Eric Zemmour en néo-Drumont vomissant la France musulmane
par Antoine Perraud, dans Mediapart, le 23 septembre 2018 Source
Les ravages d’André Castelot sont palpables. Éric Zemmour le dévorait dès 11 ans. Résultat : il est devenu telle une grenouille dans son bocal, grimpant sans relâche sur l’échelle du temps, ainsi qu’il s’en explique dans Destin français (Albin Michel) : « Écrire l’Histoire de la France, c’est pour moi monter et descendre inlassablement le même escalier : comment l’Église a fait un roi ; comment le roi a fait la nation ; comment la nation a fait la République ; comment la grande nation est devenue puissance moyenne ; comment la puissance moyenne est en danger de mort. »
Si vous ajoutez, à cette « vision », une écriture qui charrie les citations à coups de vaillants copier-coller d’âne savant, tout en obéissant à une logique pour le moins capricante à la « j’en-ai-marabout-de-ficelle » : vous récoltez un gros pavé (anti-soixante-huitard), confus mais obsessionnel, haineux tout en passant pour douloureux. Un livre effréné, débridé, insensé…
Nous pourrions nous contenter d’en rire : c’est chétivement pompeux et pompeusement chétif, comme du sous-Malraux surdéclamé : « Le conquérant d’hier est le conquis d’aujourd’hui et sera le conquérant de demain dans l’incessant flux et reflux de deux civilisations irréductiblement antagonistes. » Nous pourrions, à chaque page, jouer à une devinette calquée sur celles que proposaient les journaux du temps jadis : un musulman se cache dans ce paysage français, saurez-vous le retrouver ? Nous pourrions égrener sans fin les perles qu’enfile l’auteur : « Bossuet connaît ses classiques. » L’auteur va mal, tout fout le camp : « On ne comprend plus Napoléon. On ne peut plus le comprendre. » C’est presque aussi poignant que la constatation d’Alphonse Allais : « On a beau dire, plus ça ira, et moins on rencontrera de gens ayant connu Napoléon. »
Zemmour devrait se méfier, mais il ne se méfie pas. Il écrit comme conduisait son papa « installé dans la DS » : « D’une main nerveuse, voire brutale. » Notre essayiste se débat dans un spleen baudelairien. « La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel », se désolait le Poëte. Ce qui donne, sous la plume de l’auteur de Destin français : « Je ne reconnais pas, moi non plus, les quartiers où j’ai passé mon enfance et ma jeunesse. » Le voici qui enfonce le clou : « À Montreuil, on a l’impression que la ville vit sous permanente transfusion malienne. »
Les deux phrases qui suivent se nichent dans le fracas, se lovent dans l’anéantissement, se tapissent dans l’horreur : « Les commerces traditionnels ont fermé les uns après les autres, les boutiques halal fleurissent, les rares pâtisseries s’interdisent les babas au rhum. À Stains, j’ai cru comprendre que la paisible cité de mes grands-parents avait connu une importante promotion en devenant un centre européen du trafic de drogue. »
Avez-vous noté ce « j’ai cru comprendre » ? C’est la méthode, la morale et le modus operandi de M. Zemmour. Il y a ceux qui vont voir, qui étudient la question, qui vérifient. Et il y a celui qui a « cru comprendre », fort d’une conviction : « Même sous la torture, je continuerai d’affirmer que oui, décidément, c’était mieux avant. » La conviction se transmute en credo, avec ce passage révélateur, symptomatique, crucial — mais grammaticalement et stylistiquement boiteux, jugez-en :
Je ne crois pas en la résurrection du Christ ni dans le dogme de l’Immaculée Conception, mais je suis convaincu qu’on ne peut être français sans être profondément imprégné du catholicisme, son culte des images, de la pompe, l’ordre instauré par l’Église, ce mélange subtil de Morale juive, de Raison grecque, et de Loi romaine, mais aussi de l’humilité de ses serviteurs, même forcée, de leur sensibilité aux pauvres, ou encore de ce que René Girard nous a enseigné sur la manière dont Jésus, en se sacrifiant, a dévoilé et délégitimé l’ancestrale malédiction du “bouc émissaire”. »
Le Bouc émissaire (Grasset, 1982) de René Girard s’avère précisément la meilleure description des mécanismes de la haine antimusulmane et anti-arabe que déploie Éric Zemmour : « Le sens de l’opération est de rejeter sur les victimes la responsabilité de cette crise et d’agir sur celle-ci en détruisant lesdites victimes ou tout au moins en les expulsant de la communauté qu’elles “polluent” », analysait Girard.
