Pourquoi le boycott commence à faire peur à Israël
L’affaire Sodastream a révélé la progression de la campagne de boycottage contre les colonies israéliennes installées dans les territoires occupés. Elle inquiète les autorités, mais satisfait un certain nombre d’ONG. Voici pourquoi.
La publicité est un instrument à double tranchant. En faisant appel à Scarlett Johansson pour promouvoir les mérites de sa machine à soda, la marque israélienne Sodastream n’avait sans doute pas imaginé la notoriété qu’elle allait offrir, bien au delà d’un petit cercle de militants, à la campagne de boycott dont elle fait l’objet. Sans la polémique née de l’incompatibilité de cette promotion avec le rôle d’ambassadrice de Scarlett Johansson pour l’ONG Oxfam, la présence de Sodastream, entreprise installée dans une colonie de Cisjordanie, comme sponsor au festival de BD d’Angoulème aurait-elle été remarquée, et dénoncée par une trentaine de dessinateurs?
L’affaire a fait tant de bruit que le secrétaire d’Etat américain y a fait allusion ce weekend: « Il y a une campagne croissante de délégitimation d’Israël. Les gens y sont très sensibles. On entend parler de boycottages et d’autres sortes de choses » a souligné John Kerry, lors d’un discours prononcé samedi. Furieux, ses détracteurs israéliens l’ont accusé de justifier le boycott international pour arracher à l’Etat hébreu des concessions dans les négociations avec les Palestiniens, qu’il a relancées en juillet 2013.
Scarlett Johansson, elle, a tenté de justifier son choix en expliquant que Sodastream « construit un pont pour la paix entre Israël et la Palestine en employant des salariés des deux pays ». Argument vite balayé par les partisans du boycott. Au temps de l’Apartheid, déjà, les défenseurs des droits de l’Homme rejetaient les tentatives des entreprises sud-africaines d’afficher une image bienveillante, celle de pourvoyeuse d’un emploi pour les Noirs. D’autant que l’ONG israélienne B’Tselem a démontré que des centaines d’hectares ont été saisis aux Palestiniens pour construire la colonie de Maale Adoumin où est basée Sodastream.
La campagne BDS qu’est-ce que c’est ?
L’affaire Sodastream témoigne d’une montée en puissance de la mobilisation internationale pour le boycott des produits issus des colonies israéliennes installées dans les territoires occupés. La campagne Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) a été lancée en 2005 par quelque 170 ONG palestiniennes. Il s’agissait, pour ses initiateurs, de choisir une voie non violente pour faire pression sur l’Etat hébreu, l’amener à respecter les droits des Palestiniens.
L’Union européenne et la plupart des Etats dans le monde, considèrent comme illégale l’installation de citoyens israéliens au-delà de la Ligne verte. Selon la convention de Genève, « la Puissance occupante ne peut procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa population civile dans le territoire occupé par elle ». Or de mois en mois, le nombre de mises en chantier dans les colonies ne cesse de grandir. « La politique israélienne envers les Palestiniens a été condamnée à de nombreuses reprises par la communauté internationale; pourtant, au lieu d’être sanctionné, l’Etat hébreu est soutenu par les grandes puissances », avance Robert Kissous, de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS).
Un boycott économique qui s’élargit
Si la campagne BDS a eu peu d’écho jusqu’à ces derniers mois, récemment, elle engrange les succès. Jeudi dernier, le fonds souverain de la Norvège a banni deux entreprises ayant participé à la construction de colonies à Jérusalem-Est. Mi-janvier, Berlin a décidé de cesser de subventionner les sociétés high-tech israéliennes situées au-delà de la Ligne verte. Un peu plus tôt, le fonds de pension néerlandais PGGM a coupé ses liens avec cinq banques israéliennes, en raison de leurs activités dans les colonies. Et une société d’eau potable, également néerlandaise, a mis fin à sa collaboration avec la compagnie israélienne Mekorot.
En décembre c’est Bucarest qui a exigé que les travailleurs du bâtiment roumains envoyés en Israël ne soient pas employés dans les colonies, tandis qu’un site gouvernemental britannique avertissait les investisseurs des « conséquences potentielles sur leur réputation d’une implication dans les activités économiques et financières des colonies ».
Parallèlement, le 1er janvier, est entrée en vigueur une directive de l’UE prévoyant que les accords avec l’Etat hébreu – bénéficiaire de tarifs douaniers privilégiés– ne s’appliquent pas aux territoires occupés depuis 1967: la Cisjordanie, Jérusalem-Est, la bande de Gaza et le Golan. Pour enfoncer le clou, le représentant de Bruxelles pour le processus de paix Andreas Reinicke a prévenu début décembre que si les négociations de paix échouaient, la campagne pour un étiquetage distinctif des produits des colonies, désormais soutenue par la majorité des 28, contre seulement deux il y a deux ans, continuerait à progresser. Enfin l’Etat de New York vient de retirer une loi qui pénalisait le boycott.
La France, elle ne s’incrit pas dans cette tendance. Plusieurs procès ont même visé ces dernières années des militants faisant la promotion du boycott de produits israéliens.
