’une association largement financée par les pouvoirs publics locaux, départementaux et nationaux et appréciée pour son efficacité dans la sauvegarde de l’enfance.
En revanche que l’Etat cautionne ainsi les aboiements d’une meute où l’extrême-droite le dispute à la crétinerie montre à quel point les représentants du pouvoir ont intégré le discours d’exclusion de toute pensée différente.
Ce n’est pas la première fois que cette attrition de la pensée est à l’œuvre. A Lyon un colloque universitaire sur l’Islamisme est annulé, à Paris un débat sur la loi polonaise imposant une vérité sur l’histoire de ce pays durant la deuxième guerre mondiale est perturbé. Là, c’est une œuvre artistique qui est détruite ou une représentation censurée.
Ce qui est ici en cause, c’est la décision de la puissance publique de déférer aux injonctions d’un groupe de pression et d’entériner une doxa qui fait de la République un espace de pensée et d’expression limité.
On est en droit de ne pas partager les idées et les engagements politiques de Saïd Bouamama, et c’est mon cas, mais nul n’est légitime à lui interdire de s’exprimer ou à en faire un pestiféré civil. Et l’Etat moins que quiconque.
Parions, malheureusement, que nous n’avons pas fini d’avoir à dire notre refus de tels interdits.
Michel Tubiana,
président d’honneur de la LDH.
La Ligue des droits de l’homme a publié, le 8 juillet, un communiqué de soutien à Saïd Bouamama.. Et un texte collectif signé de 130 personnalités a été publié le lendemain par Mediapart.
En soutien à Saïd Bouamama
Publié par Mediapart, le 9 juillet 2019 Source
Après le boycott d’un colloque par des représentants de l’Etat pour seul motif que le sociologue Saïd Bouamama y participait, 130 personnalités communiquent leur solidarité à l’universitaire face à une «campagne de diffamation» islamophobe. Ils déplorent que le pouvoir ait « obtempéré aux injonctions de l’extrême-droite ».
Le colloque de deux jours, organisé à Bobigny sur le thème « Mécaniques de l’extrémisme violent », a été troublé par l’absence d’un de ses organisateurs, le sociologue Saïd Bouamama, conséquence d’un veto émanant du ministère de l’intérieur. Cette intervention relaie une campagne expresse initiée par le Rassemblement national, aussitôt suivi par le FigaroVox et Valeurs Actuelles.
Les officiels qui devaient introduire le colloque, le président du conseil départemental, la préfète déléguée à l’égalité des chances du 93, la procureure de la République du 93 ainsi que la secrétaire générale du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), ont « boycotté » ce colloque, pour reprendre la formulation du Parisien.
L’oukase contre Saïd Bouamama est d’autant plus étonnant qu’il est co-animateur depuis quatre ans du projet dont ce colloque est l’aboutissement, et qu’il s’agit d’un projet soutenu par l’État et en particulier la préfecture de Seine-Saint-Denis. L’intervention qu’il devait faire a été lue et chaudement applaudie ; quand elle sera publiée, chacun·e pourra constater, outre sa qualité, qu’elle est à mille lieues de constituer une «complaisance envers le djihadisme» comme l’en ont accusé ses détracteurs sans s’être donné la peine de l’entendre.
La question du djihadisme est donc instrumentalisée pour tenter de discréditer un sociologue dont les opinions politiques de gauche sont publiques, ses références intellectuelles se situant du côté du marxisme, à l’opposé de l’islam politique. Cette campagne de diffamation contre Saïd Bouamama émane de milieux islamophobes et d’extrême droite devant lesquels le pouvoir a cédé. La volonté destructrice de ces lobbys va donc jusqu’à tenter d’anéantir des structures et projets visant à réinsérer des personnes dites « radicalisées » dans une vie sociale partagée plutôt que de poursuivre une trajectoire dangereuse pour les autres comme pour elles-mêmes.
Nous, signataires, sommes solidaires de Saïd Bouamama et dénonçons l’attitude de ce pouvoir qui obtempère aux injonctions de l’extrême-droite, preuve éclatante de son double discours qui prétend la combattre en la renforçant quotidiennement.