Destin français s’avère réquisitoire itératif, avec l’islam en ligne de mire. Du temps de La Chanson de Roland (« L’Europe médiévale comprend qu’elle est avant tout chrétienne parce qu’elle refuse de devenir musulmane »), comme en ce terrible aujourd’hui : « Ce n’est pas un hasard si Israël est haï depuis des décennies par une gauche française postchrétienne et postnationale qui, après avoir vénéré l’Union soviétique de Staline et la Chine de Mao (certains de leurs aînés n’avaient pas hésité à collaborer avec l’Allemagne de Hitler), s’est soumise à l’Islam comme ultime bannière impériale pour abattre les nations. C’est la France qu’ils vomissent en Israël. La France d’antan et la France éternelle. »
Ce n’est plus le chagrin et la pitié ; c’est le délire et le tocsin ! Tous les amalgames sont permis au nom d’une prétendue concordance des temps qui sent son placage infécond. Ainsi, au sujet du pape Urbain II, qui lança la première croisade à la fin du XIe siècle, Éric Zemmour écrit : « Il en va de la survie de l’héritage de l’Empire romain et de l’intelligence grecque, rassemblés et sublimés dans leur synthèse chrétienne. Il en va du destin de l’Europe. Urbain II l’a compris. Le temps presse. La vague islamique déferle. »
Incapable de s’appuyer sur les travaux récents d’un Stéphane Boissellier, par exemple (professeur à l’université de Poitiers né en 1966), Zemmour s’en remet uniquement à une vieille tige, le médiéviste belge Henri Pirenne (1862-1935). Celui-ci demeure plus intéressant, même si dépassé, à propos de la formation des villes à partir de leurs activités marchandes que pour ses vues sur l’islam, furieusement datées. Mais notre essayiste les brandit pourtant, tel un trophée : « La différence est que partout où ils sont, ils dominent. »
Campant sans détour dans sa chasse aux mahométans débusqués du passé comme du présent, Zemmour se vautre dans les stéréotypes, astiqués non-stop pour qu’ils fassent lien entre son imaginaire et celui des lecteurs. Ce faisant, il illustre à nouveau Le Bouc émissaire de René Girard : « Les persécuteurs finissent toujours par se convaincre qu’un petit nombre d’individus ou même un seul put se rendre extrêmement nuisible à la société tout entière, en dépit de sa faiblesse relative. C’est l’accusation stéréotypée qui autorise et facilite cette croyance en jouant de toute évidence un rôle médiateur. Elle sert de pont entre la petitesse de l’individu et l’énormité du corps social. »
Le transfert de La France juive à La France musulmane
Ce faisant surtout, M. Zemmour rejoint l’idée fixe et la rhétorique jadis affichées par Édouard Drumont dans La France juive (1886). Destin français aurait pu et dû s’appeler La France musulmane. Même ramassis de fantasmes surchauffés en guise d’appréhension conspirationniste d’un monde menacé dans ses fondements. Même réalité pervertie par des hantises tenant lieu de lucidité. Même culte d’un âge d’or monarchiste. Même crainte d’une déchirure irrémédiable de la nation sous les coups de boutoir d’un ennemi intérieur, inassimilable — conquérant impénitent et incorrigible étranger : il faut l’éliminer ou périr.
