«Israël cherche à rendre impossible la création d’un Etat palestinien»
Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de La France malade du conflit israélo-palestinien paru en 2014, estime qu’Obama a abandonné toute idée de faire pression sur Israël. Il ajoute, dans une interview accordée à El Watan, que les Français sont choqués par l’attitude de François Hollande qui n’a pas dit un mot pour condamner les bombardements dont sont victimes les Palestiniens.
- Comprenez-vous l’interdiction de manifester à Paris en faveur des Palestiniens ? La France ne se range-t-elle pas finalement du côté d’Israël ?
La manifestation de solidarité avec le peuple palestinien a été annulée officiellement pour des raisons de sécurité. La préfecture de police (mais la décision en fait a été prise à un niveau politique) dit vouloir éviter le renouvellement des incidents de la semaine dernière. Après la manifestation, il y a eu des échauffourées devant des synagogues. En fait, quelques militants pro-palestiniens ont suivi des membres de la Ligue de défense juive qui les avaient agressés et qui s’étaient réfugiés dans la synagogue. A aucun moment, il y a eu de tentative d’intrusion comme cela a été dit.
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) avait demandé l’interdiction de la manifestation pour éviter des violences. Celles-ci auraient pu facilement être évitées par un encadrement de la manifestation. La liberté de manifester est un droit fondamental en France, il y est porté atteinte. S’il s’agit de ne pas dresser les communautés les unes contre les autres, c’est raté parce que ceux qui voulaient manifester retiendront surtout que les autorités françaises ont donné satisfaction au CRIF.
- Comment expliquez-vous le silence des Occidentaux, notamment de la France et des USA, vis-à-vis de ce qui se passe à Ghaza ?
Les pays occidentaux demandent à Israël de faire preuve de plus de retenue dans ses bombardements. C’est une demande pour le moins faible surtout qu’elle n’est assortie d’aucune menace de sanctions. Les Occidentaux ont été bien plus sévères avec la Russie dans l’affaire ukrainienne. Comment expliquer cela ? Il y a plusieurs raisons. Aux Etats-Unis, le lobby pro-israélien est très puissant au Congrès et Barack Obama a abandonné toute idée de pouvoir faire pression sur Israël.
Pour les pays européens, il y a toujours le sentiment de culpabilité à l’égard du génocide de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement fort en Allemagne et pour certains un sentiment de solidarité civilisationnelle avec Israël. La population, en revanche, est de plus en plus critique à l’égard de la politique menée par le gouvernement israélien. Lorsque de Gaulle avait rompu l’alliance stratégique avec Israël en 1967, les Français étaient majoritairement favorables à Israël contre les pays arabes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et la majorité des Français condamne l’occupation de la Palestine et le blocus de Ghaza.
- Ne pensez-vous pas que la diplomatie française a pris un nouveau virage avec F. Hollande concernant notamment le dossier israélo-palestinien ? Pourquoi selon vous ?
François Hollande s’était engagé à reconnaître l’Etat de Palestine au cours de la campagne électorale.
Une fois arrivé au pouvoir, il se serait montré beaucoup plus timide. Il a fallu que Laurent Fabius insiste pour que la France vote favorablement à la mission de la Palestine comme Etat non membre de l’ONU. La déclaration de François Hollande reconnaissant à Israël le droit à la légitime défense sans un mot pour critiquer les bombardements de civils à Ghaza a choqué de nombreux Français, y compris au sein du parti socialiste.
- Y a-t-il un lobby juif qui agit dans les coulisses du pouvoir français ? Quels sont ses desseins réels ?
Il n’y a pas de lobby juif mais il y a effectivement un lobby pro-israélien dont l’objectif est que la France conduise une politique favorable à Israël. Des institutions communautaires officielles, comme le CRIF, font de la solidarité avec Israël, que beaucoup jugent inconditionnelle, un axe de leur politique à l’égal de la lutte contre l’antisémitisme. Mais il y a aussi des Français non juifs qui se déclarent favorables à Israël, notamment parce qu’ils le perçoivent comme un pays occidental, à l’avant-garde de la lutte contre le monde musulman dans une perspective de choc des civilisations. La culpabilité par rapport à l’antisémitisme a également fait naître chez certain un mouvement de sympathie avec Israël. Mais une fois encore l’image d’Israël s’est fortement dégradée au sein de l’opinion française. Il faut également signaler qu’il y a de nombreux juifs français qui sont au premier plan dans les associations de solidarités avec les Palestiniens.
