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Édition du 1er au 15 janvier 2025

Présentation des animateurs

Ce site est géré par l’association Histoire coloniale et postcoloniale dont le bureau est composé de François Gèze, Gilles Manceron, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio.

Gilles Manceron

photo_gilles.jpgHistorien, auteur notamment de Marianne et les colonies (La Découverte, 2003), 1885, le tournant colonial de la République (La Découverte, 2007), il a co-dirigé La colonisation, la loi et l’histoire (Syllepse, 2006), D’une rive à l’autre. La guerre d’Algérie de la mémoire à l’histoire (Syros, 1993), et, avec Madeleine Rebérioux, Droits de l’Homme. Combats du siècle (Seuil, 2004). Co-fondateur avec elle et Pierre Vidal-Naquet (ainsi que d’autres comme Suzanne Citron, Stéphane Hessel et Etienne Balibar), en 2001, du collectif « Trop, c’est trop ! » contre l’antisémitisme et pour les droits des Palestiniens, vice-président de la Ligue des droits de l’Homme en 2005-2006 et 2009-2010, rédacteur en chef de sa revue Hommes et Libertés de 1997 à 2005, il s’est rendu fréquemment à Toulon à partir de 2004 pour travailler avec le fondateur de ce site, François Nadiras, et il l’a aidé, avec d’autres, jusqu’en 2017, à l’alimenter en articles.

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Fabrice Riceputi

Professeur d’histoire et géographie, historien, Fabrice Riceputi est le créateur du blog Camp-volant (2014-2017) dédié aux questions coloniales et post-coloniales. Il est l’auteur, en 2015, de La bataille d’Einaudi. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République (Le Passager clandestin) et, en février 2019, de l’article « Paul Teitgen et la torture pendant la guerre l’Algérie. Une trahison républicaine », dans 20 & 21. Revue d’histoire. Il est depuis 2017 membre de la rédaction du site histoirecoloniale.net. Depuis la déclaration d’Emmanuel Macron en septembre 2018 reconnaissant l’assassinat de Maurice Audin et le système de tortures et disparitions forcées mis en place pendant la guerre d’Algérie, il a été le principal animateur, avec Malika Rahal, du site créé à ce moment, 1000autres.org.

Alain Ruscio

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Après avoir été correspondant de L’Humanité au Vietnam et au Cambodge de 1978 à 1980, il a travaillé sur la guerre d’Indochine et l’Indochine coloniale. Puis il a élargi ses travaux aux autres colonies et au « regard colonial », publiant notamment Le Credo de l’Homme blanc. Regards coloniaux français, XIXè-XXè siècles (Complexe, 1996) et coordonnant le livre collectif, Histoire de la colonisation : réhabilitations, falsifications et instrumentalisations. Il dirige une imposante Encyclopédie de la colonisation française (Les Indes savantes). Parmi ses nombreux ouvrages, il a publié récemment : Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS (La Découverte, 2015) et Les communistes et l’Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962 (La Découverte, 2019).

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Hubert Rouaud

Après avoir milité contre la guerre d’Algérie de 1957 à 1961 alors qu’il était étudiant, dans des organisations qui contribueront à la création du PSU, il a été appelé à la fin de la guerre d’Algérie, du début de 1961 jusqu’au cessez le feu du 19 mars 1962. Il retrouvera ensuite l’engagement militant au sein du PSU et sera, au début des années 2000, l’un des premiers adhérents de l’Association Maurice Audin, créée par Gérard Tronel, et de celle des Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG), dont il a fondé le site internet. Il a réalisé de nombreux films de témoignages sur divers engagements anticolonialistes ainsi que sur les premières initiatives organisées par ces deux associations.

François Gèze

© Olivier Dion
© Olivier Dion


Après avoir travaillé avec François Maspero au sein de sa maison d’édition à la fin des années 1970, il a pris la suite de celle-ci en devenant, de 1982 à 2014, président-directeur général des Éditions La Découverte. Il y est maintenant directeur de collection. Il est membre, par ailleurs, du Cedetim (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale) et de l’association Algeria-Watch.