Même façon, enfin, de prétendre écrire l’histoire alors qu’il ne s’agit que d’historiettes, d’exemples alignés pour y accrocher angoisses et fureurs, mythes et prêches faux ou approximatifs, qui se présentent comme la libre parole non encore étouffée par l’esprit de soumission. Il y a passation de cauchemar entre Drumont et Zemmour, avec un transfert des juifs aux musulmans. Et c’est vertigineux…
Pour devenir un Drumont juif antimusulman, Éric Zemmour a dû faire allégeance à une France forte et coercitive qu’il porte aux nues, comme il l’explique dans Destin français : « Un jour, mon grand-père paternel me montra un des timbres qu’il collectionnait. Un combattant à la mine farouche, la tête surmontée d’un turban, brandissait un fusil. Un seul nom barrait l’image : Zemmour. C’était une tribu berbère célèbre, m’expliqua le vieil homme. Une des dernières à se soumettre à la France, bien après la prise de la smala d’Abd-el-Kader, que j’avais étudiée à l’école. Mon sort se compliquait : j’avais été colonisé par la France, et j’avais même farouchement résisté à l’envahisseur. »
Suivent des digressions sur ses aïeux ayant « donné des prénoms français à leurs enfants », ayant tombé la djellaba au profit des « costumes et des robes de Paris ». Pour aboutir à cet aveu constitutif : « J’avais toujours su qu’être français, c’était précisément ce sentiment qui vous pousse à prendre partie pour votre patrie d’adoption, même si elle avait combattu vos ancêtres. »
Une telle subordination, un tel fait de désintégration, une telle force désaxante se doublant d’un désir d’intégration radicale au sein de la puissance victorieuse, Jean-Paul Sartre l’analysa d’une façon magistrale, dans un article d’août 1945 intitulé : Qu’est-ce qu’un collaborateur ?1
Sartre écrivait ceci :
Le collaborateur est atteint de cette maladie intellectuelle qu’on peut appeler l’historicisme. L’histoire nous apprend en effet qu’un grand événement collectif soulève, dès son apparition, des haines et des résistances, qui, pour être parfois fort belles, seront considérées plus tard comme inefficaces. Ceux qui se sont dévoués à une cause perdue, pensaient les collaborateurs, peuvent bien apparaître comme de belles âmes : ils n’en sont pas moins des égarés et des attardés dans leur siècle. Ils meurent deux fois puisqu’on enterre avec eux les principes au nom desquels ils ont vécu. »
Et Sartre ajoute :
Les promoteurs de l’événement historique, au contraire, qu’il s’agisse de César ou de Napoléon ou de Ford, seront peut-être blâmés de leur temps au nom d’une certaine éthique ; mais cinquante ans, cent ans plus tard, on ne se souviendra que de leur efficacité et on les jugera au nom des principes qu’ils ont eux-mêmes forgés. J’ai cent fois relevé chez les plus objectifs, cette tendance à entériner l’événement accompli simplement parce qu’il est accompli. »
« Il est des dictatures qui sont des résurrections »
Éric Zemmour passe littéralement son temps à justifier, dans Destin français, le fait accompli par la loi du plus fort : des croisades à la colonisation, des persécutions menées contre les protestants aux discriminations envers les femmes. Il faut savoir casser des « eux » pour fabriquer du « nous ». Ce tropisme, sur lequel a réfléchi Régis Debray (cité à tout-va dans une piteuse tentative d’anschluss intellectuel), Zemmour en fait une ligne de conduite.
