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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Un bal populaire
pour commémorer les balles

A la veille du 14 juillet 2018, 65 ans après la fusillade colonialiste à Paris du 14 juillet 1953, place de la Nation, des prises de parole ont eu lieu devant la plaque commémorative posée un an plus tôt. Et un bal populaire a été organisé pour commémorer cet événement trop vite disparu de la mémoire collective. A l'intiative de la mairie du 12e arrondissement, du conseil de quartier Nation-Picpus, des sections de la Ligue des droits de l'Homme du 12e, des 10e-11e et du 20e, de Attac 12e, de la Commune libre d'Aligre et de la CGT 12e.

65 ans après la fusillade à Paris, place de la Nation, d’un cortège d’algériens indépendantistes, un bal populaire a eu lieu pour commémorer les balles

Le 14 juillet 1953, à l’arrivée du défilé traditionnel de la gauche politique et syndicale, place de la Nation, la police parisienne a chargé le cortège de nationalistes algériens pour leur arracher banderoles, drapeaux algériens, pancartes et portraits de leur leader.

Intervention policière à coups de matraque. Affrontements, heurts, bousculades, les policiers ont tiré. On relèvera sept morts, six algériens et un syndicaliste français venu s’interposer, et de nombreux blessés, dont une cinquantaine par balle.

Cette répression a disparu de notre mémoire collective. Jean Laurans avait 18 ans ce jour-là : « Le soir, je voulais aller au bal du 14 juillet mais je n’aurais jamais cru qu’en allant à cette manifestation, je risquais de perdre la vie ! ». Au lieu de cela, le 14 juillet 1953, il se retrouve blessé et hospitalisé.

C’est pour ces raisons, pour cette réparation symbolique, que 65 ans plus tard, la mairie du 12e arrondissement de Paris et diverses associations ont voulu commémorer de manière festive ce drame quasiment inconnu de l’histoire et qui a fait l’objet, le 6 juillet 2017, de la pose d’une plaque commémorative — Voir « Première reconnaissance officielle du massacre d’Algériens à Paris, le 14 juillet 1953 », publié sur ce site en juillet 2017.

Se sont associées à la mairie du 12e, le conseil de quartier Nation-Picpus, les sections de le LDH du 12e, des 10e-11e et du 20e, Attac 12e, la Commune libre d’Aligre et la CGT 12e pour organiser une rencontre/projection et un bal populaire, le 13 juillet 2018, de 18h à minuit, sur la place de l’île de la Réunion à deux pas de la place de la Nation et du lieu où a eu lieu ce drame.


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18h30 > Hommages. Prises de parole de Catherine Barrati-Elbaz, maire du 12ème arrondissement, et de témoins de cette manifestation comme Jean Laurans, président de la FNACA de Paris.
19h00 > Première partie du bal avec de la valse musette mais aussi du rock, de la pop ou du disco.
22h00 > Projection d’un extrait du film documentaire Les balles du 14 juillet 1953 de Daniel Kupferstein.

L’extrait du film qui a été projeté

22h30 > Deuxième partie du bal avec des musiques du monde : salsa, reggae, raï, zouk, musique africaines…
Fin du bal à minuit.


Le résumé filmé de la soirée


Le nouveau livre de Daniel Kupferstein,

Filmer malgré l’oubli. Paris 14 juillet 1953. Répression des manifestants algériens

éditions Ressouvenances, décembre 2017 (198 pages, 24 €).

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Trois photos en couverture : en haut, le 14 juillet 1953, les manifestants algériens qui ont subi une première attaque policière à coup de matraques, ramassent des objets pour se défendre, il vont être l’objet d’une fusillade de plusieurs minutes ; à gauche, un cortège du MTLD arborant le drapeau algérien, probablement le 1er mai 1951 ; en bas, le départ du convoi funéraire organisé par le MTLD vers Marseille puis l’Algérie.

La plupart des membres du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) rejoindront le FLN et sa Fédération de France après le déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne, une minorité refusant avec Messali Hadj de le rallier.