Signataires :
Viviane Albenga, sociologue, université de Bordeaux,
Armelle Andro, sociologue, institut de démographie de l’université Paris-1,
Marie Hélène Bacqué, sociologue, professeure, université Paris-Nanterre,
Marion Carrel, maîtresse de conférences HDR en sociologie, université de Lille-CeRIES,
Françoise Clément, sociologue, économiste, altermondialiste,
Marguerite Cognet, sociologue, maîtresse de conférences, université Paris-Diderot,
Jessy Cormont, sociologue, P.H.A.R.E. pour l’Égalité et université de Lille,
Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, professeure émérite, université Paris-Diderot,
Pauline Delage, sociologue, CNRS, rattachée au Crespa-CSU,
Christine Delphy, sociologue, chercheuse associée au laboratoire Triangle,
Fabrice Dhume, sociologue,
Jules Falquet, sociologue, université de Paris-Diderot,
Eric Fassin, sociologue, Paris 8,
Sonia Fayman, sociologue,
Nacira Guénif, sociologue, professeure des universités, Paris 8,
Malika Hamidi, sociologue et auteure, CADIS, Paris et Université Gaston
Berger, Sénégal,
David Jamar, sociologue, université de Mons, Belgique,
Pierre-André Juven, sociologue, CNRS,
Maryam Kolly, sociologue, Université Saint-Louis – Bruxelles, Centre d’études Sociologiques,
Fabienne Messica, sociologue,
Marwan Mohammed, sociologue, CNRS, laboratoire CMH,
Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherches CNRS (Lames),
Ugo Palheta, sociologue, université de Lille,
Roland Pfefferkorn, sociologue, professeur émérite, université de Strasbourg,
Aude Rabaud, maîtresse de conférences, université Paris-Diderot,
Olivier Roueff, sociologue, CNRS,
Patrick Simon, socio-démographe, Ined, membre du comité de rédaction de la revue Mouvements,
Maryse Tripier, sociologue des migrations, professeur émérite, université Paris Diderot,
Eleni Varikas, chercheuse études de genre, professeure émerite, université Paris-8.
Autres signataires :
Ahmed Abbes, mathématicien, directeur de recherches à Paris,
Elisa Aigner, assistante sociale, Seine-Saint-Denis,
Salika Amara, professeure de lettres, retraitée,
Verveine Angeli, syndicaliste, Union syndicale Solidaires,
Etienne Balibar, professeur Kingston University London, professeur émérite Université de Paris-Nanterre,
Ludivine Bantigny, historienne, université de Rouen,
Adda Bekkouche, enseignant, université Paris-1, Panthéon Sorbonne,
Louiza Belhamici, professeure, vice-présidente commission Islam & Laïcité,
Sarah Benichou, enseignante, militante féministe,
Farid Bennaï, FUIQP Paris,
Mohammed Ben Yakhlef, élu municipal Villeneuve-Saint-Georges,
Antoine Boulangé, enseignant, Espé Paris, Sorbonne université,
Alima Boumedienne Thierry, avocate,
Youcef Boussaa,psychiatre des hôpitaux retraité,
Martine Boudet, conseil scientifique Attac France,
Houria Bouteldja, PIR,
Rony Brauman, professeur, université de Manchester,
Fabienne Brion, faculté de droit et de criminologie, Louvain-la-Neuve,
Alex Callinicos, Professor of European Studies, King’s College (Londres),
Abdelaziz Chaambi, Coordination contre le racisme et l’islamophobie,
Ismahane Chouder, enseignante et formatrice, Commission Islam & Laïcité,
Agnès Cluzel, infirmière, gilet jaune Auxerre,
Jim Cohen, professeur, université Paris 3-Sorbonne Nouvelle,
Annick Coupé, syndicaliste, altermondialiste,
Thomas Coutrot, économiste,
Monique Crinon, sociologue, consultante, féministe antiraciste,
Alexis Cukier, maître de conférences philosophie, université de Poitiers,
Marina Da Silva, journaliste, Commission Islam & Laïcité,
Laurence De Cock, historienne,
Robin Delobel, journaliste, CADTM,
Ludo De Witte, auteur,
Bernard Dréano, président du Cedetim,
Françoise Duthu, retraitée de l’Université Paris Ouest-Nanterre,
Ivar Ekeland, mathématicien et économiste,
Renaud Epstein, maître de conférences, sciences po Saint-Germain-en-Laye,