Sans vergogne, il chausse des œillères et vaticine, justifiant la Saint-Barthélemy, les dragonnades et tout le tremblement : « Ce sera le paradoxe français : seule la monarchie absolue permettra de sortir des guerres de Religion. L’ordre seul imposera la paix et la liberté. » Ou encore : « La France restera catholique. Elle ne deviendra pas protestante. La France sera une monarchie et non une république. Un royaume unitaire et non une fédération de cantons autonomes. Ce fut la manière française d’entrer dans la modernité. »
Ou assidûment, toujours dans le chapitre consacré à Catherine de Médicis : « En privilégiant sans cesse la lutte politique contre la subversion huguenote tout en épargnant la religion réformée, la reine mère porte en germe la dissociation entre l’ordre spirituel et l’ordre temporel qui fonde notre modernité libérale et laïque. »
Pierre Boutang tâchant de se faire entendre du vieux sourd (Charles Maurras), lors d’un rassemblement de l’Action française, avant-guerre…
Tout à son ivresse de ne voir qu’une seule tête, M. Zemmour se bricole une morale de l’Histoire étonnante. Il en pince par exemple pour Robespierre, au nom de la force qui comprime et non des idéaux qui affranchissent : « Il est des dictatures qui sont des résurrections. » À son niveau, l’essayiste tente de rejoindre l’empyrée fumeux du philosophe maurrassien Pierre Boutang (1916-1998), qui se définissait tel « un socialiste féodal » et avait rejoint le fondateur de la Ve République (ce général de Gaulle qu’il abhorra en 1940), au nom du Prince politique charmant tant attendu. Soixante ans après, Éric Zemmour reprend à son compte — et dans son piètre style — les vieilles lunes du flamboyant Boutang : « De Gaulle fut ce roi élu par le peuple, sous le drapeau tricolore, dont avait rêvé le comte de Chambord, mais qu’il n’avait pu et su réaliser, par un mélange de maladresse et de naïveté. »
Le positionnement de M. Zemmour est tragiquement simple : c’est une boussole qui indique le sud. Pour exister, il lui suffit de prendre systématiquement le contre-pied du bon sens, de l’humanisme et des valeurs de gauche. Il a ainsi sa niche. Et il y aboie. Dangereusement, tant sa dérive l’entraîne vers la déraison politique : « Puisque Adolf Hitler a fait la guerre au nom de la “race pure” et de l’homogénéité ethnique des Allemands, on diabolisera toute nation fondée sur la race, la langue et la religion. La terre et les morts seront “nazifiés”. On ne voulait pas voir que c’était au contraire l’hétérogénéité ethnique et religieuse, héritée des anciens empires, qui avait provoqué l’affrontement de peuples partageant un même territoire sans partager le même imaginaire culturel. » Bref, si c’était à refaire…
La névrose politique devient ici folie furieuse. Consciemment ou inconsciemment, 73 ans après la chute du IIIe Reich, l’auteur de Destin français paraît vouloir se poser en « aryen d’honneur ». Un tel égarement se confirme au chapitre, le plus faible de tous, consacré à Racine : « Lire et comprendre et aimer et s’imprégner de la langue de Racine ; c’est devenir un Français de toujours et l’être à jamais. La langue de Racine, c’est le sang de la France. Racine est davantage qu’un papier d’identité, plus qu’un passeport ; il est une intronisation, un adoubement. »
Ce passage tente de faire oublier une célèbre anathématisation de Maurras, qui jurait qu’un juif serait toujours incapable de saisir ce vers de Racine : « Dans l’Orient désert, quel devint mon ennui. » La mômerie tragique d’Éric Zemmour consiste à lever le doigt, par-delà les âges : non, m’sieur Maurras, moi j’comprends Racine, c’est les Arabes et les musulmans qui n’y pigent rien !
Dans un renversement féroce et insane, l’essayiste se met, afin de pourfendre l’islam, dans la peau de l’antisémite décrit par Jean-Paul Sartre dans Réflexions sur la question juive. Remplacez antisémite par Éric Zemmour et vous retrouvez la logique à l’œuvre dans le passage cité plus haut, sur Racine comme passeport et adoubement : « L’antisémite ne conçoit qu’un type d’appropriation, primitive et terrienne, fondée sur un véritable rapport magique de possession et dans laquelle l’objet possédé et son possesseur sont unis par un lien de participation mystique ; c’est le poète de la propriété foncière. Elle transfigure le propriétaire et le pourvoit d’une sensibilité particulière et concrète. »
Ainsi transfiguré et pourvu, M. Zemmour peut se mettre dans la tête d’un Drumont du XXIe siècle — Destin français ne compte aucun chapitre consacré à l’affaire Dreyfus : normal, l’auteur ne peut qu’être antidreyfusard à ce stade de sa métempsycose politique ! Seul hic, dans la reprise à son compte de cet héritage qui passe par Vichy : le cas Pétain, « l’homme qu’il faut détester » (c’est le titre d’un chapitre en réhabilitation).