« Aujourd’hui encore, cette filiation coloniale perdure »


Extrait de l’entretien de François Gèze par Marie-Hélène Bacqué, dans Mouvements, n° 100, 2019, p. 199-216.

Mouvements : Comment se sont passées tes premières années à la tête de La Découverte ?
[…]
F. G. : Il y avait aussi l’histoire coloniale, que je connaissais très mal, contrairement à François Maspero qui avait une culture remarquable dans ce domaine. En lisant ce qu’il avait publié, j’ai notamment découvert l’histoire et la réalité de l’Algérie, bien loin de la vision réductrice que nous, militant·es anti-impérialistes français·es, en avions à l’époque, celle d’un pays socialiste du tiers monde, engagé dans le soutien aux luttes de libération. Des figures intellectuelles algériennes comme Mouloud Mammeri, un grand anthropologue de la culture berbère qui publiait chez Maspero, m’ont fait découvrir la réalité du régime, véritable dictature qui ne disait pas son nom, j’y reviendrai.

J’ai compris aussi que cette méconnaissance s’inscrivait spécifiquement en France dans la longue occultation de son passé colonial. À commencer par la non-reconnaissance de ce qu’avait été la guerre d’Algérie, mais aussi de ce qui s’est passé avant : l’histoire de notre empire colonial et de ses violences. En 1991, dans La gangrène et l’oubli, Benjamin Stora a montré comment, en 1962, de Gaulle a enfermé, comme dans un tombeau, l’histoire de la guerre, de la colonisation de peuplement de 132 ans en Algérie et, au-delà, de tout l’empire colonial français. Tout cela a été comme effacé des représentations jusqu’aux années 1980, notamment dans les manuels scolaires. Dans les années 1960, de Gaulle a couvert la France de monuments d’hommage aux résistants de la Seconde Guerre mondiale, favorisant ainsi l’occultation complète de pans entiers de l’histoire de France entre 1945 et 1962, une période où ont eu lieu des massacres coloniaux d’une ampleur insoupçonnée : au moins 15 000 morts dans la répression du Nord-Constantinois en mai-juin 1945 ; des dizaines de milliers de morts dans les répressions à Madagascar en 1947 ; la guerre secrète conduite par la France contre les nationalistes camerounais de 1955 à la fin des années 1960, dont on saura bien plus tard qu’elle a fait 100 000 à 200 000 morts au même moment que la guerre d’Algérie ; sans compter nombre d’autres massacres coloniaux, en Indochine, en Afrique, aux Antilles. Yves Bénot, un historien outsider qui n’avait pas de poste à l’université et qui travaillait de longue date sur l’histoire coloniale française, les évoque dans Massacres coloniaux (1994).

J’ai beaucoup publié sur toutes ces questions, en particulier sur l’Algérie et son histoire. Je suis alors allé plusieurs fois dans ce pays, que je ne connaissais pas auparavant et j’ai vu qu’il y avait beaucoup à faire connaître de ses réalités méconnues. Et quand est arrivée la « sale guerre » contre les civils, après le coup d’État de 1992, je me suis à nouveau engagé et j’ai publié plusieurs livres qui en ont rendu compte.

M. : Dans les années 1980, du côté des historiens académiques, il n’y a pas grand-chose sur la guerre d’Algérie ni sur l’histoire coloniale…

