29 profs de Béziers demandent à Ménard de ne plus « torturer la mémoire de Moulin »
« C’est une démarche de professeurs et de citoyens, nous ne sommes absolument pas dans une visée politique. » Les enseignants ayant pris la plume pour s’adresser à Robert Ménard tentent de couper l’herbe sous le pied à toute attaque sur le registre partisan ou politique 1.
Ils sont 29 à avoir signé une lettre (lire ci-dessous) pour présenter leurs vœux au premier magistrat et lui demander de prendre une résolution pour cette année 2016 : « Que vous cessiez de “torturer” la mémoire de Jean Moulin et que vous laissiez ses mânes reposer définitivement en paix. »
Treize enseignent au lycée Jean-Moulin
Cette démarche, née bien avant la publication du dernier bulletin municipal offrant le héros de la résistance à la Une, a réuni 13 professeurs d’histoire en activité au lycée Jean-Moulin, 11 d’autres établissements et cinq retraités. « Si désormais, grâce à notre démarche, le maire peut réfléchir à deux fois avant d’utiliser des références historiques, nous serons ravis, expliquent les pédagogues avant d’interroger : Si ce ne sont pas des profs d’histoire qui dénoncent l’attitude d’un maire qui retricote l’histoire, qui le fera ? »
La lettre des professeurs :
Monsieur le Maire,
En ce début de 2016, permettez-nous, tout d’abord, de vous adresser nos vœux de bonne année. Par votre intermédiaire, nous les souhaitons aussi à tous les Biterrois.
Professeurs d’histoire-géographie et d’éducation civique, nous constatons depuis bientôt deux ans au travers des publications du bulletin municipal ou des interventions médiatiques du premier édile de notre cité, un “certain” intérêt pour l’Histoire et le patrimoine. En tant que professeurs et pédagogues, nous devrions nous en féliciter. Hélas, l’instrumentalisation et le retricotage de l’Histoire à des fins strictement polémiques confinent désormais à une orientation idéologique telle qu’il nous a paru relever de notre devoir de citoyens d’exprimer publiquement notre désaccord. Précisément parce que nous sommes des professeurs profondément attachés à la rigueur de la démarche historique.
Alors, en ce début d’année 2016, permettez-nous, Monsieur le Maire, au nom de l’ensemble 2 des professeurs d’histoire-géographie du lycée Jean-Moulin, de vous adresser les trois vœux qui suivent en forme de requêtes. Le premier vœu sera celui de l’apaisement et de la sérénité. Parce qu’ »ici, c’est Béziers » et que la situation nationale est déjà suffisamment tragique, les Biterrois ont, plus que jamais, un besoin impérieux de concorde et de confiance en l’avenir. Aussi, débaptiser un nom de rue pour rouvrir des plaies et raviver de vieilles rancœurs en faisant de Béziers la vitrine de la réhabilitation de l’OAS ou créer un raccourci historique inapproprié en référence implicite à la crise des migrants, « quand les Barbares envahissaient l’empire romain 3« , ne nous paraît pas concourir à l’établissement d’un climat serein au cœur de notre cité. De la même manière, ressusciter d’entre les morts les poilus biterrois dans un mauvais tour de spiritisme lors de la traditionnelle commémoration du 11-Novembre et leur prêter une interrogation sur ce qu’ils diraient « en voyant certaines rues de nos communes où le Français doit baisser la tête ? 4 » nous paraît relever d’une utilisation pour le moins abusive et peut-être indécente de l’histoire. Parce qu’ »ici, c’est Béziers », ville méditerranéenne de tradition républicaine pétrie de tolérance, le deuxième vœu sera celui du rassemblement et de l’unité : rassembler plutôt que diviser. Ainsi, tenons-nous à rappeler, Monsieur le Maire, que l’organisation de manifestations religieuses dans un espace semi-public ne s’inscrit pas dans la tradition laïque garante de cohésion sociale et protectrice des libertés. Nous savons que Mairie et École sont deux piliers fondateurs de notre République laïque ; en ce qui nous concerne, nous sommes scrupuleusement attachés au respect des obligations de réserve et de neutralité qui nous incombent sur notre lieu de travail et dans notre enseignement. De même, se réclamer de Charles Martel – « Je veux retrouver notre France, celle de Charles Martel » -, ne peut, selon nous, contribuer à renforcer l’unité des Biterrois. Au sujet de cette dernière et bien malheureuse référence historique 5, il convient de rappeler qu’en son temps, ledit Charles Martel fut le plus grand spoliateur de l’Église et surtout le bourreau de notre cité qu’il mit à sac, pilla et incendia en 737 6.
Enfin, le troisième et dernier vœu sera pour nous le plus cher : celui du respect de la mémoire. Parce qu’ »ici, c’est Béziers », nous devons paix, respect et déférence à la mémoire de Jean Moulin, enfant de Béziers et unificateur de la Résistance française. »Trop souvent, ceux qui nous attaquent se dissimulent derrière la figure de Jean Moulin. Ces gens-là sont des faussaires », twittait le premier magistrat, le 9 décembre dernier, mettant en garde ceux qui voudraient récupérer l’héritage du plus célèbre des Biterrois. Mais quelques heures plus tard, le même jour, le premier édile poursuivait dans un autre tweet : « Dimanche, au nom de Jean Moulin, au nom de la République, nous ferons barrage à la gauche 7« .