Destin français nous ressort la nécessité d’un maréchal bouclier, bon pasteur resté parmi les siens, permettant ainsi au général ayant fui à Londres que l’arc de la France eût une deuxième corde. Une telle rengaine, aussi niaiseuse que tenace, s’appuie sur des sources vasouillardes et taries : Robert Aron, ou encore Raymond Cartier et le colonel Rémy relatant de pseudo confidences. Il ne manque plus que le si peu regretté Henri Amouroux, à propos duquel le regretté Me Boulanger avait décoché, lors du procès Papon, cette flèche en plein dans le mille : « Il a écrit 40 millions de pétainistes pour se sentir moins seul. »
De moins en moins isolé dans sa croisade antimusulmane, qui se veut Reconquista idéologique — avant que ne parlent les armes ? —, Éric Zemmour n’a plus qu’à faire sauter le verrou Victor Hugo. Oui, cette belle âme bêlante dont se réclament les actions en faveur de l’accueil des migrants : tous ces fâcheux qui empêchent d’expulser en rond. Feu sur Hugo, l’ami des assassins avérés ou en puissance : « Victor Hugo a forgé l’arme absolue, l’arme de destruction massive : la compassion. » Vous aurez noté le renversement pervers toujours à l’œuvre chez M. Zemmour : Hugo, c’est la tyrannie de la compassion qui détruit, tandis que la répression au cœur sec forge, érige, élève !
Nous y voici donc : « Nous vivons dans le monde rêvé par Victor Hugo. Celui des bougies qui répondent aux couteaux. Des “Vous n’aurez pas ma haine” qui répliquent aux “Allahu akbar”. » Nous sommes en guerre. Une guerre qui récapitule et solde les comptes, des croisades aux « événements » d’Algérie : « L’Algérie ne sera ni l’Amérique du Nord, expurgée de ses premiers habitants, ni le Mexique et l’Amérique du Sud, où les Espagnols se mélangèrent aux Indiens après qu’ils les eurent convertis au catholicisme. L’islam est à la fois une identité, une religion, et un système juridico-politique. L’islam est le nœud gordien de cette affaire algérienne que la France n’a jamais osé trancher. »
Ce passage témoigne des erreurs et des approximations fumistes dont regorge Destin français. Allez en Argentine constater le mélange avec les Indiens : Buenos Aires, ville uniformément blanche, ressemble à un rêve de Le Pen ou de Zemmour ! Les Indiens furent exterminés, notamment par le grand-père, un général, de Jorge Luis Borges, qui raconte très bien tout cela ; il suffit de lire avant d’écrire. Mais M. Zemmour a la gâchette facile et ne s’encombre pas de lectures parasites…
Il est pousse-au-crime. Il frétille à l’idée que soit enfin tranché le nœud gordien de l’islam, par une force avisée qui s’aviserait, tout compte fait. Jacques Soustelle (1912-1990), l’ultra de l’Algérie française, est hissé sur le pavois au dernier chapitre, qui revient sur la hantise des « prénoms coraniques ». L’ouvrage engage à mater tout ce qui bouge, dépasse, trouble l’ordre de fer appelé de ses vœux par un auteur frénétique, prêt à devenir sans foi ni loi — au nom de sa foi en la République et des lois de la nation. Destin français ameute. Il sent la vengeance. Il est gros de crimes absous d’avance. Il livre des listes : « Deux catégories de mâles échappent pourtant à cette criminalisation du désir : les gays et les immigrés venus des pays musulmans. La vieille alliance entre les féministes et les homosexuels masculins s’est étendue aux mouvements anti racistes. » Ces lignes ne produisent-elles pas, déjà, l’effet d’une rafle symbolique ?
Éric Zemmour est antimusulman comme on était antisémite, des années 1880 à 1945. Il prétend défendre et incarner la liberté d’opinion. Sartre s’interpose, une fois de plus à bon escient : « Mais je me refuse à nommer opinion une doctrine qui vise expressément des personnes particulières et qui tend à supprimer leurs droits ou à les exterminer (…) L’antisémitisme ne rentre pas dans la catégorie de pensée que protège le droit de libre opinion. D’ailleurs, c’est bien autre chose qu’une pensée. C’est d’abord une passion. » (Réflexions sur la question juive, 1947).
Avant qu’il ne soit trop tard, que la passion drumonto-maurrasso-zemmourienne n’ait commis ses ravages, la France aurait besoin qu’un philosophe, sorti du rang, publiât ses Réflexions sur la question musulmane.