F. G. : Il y avait eu à partir des années 1950 une première vague d’historiens de la colonisation française, peu nombreux, comme Charles-André Julien ou Charles-Robert Ageron, qui ont construit les bases ; c’était de l’histoire engagée, mais rigoureuse, des gens de la génération de Maxime Rodinson, qui ont fait un travail remarquable. Mais ils n’ont guère eu de disciples et dans les années 1980, en effet, c’était presque le désert. Pierre Vidal-Naquet a certes écrit sur la guerre d’Algérie – Les crimes de l’armée française, La torture dans la République, La raison d’État –, mais assez peu sur l’histoire coloniale à proprement parler. Dans les années 1980, un éditeur qui avait commandé des livres sur l’histoire coloniale française à Catherine Coquery-Vidrovitch, sur l’Afrique subsaharienne, Benjamin Stora sur l’Algérie, Pierre Brocheux et Daniel Hémery, sur l’Indochine, a fait faillite. La collection qu’il avait lancée s’est arrêtée, donc ils et elles sont venu·es me voir, et j’ai publié leurs livres, ce qui a élargi notre réseau d’auteur·rices. Certain·es sont resté·es fidèles, comme Catherine Coquery. Et par la suite, nous nous sommes ouverts davantage aux traductions des travaux issus des post-colonial studies nord-américaines.

M. : Avant d’arriver aux Éditions Maspero, devenues La Découverte, tu ne t’étais jamais intéressé à l’Algérie ?

F. G. : J’avais édité pour la collection du Cedetim un livre sur l’Algérie, écrit par des camarades du Cedetim qui avaient été en Algérie comme pieds-rouges puis coopérants (L’Algérie en débat. Luttes et développement, 1981) et j’avais été étonné par leurs difficultés pour l’écrire : ils ont mis six ans pour en venir à bout. Ils étaient allés en Algérie indépendante, issue d’une lutte de libération révolutionnaire et qui était vue comme anticolonialiste, socialiste : on parlait d’autogestion, il y avait des nationalisations. C’était l’époque où des économistes français de gauche conseillaient le gouvernement algérien, comme Gérard Destanne de Bernis, le promoteur des « industries industrialisantes ». En réalité, la police politique, la Sécurité militaire, était ultraprésente, au cœur du système et contrôlant toute la population à l’image de la Stasi est-allemande ou de la Securitate roumaine.

Mais de cela, les camarades qui avaient vécu en Algérie ou y vivaient encore ne pouvaient pas parler. Je l’ai compris bien plus tard en publiant en 2009 Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance au désenchantement (1962-1969) de Catherine Simon, une journaliste du Monde qui a longtemps été correspondante à Alger. Elle a enquêté sur ces pieds-rouges : des milliers de jeunes Français·es, surtout de gauche et cathos, sont allé·es en Algérie socialiste pour donner un coup de main, et sont revenu·es complètement dépité·es. En 1965, quand il y a eu le coup d’État de Boumediene, plusieurs d’entre elles et eux ont été arrêté·es, torturé·es et expulsé·es.

Occultation de l’histoire coloniale par la droite gaulliste, difficultés de la gauche à la prendre vraiment en compte et à comprendre les réalités de l’Algérie indépendante : s’il est vrai que la société algérienne contemporaine a été profondément marquée par le « trauma colonial » (titre du livre de la psychanalyste Karima Lazali que j’ai publié en 2018), on peut aussi parler d’une « maladie algérienne » de la société française.

M. : Une maladie algérienne qui a dégénéré en maladie coloniale généralisée.

F. G. : Généralisée en effet, mais quand on creuse, c’est l’Algérie d’abord. Les « symptômes » de cette « maladie algérienne » sont très nombreux, mais l’un d’eux m’a particulièrement frappé. J’ai publié en 1992 un livre du journaliste Fausto Giudice, Arabicides, sur les dizaines de « meurtres d’Arabes » commis entre 1975 et 1985. Quand les assassins, des civils ou, souvent, de jeunes flics, étaient arrêtés, ils ne prenaient que cinq ans ou étaient acquittés. Son enquête auprès de ces assassins montrait que ces jeunes, en particulier les policiers, qui avaient 25 ans en 1980, donc n’avaient pas connu la guerre d’Algérie, avaient en quelque sorte hérité du permis de tuer le « bougnoule » donné par l’armée française à un million et demi de jeunes appelés pendant sept ans. Et il avait constaté que quand la victime était un Turc, dans la représentation de l’assassin, c’était en réalité un Algérien. Aujourd’hui encore, cette filiation coloniale, raciste et meurtrière, perdure.