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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Débat à Aix-en-Provence en juin 2005 sur la loi du 23 février 2005

Sur le thème « Non au mépris de l'Histoire et des victimes », une conférence-débat est organisée par la LDH le 15 juin 2005 à la faculté des Lettres d'Aix-en-Provence. Elle réagit à la loi du 23 février 2005 qui stipule que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », oubliant les souffrances des peuples colonisés par la France, notamment des Algériens. Les seules victimes évoquées dans la loi sont des Français et la République continue à garder un silence prudent sur les crimes commis à l'occasion de ce conflit. Alors que de nombreuses personnes issues des anciennes colonies subissent des discriminations inacceptables, cette loi cherche à imposer une vérité officielle aux enseignants et aux chercheurs.

La Ligue des droits de l’Homme organise à une rencontre-débat

mercredi 15 juin 2005 – 18h – à Aix en Provence

faculté des Lettres (avenue Robert Schuman) – amphi Guyon –

avec le soutien des sections locales d’Aix-Solidarité, ASTI, ATTAC, MRAP…

Non au mépris de l’Histoire et des victimes

  • Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant en sciences politiques à l’université d’Evry-Val d’Essonne1,
  • Gilles Manceron, historien, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme,
  • Christiane Taubira, universitaire, députée de Guyane, auteur de la proposition de loi du 21 mai 2001 qui reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité.

Le 23 février 2005, le Parlement a voté une loi qui prévoit que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Cette loi oublie les souffrances des peuples qui ont été colonisés par la France, et notamment celles des Algériens.

Toutes les souffrances méritent d’être reconnues. Mais, concernant la guerre d’Algérie, les seules victimes évoquées dans la loi sont des Français. Et la République continue à garder un silence prudent sur les crimes commis à l’occasion de ce conflit.

Injustice également pour les harkis et leurs familles dont la loi ne reconnaît ni l’abandon, ni le traitement discriminatoire qui leur a été réservé en France, dans la pure tradition coloniale.

Cette loi est le résultat d’un travail de “lobbying” d’un petit groupe d’activistes, nostalgiques de l’Algérie française, qui détournent à leur profit la douleur mémorielle des rapatriés. Ils ont réussi à faire inscrire dans cette loi une indemnité en faveur d’anciens condamnés de l’OAS, qu’elle semble vouloir ranger parmi ceux qui ont fait « œuvre positive » en Algérie !

Ce sont les mêmes qui comptent, en leur élevant un monument à Marignane le 6 juillet 2005, présenter les membres de cette organisation terroriste comme des héros !

Peut-on exiger de la Turquie ou du Japon la reconnaissance des pages noires de leur passé tout en dispensant la France d’un tel travail ?

Alors que de nombreuses personnes issues des anciennes colonies subissent des discriminations inacceptables, cette loi cherche à imposer une vérité officielle aux enseignants et aux chercheurs. C’est une insulte envers eux et envers tous les citoyens. Cette loi doit être impérativement abrogée.

Non à l’histoire officielle !

Non à la réhabilitation des crimes et des injustices du passé !

mercredi 15 juin 2005 – 18h

amphi Guyon (fac des Lettres) à Aix en Provence


Compte-rendu de la rencontre2

Les intervenants demandent l’abrogation de la loi du 23 février 2005 qui recommande, entre autres, aux professeurs d’histoire d’insister sur les aspects positifs de la colonisation.

André Koulberg – modérateur – après avoir rappelé l’influence de petits groupes animés par l’extrême droite à l’origine de cette loi, donne successivement la parole à chacun des trois intervenants.

Olivier Le Cour Grandmaison : Cette loi était en projet depuis longtemps. Sans nier la mobilisation de certaines associations d’extrême droite, il faut se rappeler le discours de Jacques Chirac en tant que chef de l’Etat et engageant de ce fait la France dans son ensemble en mars 1996 lors de l’inauguration d’un monument aux morts d’Algérie. Il y parlait déjà de pacification, de mise en valeur du territoire, de progrès de l’éducation, de la médecine etc… Une loi de ce type, faut-il le rappeler, n’a de précédent dans aucun autre État démocratique. L’absence de réaction significative chez les députés de l’opposition, et le rôle délétère joué par certains d’entre eux lors des débats parlementaires, est plus que regrettable car elle laisse le champ libre à une droite revancharde. Cette loi est,en effet, une revanche politique orchestrée par l’actuelle majorité en réaction à la loi Taubira relative à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, à la plaque apposée au Pont Saint-Michel à Paris à la mémoire des victimes des massacres du 17 octobre 1961, et aux avancées de la connaissance sur le passé colonial de la France et les crimes commis alors.