Présentation de l’éditeur

Documentariste, Daniel Kupferstein a réalisé le film Les Balles du 14 Juillet, consacré à un drame oublié : la répression meurtrière de manifestants algériens le 14 juillet 1953, lors du défilé populaire, politique et syndical, organisé traditionnellement, jusqu’alors, à l’occasion de la fête nationale. À la fin du parcours, une charge de forces policières contre le cortège du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques entraîna des affrontements. Les policiers firent usage de leurs pistolets contre des manifestants sans armes et qui défilaient pacifiquement. Ils causèrent sept morts (six Algériens et un syndicaliste français) et une cinquantaine de blessés répertoriés.

À la suite de son film, l’auteur a publié un premier livre historique (Les Balles du 14 Juillet, La Découverte, 2017). Dans ce nouvel ouvrage, autobiographique, il narre son expérience : sa découverte de ces événements ; ses rencontres avec des témoins et des acteurs français et algériens ; ses recherches dans des archives des hôpitaux, de la police, de la presse, de syndicats ; ses difficultés à trouver aides et financements (le film fut autoproduit) ; ses deux voyages d’enquête et de tournages en Algérie. À travers doutes et tâtonnements, il recueille les récits fragmentaires d’anciens manifestants, de blessés, de membres des familles des victimes. Des souvenirs hésitants, souvent chargés d’émotions, reviennent d’une époque complexe qu’ont gommée ensuite l’évolution vers la « guerre d’Algérie » et la scission qu’elle imprima dans la société française.


Les Balles du 14 Juillet
de Daniel Kupferstein

éditions La Découverte, mai 2017 (255 pages, 18 €). Voir aussi la page publiée sur ce site en août 2017

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La tribune de Pascal Blanchard, publiée le 1er août 2018 dans la Newsletter #1 de l’Achac Source

Pascal Blanchard est historien, spécialiste du fait colonial et chercheur au laboratoire Communication et Politique (Irisso, CNRS, Université Paris-Dauphine).

La guerre d’Algérie a commencé en France. En 1953. Pas en Algérie. Voilà ce que l’on se dit après la lecture de l’ouvrage de Daniel Kupferstein. C’est un livre d’histoire qui n’est pas écrit par un historien. Mais c’est pourtant un livre d’enquête et d’histoire. Avec une préface du romancier Didier Daeninckx qui donne toute sa place à ce récit exemplaire dans la France en déconfiture de la IVe République. Daniel Kupferstein est avant tout (et surtout), un grand documentariste depuis 35 ans. Des films de militant, engagés et centrés sur la banlieue, sur le mouvement nationaliste breton, sur le travail, sur les étrangers dans la Résistance, sur le communisme, sur l’immigration. Et c’est ainsi qu’il réalise en 2014 un film sur ce sujet, qui deviendra ce livre trois ans plus tard. Un film sur un 14 juillet pas comme les autres.

La bande annonce du film

L’histoire est simple. Le 14 juillet 1953, comme tous les ans depuis la fin du conflit, la gauche communiste et syndicale célèbre la fête nationale. À leurs côtés, quelques militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). À la fin de la manifestation, place de la Nation, des heurts se produisent et les policiers tirent froidement sur les manifestants algériens, tuant sept personnes (six Algériens et un Français) et blessant une centaine de manifestants dont la moitié par balle. La guerre d’Algérie est déjà dans l’air, et cette violence préfigure l’éclatement de 1954. Pendant des décennies, cette histoire aura été oubliée. C’est tout le mérite du travail d’archiviste et de chroniqueur de Daniel Kupferstein que de s’être penché sur cette histoire impossible. Il a croisé les sources orales, les sources écrites, les archives, les rapports de police… et il montre les liens entre ces événements et le déclenchement du conflit par le FLN.

