Quant à eux, ils savaient tout ce qui se passait en Afrique et nous étions même très gentils de ne pas avoir évoqué les villages brûlés, les choses comme ça ; ils étaient tout à fait d’accord avec le sens du film, seulement (c’est là où ça devient intéressant), ces choses-là, on pouvait les dire dans une revue ou un quotidien, mais au cinéma, bien que les faits soient exacts, on n’avait pas le droit de le faire. Ils appelaient ça du « viol de foule ». L’interdiction eut des conséquences très graves pour le producteur. Quant à nous – est-ce un hasard ? – ni Chris Marker ni moi ne reçûmes de propositions de travail pendant trois ans.
« Il n’a pas paru possible à la commission de suggérer des coupures, tant dans le déroulement des images que dans le commentaire, sous peine d’encourir à ses yeux le reproche de se substituer aux auteurs ». C’est en s’abritant derrière ce « refus de se substituer aux auteurs » que la commission a toujours refusé de nous indiquer ce qui la gênait. Mais un jour, deux membres de la commission sont venus me voir pour me déposséder de la réalisation du film !
[…]
Ils sont venus me voir dans ma salle de montage. Ils me disaient « Vous avez fait un très beau film mais vous comprenez bien qu’on ne peut pas lui donner le visa ! Il suffirait de l’arranger, il est trop beau pour que vous le laissiez perdre… Ne croyez pas que nous soyons contre le contenu, non, non, au contraire ! Si on vous racontait tout ce qu’on sait sur l’Afrique, tout ce qui s’y passe, les villages brûlés… mais me disaient-ils, vous n’en suggérez pas le quart !… » Je leur répondais : « je ne fais pas un film sur le colonialisme, ça pourrait éventuellement m’intéresser d’en faire un mais ce n’est pas le sujet de celui-ci » ».
par René Vautier dans les locaux de Slon, rue Mouffetard à Paris.2