Aux pressions économiques, s’ajoute le boycott d’artistes, comme Carlos Santana, Elvis Costello, Vanessa Paradis, Dustin Hoffman et Meg Ryan ou d’intellectuels le physicien Stephen Hawking, qui ont décidé d’annuler des tournées prévues en Israël. Mais aussi celui d’associations universitaires comme l’American Studies Association (ASA), syndicat d’universitaires et de chercheurs.
Invectives et inquiétudes en Israël
Face à cette mobilisation, l’Etat juif multiplie les contre-offensives. En 2011, le Parlement israélien a voté une loi sanctionnant le boycottage des colonies. Cette semaine, le Premier ministre Benyamin Netanyahu a demandé aux Etats-Unis de « continuer à s’opposer activement aux boycotts contre Israël ».
Mais cette pression inquiète une partie de l’establishment: le ministre des Finances Yaïr Lapid a prévenu, la semaine passée, que le pire serait à venir en cas d’échec des négociations de paix. En cas de boycottage partiel de l’UE, qui représente un tiers des échanges d’Israël, les exportations reculeraient de près de 4,2 milliards d’euros par an, selon une étude de son ministère. De quoi inquiéter les milieux d’affaires: une centaine de chefs d’entreprises israéliens ont d’ailleurs, quelques jours auparavant, pressé Benyamin Netanyahu de saisir l’occasion des efforts américains pour conclure la paix avec les Palestiniens.
Le boycott jusqu’où ?
Pour la Palestinienne Samia Botmeh, partisane d’un boycott radical, « se limiter au boycott des colonies, c’est s’en prendre aux conséquences et non aux causes de l’occupation ». En revanche, l’Américain Noam Chomski estime que viser Israël dans son ensemble « est un cadeau aux faucons israéliens et à leurs soutiens américains ». En France, l’AFPS, qui rejette toute accusation de racisme, « cible la colonisation, et ce qui profite à la colonisation. Ainsi, nous demandons que Orange cesse son partenariat avec Partner Communications, dont les antennes sont implantées sur des terres palestiniennes confisquées aux Palestiniens », fait valoir Robert Kissous.
Contre le boycott…
Hors d’Israël, nombreuses sont les voix qui dénoncent la campagne BDS. L’ONG B’nai Brith et le Congrès juif mondial accusent le mouvement d’antisémitisme. Pour Roger Cukierman, président du Crif, l’appel au boycott « crée une fois de plus une exception pour Israël », expliquant que « bien d’autres pays pourraient être concernés par de telles initiatives », dont « la Chine pour sa présence au Tibet ». Plus mesuré, David Chemla, secrétaire général européen de l’association JCall, dit « comprendre la logique de ceux qui appellent au boycott des entreprises installées dans les territoires occupés, ou la demande d’étiquetage de produits issus des colonies, qui laisseraient au consommateur le choix d’acheter, ou pas, ces marchandises. Pour autant, explique-t-il à L’Express, JCall ne soutient pas le boycott. L’association, favorable à une solution négociée à deux Etats, y voit un frein à la dynamique de négociation enclenchée par John Kerry ». Tout en admettant qu’un échec nuirait sérieusement à l’image d’Israël.
… Et pour
Bon nombre d’autres juifs d’Israël et de la diaspora, en revanche, soutiennent le boycott. C’est le cas de plusieurs ONG israéliennes, dont La Paix maintenant (Peace Now), qui a même publié une liste des produits en provenance des colonies. L’ancien président de la Knesset Avraham Burg voit dans le boycottage « une tentative audacieuse et innovante pour réaliser des gains diplomatiques », il salue dans cette nouvelle forme de lutte palestinienne « quelque chose de nouveau et pas si familier pour nous – la résistance non violente. » Le pacifiste relève le paradoxe de la dénonciation du boycott par les autorités israéliennes qui militent ardemment pour le maintien… de sanctions contre l’Iran et le Hamas.
Le blocage de toute avancée des négociations de paix a aussi fait changer d’avis certains contempteurs du boycott. Ainsi l’éditorialiste de Haaretz Gideon Levi, qui le jugeait contre-productif, estime désormais que c’est une action « patriotique » pour faire bouger le gouvernement Netanyahu.
« Une vaste majorité de l’opinion publique européenne voit le boycott comme un juste instrument de pression destiné à libérer les Palestiniens, admet l’historien ‘colombe’ Zeev Sternhell. Cette opinion est partagée par des gens de l’ensemble du spectre politique, y compris ceux qui méprisent l’antisémitisme. Piétiner les droits des Palestiniens au nom de notre droit exclusif à la terre, avertit ce spécialiste du spécialiste du fascisme en Europe, risque d’aboutir à un ostracisme international d’Israël, et si cela se produit, ce ne sera pas de l’antisémitisme ».
« La justice et l’égalité pour tous menacent-elles Israël ?, interroge dans le New York Times Omar Barghouti, l’un des cofondateurs de la campagne BDS. L’égalité a-telle détruit le Sud des Etats-Unis [après la fin de la ségrégation], ou l’Afrique du Sud? »