1001 signatures et après …
Le collectif des historiens contre l’article 4 de la loi du 23 février attire l’attention sur le fait que la loi Fillon a remplacé l’ancienne commission des programmes (qui comprenait des représentants des enseignants) par un Haut conseil composé exclusivement de membres nommés par le président de la République, les présidents des deux assemblées et le président du Conseil économique et social.
Cette réforme risque donc de faciliter l’application de l’article 4 en l’absence de toute concertation entre administration et enseignants.
Lancée dans le Monde du 25 mars 2005, la pétition des historiens a reçu plus d’un millier de signatures d’enseignants et de chercheurs de toutes disciplines 1. Ce nombre, atteint en trois semaines témoigne de l’inquiétude et de l’indignation de la profession face à la prétention de lui imposer une histoire officielle de la « positive colonisation ». Ce risque est loin d’être exclu et le mouvement qui s’engage doit empêcher toute tentative d’application par décrets, arrêtés, circulaires, en attendant l’abrogation de la loi.
En effet, nous pouvons affirmer que notre plate-forme est représentative des spécialistes de la colonisation et, plus largement, des historiens dans leur ensemble. Forts de cela, de nombreux collègues ont décidé qu’ils n’appliqueront pas l’article 4. Pour aller plus avant, il faut que les structures de la profession prennent position, l’APHG en particulier. L’inspection générale, très directement concernée par d’éventuelles modifications des programmes et par sa situation à l’interface du milieu enseignant et du ministère, doit également prendre position.
Sur le site, vous trouverez aussi un projet de lettre à adresser à nos élus. Nous leur demandons d’intervenir en faveur de l’abrogation de la loi. L’écho dans les médias, sur plusieurs sites, ainsi que les manifestations de solidarité de centaines de citoyens traduisent la sensibilité de la société à ces problèmes.
Il est non moins important de multiplier les débats sur la nécessité d’inclure avec toute la place qui leur revient les migrations et la colonisation dans les programmes et la formation des enseignants. Un colloque est en préparation pour la rentrée.
Faites-nous part de vos suggestions et propositions.
Continuez à informer sur les initiatives que vous prenez.
Merci à toutes et tous
Pétition
Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle
La loi du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés» a des implications sur l’exercice de notre métier et engage les aspects pédagogiques, scientifiques et civiques de notre discipline.
Son article 4 dispose :
«Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite.
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit … »
Il faut abroger d’urgence cette loi,
– parce qu’elle impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au cœur de la laïcité,
– parce que, en ne retenant que le «rôle positif» de la colonisation, elle impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé,
– parce qu’elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé.
Les historiens ont une responsabilité particulière pour promouvoir des recherches et un enseignement
– qui confèrent à la colonisation et à l’immigration, à la pluralité qui en résulte, toute leur place,
– qui, par un travail en commun, par une confrontation entre les historiens des sociétés impliquées rendent compte de la complexité de ces phénomènes,
– qui, enfin, s’assignent pour tâche l’explication des processus tendant vers un monde à la fois de plus en plus unifié et divisé.
Claude Liauzu, professeur émérite à l’université Denis Diderot-Paris 7 ;
Gilbert Meynier, professeur émérite à l’université de Nancy ;
Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS ;
Frédéric Régent, professeur à l’université des Antilles et de Guyane ;
Trinh Van Thao, professeur à l’université d’Aix-en-Provence ;
Lucette Valensi, directrice d’études à l’EHESS.
Le « rôle positif » de la colonisation devra désormais être enseigné à l’école.
Relents de négationnisme à l’Assemblée nationale
par Ivan du Roy [Témoignage chrétien, le 21 avril 2005]
« J’ai vu construire des chemins de fer ; on rencontrait du matériel sur les chantiers. Ici, que du nègre ! Le nègre remplaçait la machine, le camion, la grue ; pourquoi pas l’explosif aussi ? (…) Épuisés, mal traités (…), blessés, amaigris, désolés, les nègres mouraient en masse. » 2. Ce reportage du célèbre journaliste Albert Londres raconte, en 1929, la construction, dans des conditions inhumaines, de la voie ferrée reliant Brazzaville à Pointe Noire, au Congo. Des dizaines de milliers d’Africains mourront sur le chantier, au nom de la grandeur de la France et de son Afrique équatoriale.