Didier Daeninckx le précise avec justesse : « L’originalité de l’approche de Daniel Kupferstein réside dans sa méthode de cinéaste documentariste. Si ce livre s’appuie sur la consultation d’archives inédites, sur une lecture attentive de la presse de l’époque et des moindres évocations du 14 juillet 1953 au cours des années qui suivent la tragédie, sur une fréquentation des études consacrées à la guerre d’Algérie, une part essentielle est constituée par la recherche des témoignages. Ce qui en fait la richesse, c’est bien la rencontre avec les acteurs de cet épisode sanglant, avec leurs proches, aussi bien du côté des victimes que des forces de répression, et avec tous ceux dont la vie, aujourd’hui encore, est entravée par les non-dits, les mal-dits de l’Histoire. »

Lors d’une interview, en 2014, il explique lui-même sa démarche : « J’avais déjà réalisé un film sur Charonne et un autre sur le 17 octobre. À l’occasion d’un débat suivant une projection


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La projection co-organisée par la fédération LDH de Paris à l’origine de ce travail

l’historienne Danielle Tartakowsky m’a dit « Tu devrais faire un film sur le 14 juillet 1953 ». Sur le moment, j’ai répondu que je ne voulais pas devenir le spécialiste des massacres parisiens. Ensuite, j’ai réfléchi et je me suis dit que les gens qui avaient vécu ces événements devaient avoir dans les 75 ou 80 ans, donc que les témoins risquaient de disparaître prochainement. Cela a été le déclic. […] J’ai utilisé le livre 1953, un 14 juillet sanglant de Maurice Rajsfus (Agnès Vienot, 2003), malheureusement épuisé aujourd’hui. Puis j’ai consulté les archives, recherché des témoins, que j’ai trouvés, certains par relations, d’autres par Internet. J’ai même passé une annonce dans le journal algérien El Watan, ce qui m’a permis de contacter des manifestants et les parents de victimes qu’on voit dans le film. »

Comme il l’explique parfaitement dans son livre, l’oubli de ces événements s’explique par une multiplicité de raisons : les événements de Charonne ont occupé toute la mythologie de la gauche française et du parti communiste pendant des décennies ; le PCF et la CGT ont dénoncé le massacre, mais celui-ci a très vite été éclipsé par la grande grève des fonctionnaires de l’été 1953 ; le 17 octobre 1961 et le massacre des militants du FLN algérien ont occupé toute la mémoire des militants en Algérie et ceux de l’immigration algérienne en France dans le même laps de temps ; le 14 juillet 1953 concerne une manifestation du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques dirigé par Messali Hadj) qui a ensuite été en rupture avec le FLN, cette histoire ne rentrait donc pas dans la mémoire de la guerre d’Algérie ; pour les autorités françaises et les responsables politiques de la IVe république il ne s’était rien passé, juste une action de maintien de l’ordre ; pour la plupart des historiens de la guerre d’Algérie, l’histoire commence en 1954 ; pour les autres historiens, cet événement est à la marge du grand récit et n’entre dans aucune case évidente. Voilà comment l’une des répressions les plus meurtrières de l’après-guerre guidée par Maurice Papon, en lien avec la situation coloniale mais perpétrée dans l’Hexagone, a été mise à la marge des mémoires.

Déja les mensonges de Maurice Papon

Il est fascinant de découvrir comment la préfecture de police a immédiatement cherché à effacer cette répression, laissant croire que la violence était du côté des Algériens : « Les Nord-Africains entendirent poursuivre leur manifestation sur le cours de Vincennes. […] 2 000 Nord-Africains se saisissant de toutes sortes de projectiles […] et certains armés de couteaux, attaquèrent avec sauvagerie le petit nombre d’agents présents. […]. Brusquement cernés et en état de légitime défense, quelques agents durent faire usage de leurs armes. ». La presse reprend ce discours de manière quasi générale, et les témoignages de policiers se succèdent : « On a vu les Arabes, brusquement saisis de fureur, se jeter sur nous. J’ai été entouré par des agresseurs et renversé et assommé. Comment se défendre contre eux ? Ce sont des brutes, mais des brutes surexcitées par des provocateurs… » ; « Alors, il faudrait se laisser piétiner par ces gars-là et sans répondre ? » ; « Je peux témoigner que mes camarades et moi-même n’avons usé d’aucune violence pour disperser les Nord-Africains. […] Visiblement, ces manifestants étaient organisés pour l’attaque. »