Cette réhabilitation de la colonisation affecte même certains historiens qui parlent de cette période comme d’une « grande aventure » en vantant parfois aussi ce qu’ils prétendent être des conséquences positives.

Le Cour Grandmaison traite ensuite du Code de l’indigénat voté par l’Assemblée nationale et les républicains le 28 juin 1881. Code qui scelle les noces singulières de la République et du racisme d’Etat. Adopté pour l’Algérie seule, il fut par la suite étendu à l’ensemble des colonies conquises par la France….

Il rappelle enfin qu’en 1930, la France a refusé de signer la Convention de Genève du Bureau international du travail tendant à la prohibition du travail forcé dans les colonies. Ce n’est qu’en 1937 que cette Convention sera finalement ratifiée avant d’être suspendue, deux ans plus tard, par un décret de 1939. Tant est si bien qu’il faut attendre la loi du 11 avril 1946 pour que le travail forcé soit définitivement aboli dans l’empire français.

Gilles Manceron insiste sur le très fort mécontentement des historiens. Oui, il existe des lobbies d’anciens de l’O.A.S., des associations proches de l’extrême droite, mais il y a surtout un « ventre mou » de la société française qui ne souhaite plus penser à la colonisation.

L’histoire est complexe et multiforme. Au XIXème siècle, Tocqueville a justifié la politique de colonisation en Algérie au nom de « l’intérêt du pays ». La 1-ère république a aboli l’esclavage dans une aspiration vers l’universel, mais en 1848, lors de la deuxième abolition les maîtres ont été indemnisés. Le principe de la colonisation doit être condamné au regard de l’histoire. Toute histoire officielle est aberrante.

Christiane Taubira pense qu’il y a, à la fois, affrontement idéologique et existence de ce « ventre mou » de la société française. La loi 2001 (loi Taubira) proclame l’esclavage comme crime contre l’humanité. Plus de quatre siècles d’histoire sont concernés. La France a été la deuxième puissance négrière mondiale.

L’esclavage, véritable système économique institutionnel, organisé par les appareils d’État, était fondé sur une déportation massive et une mise à mort possible d’hommes chez qui la part d’humanité était contestée. Ce système, d’une extrême violence, fut dénoncé très tôt par quelques grands humanistes français.

Christiane Taubira termine en soulignant les dangers de l’amnistie-amnésie vis-à-vis de l’OAS dont la plupart des gouvernements successifs se sont d’ailleurs contentés.

Le débat s’avère parfois houleux, surtout lorsque Olivier Le Cour Grandmaison évoque le génocide du Rwanda et la responsabilité certes de la France, mais aussi celle avérée des responsables Hutus du gouvernement rwandais de l’époque.

Toutefois quelques idées ont pu être développées :

  • Il n’y a jamais eu de véritable décolonisation. Nous sommes passés d’une décolonisation militaire et politique à une néocolonisation économique, avec implantation de grands groupes industriels servis par une complicité de décideurs locaux, lesquels agissent sous la tutelle de la France. La « Françafrique » est violemment dénoncée.
  • Une véritable reconnaissance de la citoyenneté française reste difficile pour les Français issus des anciennes colonies puisqu’on vient leur rappeler sans cesse leurs origines.
  • Les Africains veulent construire eux-mêmes leur histoire et n’ont pas besoin de juges européens. Cela passe évidemment par l’arrêt du pillage des ressources naturelles de leur continent (pétrole, gaz, etc…)
  • Nous ne pouvons pas tourner la page tant que les crimes coloniaux n’ont pas été reconnus. Le silence et l’amnésie ouvrent la porte à la manipulation de l’histoire, ce que l’on tente de faire actuellement.
  • Les hommages publics aux anciens de l’OAS ne doivent pas être tolérés. Aussi la mobilisation contre l’inauguration officielle de la stèle du cimetière de Marignane est-elle si importante.
  1. Auteur de « Coloniser-exterminer, sur la guerre et l’état colonial« , Fayard, 2005.
  2. Par Arlette Hamon (Arles).
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