par Elie Maréchal – [Le Figaro, le 04 juin 2005]
Bientôt cinq ans après la loi Besson de juillet 2000, l’accueil des gens du voyage paraît aussi peu ou aussi mal organisé. Ici ou là, impunément semble-t-il, des caravanes s’installent sans vergogne et la population locale s’émeut. Des aires de stationnement ont pourtant été créées. Encore trop peu, même si certains élus locaux y voient une bonne solution.
Bessancourt, petite commune de 7 500 habitants dans le Val-d’Oise, est une véritable aubaine pour les gens du voyage : 60% du foncier sont en terrains non urbanisables, parfois en jachères. L’espace ne manque donc pas, à une vingtaine de kilomètres de Paris, pour arrêter les caravanes et établir un campement sauvage. Ce qui est le cas pratiquement à longueur d’année. Depuis plus de deux semaines, une soixantaine de caravanes sont ainsi stationnées de façon illicite. «Il faut vivre avec, commente Jean-Christophe Poulet, le jeune maire de Bessancourt, et leur donner un accueil décent, en scolarisant d’abord les enfants.»
Là comme ailleurs en France, la loi Besson, votée en 2000, oblige à la création d’aires de stationnement pour les gens du voyage qui, selon les estimations, seraient entre 150 000 et 400 000 personnes. Mais les projets, approuvés par des schémas départementaux votés par la quasi-totalité des conseils généraux, tardent à voir le jour.
Quelque 8 000 aires ont été créées, il en manque encore 20 000. Un tiers seulement des emplacements prévus s’est réalisé en Haute-Garonne (lire ci-dessous) ; aucun ne l’est encore en Seine-Saint-Denis où le schéma départemental a été approuvé en août 2003 pour 26 aires. Quant à Louis Besson, maire PS de Chambéry et initiateur de la loi, il a créé sur sa commune cinq terrains familiaux pour une ou deux familles, et une aire de stationnement de cinquante places.
L’échéance de 2005 pour appliquer la loi a été repoussée à 2007, afin d’éviter aux préfets d’user de leur pouvoir de réquisition. C’est en effet aux maires des communes de plus de 5 000 habitants de faire aménager des aires pour les gens du voyage, avec l’aide de l’État pour l’investissement comme pour le fonctionnement. Or, soit les élus communaux comptent sur un nouveau report de l’échéance et négligent leurs obligations, soit ils sont aux prises avec des difficultés bien concrètes, telles que le manque de terrains idoines, l’opposition de la population, l’incurie d’un maire voisin pour le cofinancement.
Atermoiements, résistances, mauvaise réputation des gens du voyage se cumulent et les stationnements illicites perdurent, parfois même aux abords d’établissements scolaires. La confiance s’émousse. «La loi Besson de juillet 2000 aurait dû améliorer la situation, si elle avait été appliquée plus rigoureusement», gémit Joseph Charpentier, pasteur de la Mission évangélique tsigane.
C’est d’autant plus regrettable, aux dires d’élus locaux, que, là où des aires existent, l’insertion des gens du voyage progresse, la scolarisation de leurs enfants s’améliore, la délinquance diminue, ainsi que la pollution et autres nuisances. En outre, l’aménagement d’un stationnement licite donne au maire un surcroît de légitimité pour réprimer l’illicite.
Composée d’élus locaux, de représentants de gens du voyage, d’associations et de membres de l’administration, une commission consultative fonctionne dans chaque département afin d’y suivre l’exécution du schéma décidé. Pour mieux stimuler leur vigilance, une nouvelle commission nationale consultative des gens du voyage sera prochainement installée. Réunissant à parité élus, administration, gens du voyage et experts, elle sera présidée par Pierre Hérisson, sénateur maire UMP de Sevrier (Haute-Savoie) et bon connaisseur de ce dossier. «Il est urgent que cette commission se réunisse, affirme-t-il, afin que chacun y exprime ses inquiétudes et ses positions sur un problème difficile. Il y a péril social.»
Deux ans pour se mettre en conformité
La loi du 5 juillet 2000 (dite loi Besson, alors secrétaire d’Etat au logement dans le gouvernement de Lionel Jospin), relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage, comporte deux volets, l’un incitatif, l’autre répressif.