L’affaire est pliée trois jours plus tard, dans le rapport officiel : « Deux cent quarante-sept fonctionnaires ont été entendus, il n’en reste qu’une vingtaine à entendre, sauf les absents par blessure ou en congé. Sous réserve de mise au point nécessaire, il ressort de ces auditions que les premiers coups de feu seraient partis d’un groupe de Nord-Africains réfugiés à la terrasse d’un café à l’angle de l’avenue du Trône et de la place de la Nation (fait affirmé par plusieurs gardiens). Un Nord-Africain a été signalé comme étant embusqué derrière la colonne du Trône, côté boulevard de Charonne, armé d’un pistolet à barillet ; des gardiens l’ont vu tirer sur le service d’ordre en avançant. Le gardien Lucien Lainé l’a vu s’affaisser, le gardien Jules Chatelard a vu cet Algérien allongé dans le caniveau tenant encore un revolver, le gardien Charles Jacques précise qu’il était vêtu d’un costume gris. […] Cinq gardiens ont reconnu avoir tiré avec leur arme. Ils fournissent des arguments établissant qu’eux ou leurs collègues blessés se trouvaient en danger. »

Tous les témoignages et toutes ces auditions n’ont pas été recueillis par des juges, par des journalistes ou par des enquêteurs, mais par d’autres policiers, ce que démontre l’auteur pas à pas dans son enquête.

Au-delà de la police, les politiques vont valider cette manipulation des faits et la volonté d’effacer toute responsabilité des policiers. Malgré plusieurs échanges vifs au parlement. Abdelkader Cadi, député de Constantine (UDSR, centre gauche) interroge le ministre : « Qui a donné l’ordre de se montrer particulièrement rigoureux à l’égard des manifestants algériens ? Pourquoi la police perd-elle son sang-froid en présence d’Algériens ? Est-ce un mot d’ordre ? Sinon, pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi une répression qui est allée jusqu’à la tuerie ? » Plusieurs députés réagissent. Emmanuel d’Astier de la Vigerie, du PCF, précise : « Les balles qui ont tué n’étaient pas des balles égarées : elles ont été tirées dans la tête, au cœur et au ventre. Je veux dire comment est mort Maurice Lurot. […] Il n’y a pas eu de sommation. […] On a relevé des centaines de douilles par terre. […] On ne peut pas renvoyer de telles affaires sine die ; elles méritent une enquête sérieuse… »

Les attaques commencent à fuser et la haine des Algériens ressort, comme avec le député de droite, André Liautey : « Nous attendons du gouvernement un projet [de loi] qui permette de prononcer la déchéance [de la citoyenneté française] au moyen d’une procédure applicable à tous ceux qui ne possèdent pas la citoyenneté française depuis dix ans au moins. […] Je souhaiterais que le maintien de la citoyenneté française accordée depuis la Libération fût subordonné à une demande souscrite par les intéressés. […] Ceux qui refuseraient de faire cette demande seraient déchus d’office. […] En dehors de cette déchéance de la citoyenneté française, ne serait-il pas possible, sans transgresser des principes auxquels nous sommes attachés, de prendre d’habiles mesures pour renvoyer chez eux les Nord-Africains qui s’obstinent à rester des chômeurs professionnels ? […] C’est pourquoi je vous demande, Monsieur le ministre, quelles dispositions vous comptez prendre, dans les plus brefs délais, pour déjouer et réprimer le complot de ceux qui, serviteurs d’un nationalisme étranger, se préparent à lancer les Nord-Africains en avant comme une troupe de choc contre les institutions républicaines. » La Guerre froide est dans l’air, la haine des Algériens aussi, le débat sur la nationalité rappelle une autre époque (proche de nous) et le contexte qui précède le conflit est omniprésent dans ces échanges. C’est cela que montre avec précision, archives, échanges, analyses ce livre froid et remarquable. Un livre-témoignage qui puise sans retenue dans la méthodologie historique pour nous faire comprendre ce qui s’est passé ce 14 juillet 1953.

Cette histoire montre comment, en 1953, la violence coloniale est déjà présente dans l’Hexagone. Une violence terrible qui va conduire à la guerre d’Algérie et qui va marquer en profondeur la société française.

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