Il n’y aura pas de condamnation dans l’affaire de la mort de Zyed et Bouna, ces deux adolescents morts il y a dix ans, après être entrés dans un site EDF à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) pour fuir un contrôle de police. Leur disparition avait été à l’origine, à l’automne 2005, de trois semaines d’émeutes dans les banlieues françaises et la déclaration de l’état d’urgence.
Le tribunal de Rennes a rendu son jugement, lundi 18 mai, et suivi les réquisitions du parquet qui réclamait la relaxe des deux policiers poursuivis dans cette affaire pour non-assistance à personne en danger.
« S’ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau »
Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, étaient morts le 27 octobre 2005 par électrocution, alors qu’ils s’étaient réfugiés dans un local en béton abritant une réactance, dispositif très dangereux, situé sur le site EDF de Clichy-sous-Bois. Seul leur camarade Muhittin Altun, 17 ans, en avait réchappé, brûlé sur 10 % du corps.
Au moment du drame, Sébastien Gaillemin, gardien de la paix affecté à la police de proximité, avait vu deux « silhouettes » enjamber un grillage délimitant un cimetière et pénétrer ainsi dans un petit bois dans lequel, 5 mètres plus loin, un mur interdisait l’accès au site EDF. « S’ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau », avait-il lâché sur la radio de la police, à l’écoute de laquelle était sa collègue, Stéphanie Klein, alors policière stagiaire, accusée, elle aussi, de ne pas avoir réagi.
Méconnaissance du danger
Le tribunal a décidé que les deux policiers n’avaient pas connaissance d’un danger « certain et imminent » pour les jeunes quand ils ont quitté les lieux. Le drame s’est déroulé près de trente minutes après le départ des policiers du site. Les adolescents de 15 et 17 ans se trouvaient pourtant à l’intérieur du transformateur, mais les agents ont toujours affirmé avoir ignoré cette information au moment des faits.
M. Gaillemin a assuré à l’audience avoir vérifié, par deux fois, qu’il n’y avait personne dans le site EDF avant de quitter les lieux, et être à ce moment-là certain que les jeunes n’y étaient pas. « [Etant donné qu’il n’avait] pas conscience du danger, il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir agi pour y remédier », a considéré la procureure adjointe Delphine Dewailly lors de son réquisitoire.
Colère des familles
L’annonce de la décision de justice a été accueillie par des cris de colère de la part des familles. « Vous êtes responsables ! », « on ne pardonne pas », « c’est scandaleux ! », ont-ils lancé depuis l’assistance, selon des journalistes présents lors de l’audience.
La relaxe écarte en effet tout versement de dommages et intérêts aux familles des deux victimes et à Muhittin Altun. Le président du tribunal a estimé que le traitement politique et médiatique des événements avait « considérablement alourdi la souffrance des familles », mais que, comme ce dommage n’était pas imputable aux personnes poursuivies, leur requête était irrecevable.
« Les victimes ne sont pas reconnues, on nous dit finalement qu’il ne s’est rien passé », a fustigé Me Emmanuel Tordjman, représentant des parties civiles.
Mohamed Mechmache, président du collectif AClefeu, né au lendemain des émeutes à Clichy-sous-Bois, a regretté cette décision. Sur France Info il a estimé qu’« un fossé supplémentaire [allait] se creuser entre les habitants des quartiers et la justice ».
Un rassemblement est prévu dans la soirée devant le tribunal de Bobigny. Samir Mihi, président d’Au-delà des mots, association créée par les proches de victimes, a demandé que celui-ci se passe dans le calme.
Communiqué LDH
Paris, le 19 mai 2015
Zyed et Bouna : triste verdict, triste justice
En relaxant les deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger, en les dédouanant au point d’oublier que la police a aussi pour mission de protéger, le tribunal correctionnel de Rennes a sans doute suivi sa logique. Mais il a surtout rendu un verdict terrible contre la justice elle-même.
Car ce jugement a toutes les apparences de l’injustice. Il en a l’allure, il en a le goût, il en a l’odeur et il en a les mots. Il en aura l’impact.
Comment en effet sera-t-il possible de prétendre que les policiers, à l’instar de tous les citoyens, sont responsables de leurs actes, comme de leur inaction ?
Comment pourra-t-on faire croire aux habitants de Clichy-sous-Bois qu’ils sont considérés à l’égal des autres citoyens de ce pays ?
Comment pourra-t-on espérer dire que justice a été rendue avec un « deux poids, deux mesures » aussi écrasant ?
Le triste verdict de Rennes vient s’ajouter à un sentiment d’injustice et de mépris, au climat de méfiance et de violence latente existant entre les forces de l’ordre et les habitants des quartiers d’habitat social, singulièrement une bonne partie de la jeunesse qui y réside. Qu’on ne s’y trompe pas, le silence incrédule avec lequel le pays l’a accueilli – exception faite de quelques cris de joie du Front national ou de membres de l’UMP – n’est pas de bon augure. Lorsque des hommes et des femmes ne croient plus en la justice de la République, c’est la démocratie elle-même qui est en péril.
Les quartiers relégués, celles et ceux qui sont victimes de la crise sociale, des inégalités territoriales, de toutes sortes de discriminations et se voient, de surcroît, exposés à des contrôles policiers incessants et indignes, vont continuer de réclamer une tout autre justice.