Elle ordonne d’abord aux communes de plus de 5 000 habitants de s’inscrire dans un schéma départemental, élaboré sous la conduite du préfet et du président du conseil général, pour l’implantation d’aires permanentes d’accueil (150 m2 par place) pour des gens du voyage «dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles». Elle institue une commission consultative départementale pour la réalisation et le fonctionnement des aires. En 2004, le délai légal pour la création de ces terrains a été reporté de 2005 à 2007, preuve d’une difficulté d’application, bien que des aides publiques soient accordées pour les investissements (10 671 € par place au maximum) et le fonctionnement (132 € par mois et par place disponible).
En contrepartie, dès lors qu’une commune remplit ses obligations, son maire peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d’accueil aménagées le stationnement des résidences mobiles. En cas de violation de cet arrêté, «le maire peut, par voie d’assignation délivrée aux occupants et, le cas échéant, au propriétaire du terrain ou au titulaire d’un droit réel d’usage, saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l’évacuation forcée des résidences mobiles».
A l’inverse, ceux qui n’auront pas aménagé de terrain d’ici à 2007 auront du mal à mobiliser les forces de l’ordre en cas de campement sauvage.
Dans cette ville jouxtant Toulouse, une aire accueille vingt caravanes
A Balma, la loi s’applique avec diplomatie
Balma (Haute-Garonne) : de notre envoyé spécial E. M.
[Le Figaro 04 juin 2005]
Le sourire de Manu paraît presque aussi large que ses épaules de rugbyman : de quoi inspirer à la fois respect et confiance. Depuis février dernier, date d’ouverture de l’aire Les Carènes à Balma (Haute-Garonne), cet employé municipal est gestionnaire des 5 000 mètres carrés qui peuvent accueillir vingt caravanes sur dix emplacements. Fraîchement plantés entre des maisonnettes appentis comprenant bacs de lavage, douches, toilettes et prises de courant, de jeunes arbres n’apportent encore qu’une ombre réduite. Du linge sèche au soleil. Un panneau annonce : «rempaillage de chaises». A deux cents mètres, voitures et camions circulent sur la rocade toulousaine.
Manu et Laurent Vantin, maire adjoint de Balma, forment un tandem indispensable pour le bon ordre de cette aire de stationnement des gens du voyage qui a coûté 705 078 euros, dont 424 244 euros à la commune de 12 000 habitants. «Ça vaut le coup qu’on entretienne cette installation, s’exclame fièrement Laurent Vantin. Il faut un gardien gestionnaire, sinon on dépense beaucoup d’argent.» Çà et là, le Syndicat mixte pour l’accueil des gens du voyage en Haute-Garonne (Sieanat) répète le même message : «Présents sur le terrain, un élu référent et un gestionnaire sont un duo indispensable pour un suivi régulier des familles.» Les autres aires dans les environs fonctionnent toutes à l’identique.
Dans le local d’accueil, est affiché le règlement intérieur que le chef de famille doit signer à l’arrivée, tout en versant en espèces caution (75 €) et prépaiement de l’eau, de l’électricité et du droit de place, moyennant quoi il reçoit clé et badge pour l’utilisation de toutes les commodités du site bien clôturé. Une autre affichette signale le coût de remise en état du matériel dégradé.
«Ce sont des citoyens comme les autres, explique Laurent Vantin. A eux de le prouver. Ici, c’est la loi et non leur loi. Il faut diplomatie et fermeté, des compromis mais pas de compromissions. Certains ont mis dix ans pour s’apercevoir qu’ils ne pouvaient perdurer dans des stationnements illicites. Quant aux brebis galeuses, elles ne viennent pas ici.»
Présent ici six jours sur sept à mi-temps, Manu ne se contente pas de surveiller et d’encaisser. Il va de caravane en caravane, connaît son monde, les usages et la culture des gens du voyage, aussi bien pour les questions d’argent que pour les coutumes d’hygiène. Il met du lien social, veille à ce que les enfants soient scolarisés dans l’un groupes scolaires de la commune. «Nous ne sommes pas là pour les assister, mais les responsabiliser», affirme Manu.
Les problèmes d’incivilité et de délinquance liés à la présence de campements sauvages sont résorbés, affirment les élus de Haute-Garonne qui, comme à Balma, ont joué le jeu de la loi Besson. Du coup, les projets sont mieux acceptés par la population. «Dans les réunions publiques, organisées avant une ouverture, se manifeste encore un discours de rejet, mais il devient minoritaire, assure Jean-Marc Huyghe, élu local et président du Sieanat. Quant aux élus, ils deviennent de plus en plus conscients des réalités. Les gens du voyage, ce n’est pas seulement un problème de minorité : la réponse est dans le droit commun à respecter de part et d’autre.»
E. M. [Le Figaro 04 juin 2005]