Cet extrait ne pourra jamais figurer dans un manuel scolaire. Un professeur qui s’en servirait dans un polycopié distribué à ses élèves ne serait pas à l’abri d’une remontrance de l’inspection académique, voire d’une sanction. Pourquoi ? Tout simplement parce que les députés ont décidé de réécrire l’histoire de la colonisation. « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », stipule l’article 4 de la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ».
La loi ne se contente pas de fixer les indemnisations (l’allocation de reconnaissance) à l’égard des rapatriés et des harkis et de reconnaître les souffrances subies par ces populations. Elle vise également à répondre, comme l’a précisé la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie dans son exposé des motifs, « au devoir de reconnaissance de la Nation à tous les hommes et les femmes qui, grâce à leur courage et leur goût d’entreprendre, ont participé au rayonnement de la France, ainsi qu’au développement des territoires sur lesquels ils se sont installés et ont fondé leurs familles ». En bref, la France coloniale et « cette œuvre collective réalisée en Afrique du Nord et sur les autres continents » qui aurait été trop longtemps « niée ou ignorée », selon la ministre. Lors des débats, les propos du député UMP Lionnel Luca (Alpes- Maritimes) frôlent le négationnisme : « Qu’elles qu’aient été les erreurs ou les fautes commises, la France n’a jamais asservi les peuples qu’elle a dirigés (…). Nous devons écrire l’histoire et l’enseigner pour que les enfants sachent que la France n’a pas été colonialiste mais colonisatrice et qu’elle a transmis les valeurs républicaines aux élites qui, aujourd’hui, dirigent ces peuples ». Adieu donc toute critique de la colonisation. Vive la République, vive la France ! Les massacres de Sétif en 1945 ?
Diffamation ! Les 80 000 morts de Madagascar en 1947, tués par la répression coloniale ? Exagération ! La non-citoyenneté des musulmans d’Algérie ? Connais pas ! Omar Bongo, Ben Ali, Houphouët-Boigny, Eyadema… De grands démocrates formés au pays des droits de l’homme !
Le texte provoque un tollé chez nombre d’historiens. « Depuis quand le Parlement intervient-t-il dans les programmes scolaires ? », s’interroge l’historien Claude Liauzu. « L’article 4 définit l’esprit et le contenu de l’enseignement de la colonisation. Les zones d’ombre, les massacres, les systèmes d’oppression, tout cela sera maintenu dans le silence. Après la “positive attitude”, voici la “positive colonisation”. » Claude Liauzu est à l’initiative d’une pétition diffusée le 25 mars. Le texte, qui a déjà été signé par un millier d’enseignants, demande l’abrogation de l’article 4 : « En ne retenant que le “rôle positif” de la colonisation, il impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé », dénonce la pétition. « Si on avait voulu nous faire enseigner une colonisation négative, nous aurions réagi de la même façon. Cette pétition exprime le point de vue de la majorité des spécialistes de la décolonisation, même si le débat historique est encore en cours et qu’il existe des désaccords », précise l’historien.
Pour Claude Liauzu, une « gigantesque boulette » a été commise. Il assure que des proches de l’entourage du Président Chirac sont outrés par cet article de loi. Contacté par TC, le ministère de l’Éducation, qui aura la charge d’élaborer les programmes scolaires, « ne souhaite pas s’exprimer pour l’instant ». « Les seuls précédents où l’on a imposé une histoire officielle datent de Vichy et du Second Empire », assène Claude Liauzu. « Aux centaines de milliers d’enfants, descendants de la colonisation, on va enseigner l’histoire écrite par les colons. Notre société n’a pas su se décoloniser ».
- D’autre part, nous avons reçu l’appui du MRAP, de la LDH, de la LICRA, de la Ligue de l’Enseignement, du Syndicat de la Magistrature … lors de son congrès d’avril 2005, réuni au Mans, le SNES-FSU a décidé de mener une campagne pour l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005.
- Albert Londres, « Oeuvres complètes« , Bartillat.