- Certains observateurs estiment qu’avec cette nouvelle offensive, Israël cherche tout simplement à tuer l’idée même de la création d’un Etat palestinien. Partagez-vous cette analyse ?
Il est évident que Netanyahu, tout en disant vouloir parvenir à un accord pour la création d’un Etat palestinien, ne fait rien pour. Il estime que le temps joue pour Israël et que chaque jour qui passe éloigne de plus en plus la perspective de la possibilité de créer un Etat palestinien du fait du grignotage des territoires palestiniens par la colonisation.
- Pourquoi la voix arabe, notamment le Qatar, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, est inaudible ? Ont-ils intérêt à ce qu’Israël porte un coup fatal au Hamas ?
Les pays arabes sont divisés. L’Egypte et l’Arabie Saoudite détestent les Frères musulmans et donc ne veulent pas aider le Hamas contrairement au Qatar. Les pays arabes appellent à la solidarité mais sont en fait profondément divisés. L’Egypte est un allié stratégique d’Israël dans la lutte contre le Hamas. On ne peut d’ailleurs pas parler d’un blocus israélien sur Ghaza mais d’un blocus israélo-égyptien.
- Que cherche finalement Israël, en plus de la destruction de Ghaza ? Quel est son but ultime et caché s’il en existe un ?
Israël cherche à retarder au maximum la création d’un Etat palestinien, voire le rendre impossible en continuant à grignoter sans cesse des territoires palestiniens. Les Israéliens, qui sont en faveur d’une paix véritable avec les Palestiniens, estiment qu’il s’agit d’une stratégie suicidaire à long terme pour Israël. Mais la société israélienne s’est radicalisée. Elle est de plus en plus à droite et favorise les options sécuritaires et répressives. Le peuple palestinien est soit occulté soit méprisé. L’occupation a créé un rapport de domination. Le racisme à l’égard des Palestiniens s’est incroyablement développé.
La France malade du conflit israélo-palestinien de Pascal Boniface
Le conflit israélo-palestinien a fait une victime supplémentaire : la société française. Celle-ci est rongée de l’intérieur par cette guerre lointaine qui est devenue l’une des causes les plus graves de division entre Français.
Les juifs français craignent que cela suscite un développement de l’antisémitisme qui les mettrait en danger. Ils ont peur.
D’autres Français estiment que l’antisémitisme est plus nettement combattu par les pouvoirs publics et les médias que les autres formes de racisme et de discrimination. Le fossé s’élargit entre ces deux perceptions, divisant les familles, séparant les amis, rendant trop souvent les fréquentations impossibles entre ceux qui ne sont pas d’accord sur ces points.
De plus, une confusion opérée entre antisémitisme, antisionisme et critique de l’action du gouvernement israélien contribue à l’importation de ce conflit, où la défense de la politique du gouvernement israélien prend parfois le pas sur la lutte contre l’antisémitisme. Ce conflit va durer. «Va-t-on le laisser gangrener la vie sociale en France ?» C’est l’argumentaire de La France malade du conflit israélo-palestinien, livre que Pascal Boniface publie (février 2014) aux éditions Salvator1, après la rétractation en octobre 2013 des éditions Robert Laffont où l’ouvrage devait paraître début 2014.
Les arguments avancés par Robert Laffont n’emportent pas la conviction de Pascal Boniface qui écrit, dans une note d’avertissement, que «cet acte qui a tout d’une censure me laisse avec un manuscrit sur les bras et guère de temps pour me retourner et trouver un nouvel éditeur. Cette lâche décision donne encore plus de poids à mon propos. C’est en tous les cas symptomatique d’un climat, de l’existence de sujets tabous dans le monde de l’édition et d’une volonté de formater les esprits. Si vous n’entrez pas dans le cadre de la pensée commune il vous faut prendre des chemins de traverse et renoncer à la voie royale des grandes maisons d’édition avec un grand service de presse et un accès aux médias centraux visibles. Démocratie à condition d’entrer dans le moule».
Et en guise de conclusion de son ouvrage : «J’ai envie de vivre libre de mes propos dans mon propre pays, et notamment vis-à-vis de l’appréciation d’un gouvernement étranger. Or, ce n’est pas tout à fait le cas. Il faut accepter de payer le prix fort pour exercer cette liberté. J’ai envie de pouvoir avoir des relations amicales et chaleureuses avec mes compatriotes juifs, sans que l’appréciation de la politique du gouvernement israélien soit un mur infranchissable entre nous.»