Nous rappellerons, Monsieur le Maire, qu’en son temps, Jean Moulin – dont le père était professeur d’histoire à Béziers – avait fait le choix lucide et courageux de ne pas se soumettre à une idéologie reposant sur l’exclusion, la division et la fascination malsaine pour un passé idéalisé. Homme de tolérance et de conviction, il avait su rassembler autour de lui et du général De Gaulle, les résistants de toutes obédiences et de toutes origines, refusant de transiger avec le régime collaborateur de Vichy, dictature antisémite, xénophobe, régime d’ordre et d’exclusion aux antipodes de la République et de ses valeurs. Nous n’avons pas la prétention d’être les dépositaires de la mémoire de Jean Moulin. Mais nous savons que si son cénotaphe se trouve au Panthéon, c’est parce qu’il était le visage de la France républicaine.
Alors, Monsieur le Maire, de grâce, précisément parce qu’ »ici, c’est Béziers », les citoyens que nous sommes, professeurs d’histoire- géographie du lycée de votre ville qui porte cet illustre nom, font le vœu, à l’orée de cette année 2016, que vous cessiez de « torturer » la mémoire de Jean Moulin et que vous laissiez ses mânes reposer définitivement en paix. Recevez, Monsieur le Maire, nos meilleures salutations.
La lecture du dernier bulletin municipal, distribué à partir de ce vendredi 15 janvier, va profondément décevoir les signataires : « Jean Moulin n’appartient à personne. N’en déplaise à tous ceux qui ont essayé de le récupérer, sans vergogne », peut-on y lire… en ouverture de sept pages consacrées à l’intérêt que porte la mairie à la figure de la résistance.
Robert Ménard : « Ce sont des militants de gauche »
Le premier magistrat n’a pas apprécié le courrier reçu. Et n’est pas tendre avec ses signataires : « Ce n’est pas une lettre de profs, c’est une lettre de militants de gauche », affirme sans détour Robert Ménard. Même si tous les professeurs d’histoire du lycée Jean-Moulin (à l’exception de deux) ont signé la lettre ? « Lisez la lettre. Je n’ai pas de leçon d’histoire à recevoir de militants de gauche. Ils ne sont pas légitimes, ils font de la politique. Sur la laïcité et la crèche, qui a raison ? Eux ou la justice ? », poursuit le maire de la ville. « Sur le 19-Mars-1962, qu’ils aillent expliquer aux familles des milliers de morts qu’il y a eu après le 19 mars que la guerre s’est terminée ce jour, invective Robert Ménard avant d’aller plus loin. Le discours qu’ils tiennent est un discours de porteurs de valise. » « Je m’inquiète sur la façon dont est enseignée l’histoire à nos enfants. Je connais une dizaine d’historiens, plus légitimes que ceux-là, qui ont une tout autre vision de l’Histoire. » Le premier magistrat se dit même prêt à débattre avec les professeurs signataires de la lettre. Avant de revenir sur Jean Moulin : « Oui, on fait la Une du Journal de Béziers avec Jean Moulin, parce qu’on est fier d’avoir fait un musée en sa mémoire, parce que les
Biterrois sont fiers, ils sont contents… » Avant de contester avoir tenté un nouveau “buzz” : « Ce sont toujours les mêmes qui polémiquent… J’ai fait beaucoup plus qu’eux pour Jean Moulin », conclut Robert Ménard.
- L’un des signataires, Laurent Galy, était membre de l’association Atouts Béziers d’Agnès Jullian et N. 36 sur la liste d’Élie Aboud, lors des Municipales 2014.
Deux professeurs d’histoire-géographie du lycée Jean-Moulin ne sont pas signataires de cette lettre. Parmi eux, Gilles Ardinat, par ailleurs conseiller régional de la liste FN.
- Citoyens-professeurs du LPO auxquels se sont joints d’anciens citoyens-professeurs d’histoire-géographie ayant enseigné au lycée Jean-Moulin de Béziers.
- Tweet de R. Ménard du 23/11/2015 recommandant l’article du Figaro-Histoire.
- Extrait du discours de M. le Maire lors de la commémoration du 11 novembre 2015 : « Ceux qui sont morts pour sauver la France de la victoire allemande, que diraient-ils en voyant certaines rues de nos communes où le Français doit baisser la tête ? »
- Extrait du discours de R. Ménard lors du meeting de Marion Maréchal-Le Pen, à Toulon, le 1er décembre 2015. Nous faisons le vœu, Monsieur le Maire, qu’au regard du triste sort de Béziers en 737, vous cherchiez encore longtemps « la France de Charles Martel ».
- Henri Julia, Histoire de Béziers, Paris, Maillet, 1845, page 22, reprint Éditions de la Tour Gile, Péronnas, 1997 et dom Claude Devic et dom Joseph Vaissette, Histoire Générale du Languedoc, Tome 1, édition accompagnée de dissertations & notes nouvelles, Toulouse, Édouard Privat, 1872, page 807.
- Tweet du 9/12/2015 lors du second tour des élections régionales. Le Résistant à la Une du dernier « Journal de Béziers »