Didier Epsztajn, animateur du blog Entre les lignes entre les mots,
Mireille Fanon Mendes-France, ex-UN experte, Fondation Frantz Fanon,
Nadia Fartaoui, médecin, FUIQP Paris,
Cécile Fontaine, FUIQP59-62,
Pascal Franchet, président du CADTM France,
Georges Franco, artiste peintre,
Bernard Friot, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre,
Isabelle Garo, philosophe,
Vincent Genestet, consultant à la retraite, LDH,
François Gèze, éditeur,
Ouissame Ghmimat, militant des droit humains AMDH,
Alain Gresh, directeur d’Orient XXI,
Michelle Guerci, journaliste,
Majdelil Guerda, militante FUIQP,
Georges Gumpel, UJFP ,
Faïza Hirach, militante IWW Belgium,
Julie Jaroszewski, artiste, militante,
Pierre Khalfa, économiste, militant altermondialiste,
Guillermo Kozlowski, philosophe,
Stathis Kouvelakis, professeur à King’s College (Londres),
Roland Lafitte, commission Islam & Laïcité,
Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire,
Monique Lellouche, militante antiraciste, UJFP,
Nathalie Levallois, militante FI,
Laurent Lévy, essayiste,
Nadia Louachi, FUIQP Paris,
Christian Mahieux, syndicaliste Union syndicale Solidaires,
Gilles Manceron, historien, commission Islam & Laïcité,
Malika Mansouri, maître de conférences, Paris,
Michel Maric, maître de conférences en économie, université de Reims,
Philippe Marlière, politiste,
Fernanda Marrucchelli, Fasti,
Gustave Massiah, économiste,
Madjid Messaoudene, élu municipal Saint-Denis (93),
Ümit Metin, militant Acort,
Regis Meyran, anthropologue,
Zakia Meziani, militante associative et féministe, Tourcoing,
Bénédicte Monville, conseillère régionale Ile-de-France,
René Monzat, Commission Islam & Laïcité,
John Mullen, professeur, université de Rouen,
Sylvie Nony, historienne des sciences, CNRS,
Sylvie Pinot, formatrice, FUIQP Nord,
Christine Poupin, porte-parole du NPA,
Ali Rahni, militant associatif Roubaix,
Jocelyne Rajnchapel-Messai, UJFP,
Laurent Ripart, historien, Chambéry,
Joël Roman, philosophe,
Code Rouge, artiste,
Théo Roumier, syndicaliste SUD éducation,
Alain Ruscio, historien,
Catherine Samary, économiste altermondialiste,
Maximilien Sanchez, conseiller municipal Gentilly,
Manu Scordia, dessinateur,
Djellali Seddaoui, FUIQP 59/62,
Khadija Senhadji, socio-anthropologue et militante décoloniale,
Michèle Sibony, UJFP,
Patrick Silberstein, médecin, éditeur,
Omar Slaouti, enseignant, militant antiraciste,
Laurent Sorel, conseiller d’arrondissement Paris 20, France Insoumise,
Catherine Stern, enseignante retraitée, RESF, Mrap, PCF,
Julien Talpin, chargé de recherche en science politique, CNRS,
Olivier Tonneau, enseignant-chercheur Université de Cambridge,
Anne Tristan, enseignante,
Marie-Christine Vergiat, ex-députée européenne,
Christiane Vollaire, philosophe, chercheure associée au CNAM,
Stéphane Vonthron, France Insoumise, Lille,
Louis Weber, éditeur,
James Wolfreys, politiste, King’s College Londres,
Sophie Zafari, syndicaliste SNUIP P93.
Associations et collectifs :
Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (Acort),
Association marocaine des droits humains (AMDH-Paris/IDF),
Association rencontre et dialogue Roubaix,
Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF),
Bruxelles Panthères,
CGT de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration,
Collectif de défense des jeunes du Mantois,
Collectif féministe Kahina,
Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT),
Commission Islam & laïcité,
Editions Syllepse,
Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés (Fasti),
Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR),
Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP),
Identité Plurielle Tourcoing,
Parti des indigènes de la République (PIR),
Union juive française pour la paix (UJFP),
Union des Tunisiens pour l’action citoyenne (Utac).