À l’Assemblée nationale :
La transcription 1 :
Assassinat de Maurice Audin
M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. François Asensi. Monsieur le Premier ministre, le 11 juin 1957, un brillant mathématicien de vingt-cinq ans, ami du peuple algérien, était brutalement enlevé en pleine bataille d’Alger.
Malgré le maintien du secret-défense, malgré des archives militaires probablement nettoyées, la vérité a depuis fait son chemin. Une enquête approfondie vient apporter de nouveaux éléments accablants. Il n’y a aujourd’hui plus de place au doute : Maurice Audin, militant communiste, a été enlevé, torturé, et assassiné par le 10e régiment de parachutistes de l’armée française.
Le sinistre Aussaresses l’a reconnu clairement dans ses aveux révélés mercredi dernier par le journaliste Jean-Charles Deniau.
Monsieur le Premier ministre, la République doit reconnaître enfin ce crime d’État. Elle doit faire toute la lumière sur les responsabilités des plus hautes autorités militaires et politiques qui ont couvert, à l’époque, cet assassinat et les atrocités qui l’ont accompagné, au premier rang desquelles la torture.
Nous le devons à ses enfants et à sa femme, remarquables de courage et de ténacité.
Nous le devons aux Algériens ; Maurice Audin a payé de sa vie le combat pour leur indépendance. Nous le devons enfin et surtout au peuple français. Aucune démocratie ne peut se satisfaire du silence sur de si sombres pages de son histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDRsur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
Un député UMP. Un traître !
M. François Asensi. Maurice Audin n’a jamais été revu vivant.
Depuis cinquante-six ans, sa famille et notre pays subissent cet assassinat sans justice. La version officielle – pour ne pas dire le mensonge – de son évasion supposée, soutenue depuis des décennies par les autorités françaises, dénie toute responsabilité de son état-major militaire.
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, l’affaire Audin pose une question grave et difficile. Elle met en jeu la douleur d’une famille qui a connu la double peine de la disparition et de l’incertitude. Elle rappelle à la France combien son histoire en Algérie a pu être, à certains égards, douloureuse pour nos deux pays. Elle place enfin l’État face aux responsabilités mémorielles qu’il a héritées de cette guerre qui alors ne disait pas son nom.
Comme l’a dit le Président de la République à l’occasion de sa visite d’État en Algérie, nous avons le respect de la mémoire, de toutes les mémoires. Mais nous avons aussi un devoir de vérité. Établir la vérité est une obligation.
Vous l’avez dit, un livre vient de sortir il y a très peu de temps. Nous sommes en train d’en prendre connaissance, mais je prends l’engagement devant vous que le Gouvernement fait et fera tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à l’établissement de la vérité.
D’ores et déjà, à la demande du Président de la République, j’ai remis personnellement à Mme Audin l’intégralité des archives de la défense relatives à la disparition de son mari. À cette fin, j’ai eu recours dans cette affaire à une procédure inédite en prenant un arrêté de dérogation générale. Par ailleurs, conscient des limites de ces archives, j’ai veillé à ce que Mme Audin dispose de tous les documents en notre possession, qu’ils aillent ou non dans le sens de la version officielle défendue à l’époque.
Monsieur le député, ce travail continue, je souhaite qu’il aboutisse bientôt, et ce sera l’honneur de ce Gouvernement que d’avoir contribué à l’établissement de la vérité près de soixante ans après les faits. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
Nouvelles révélations sur l’assassinat de Maurice Audin :
La vérité toujours occultée
Le crime odieux et tragique du militant nationaliste, Maurice Audin, n’en finit pas de soulever des interrogations. De sérieux doutes pèsent encore sur les circonstances exactes de sa mort.
Maurice Audin disparu après son arrestation le 11 juin 1957, lors de la fameuse bataille d’Alger, était un assistant de mathématiques français à l’université d’Alger, membre du Parti communiste algérien (PCA) et militant de la cause anticolonialiste.
Pour sa veuve Josette Audin, ses proches et compagnons de route, les militants ainsi que pour beaucoup de journalistes et historiens, épris de justice et absolument persuadés de l’inéluctabilité du triomphe de la vérité, le combat continue. L’affaire a rebondi avec la publication d’un ouvrage du journaliste Jean-Charles Deniau intitulé La vérité sur la mort de Maurice Audin (éditions Equateurs), qui vient de paraître.
Ce journaliste conclut que Maurice Audin, 25 ans, a été tué par un sous-officier français sur ordre du général Jacques Massu, patron de la 10e division parachutiste (DP) pendant la bataille d’Alger. Un ordre répercuté par Paul Aussaresses, alors officier de renseignements au 1er Régiment de chasseurs parachutistes (RCP), l’un des quatre régiments de la 10e DP.
Les réactions ne se sont pas fait attendre, l’historien Gilles Manceron a considéré que le récit apporté par ce journaliste, Jean-Charles Deniau, rapportant les aveux posthumes de Paul Aussaresses sur les circonstances de l’assassinat de Maurice Audin, « semble crédible » et que la version donnée par ce tortionnaire apparaît comme « vraisemblable ».
« Le récit de ce journaliste semble crédible et la version donnée finalement par Aussaresses apparaît comme vraisemblable.
Le fait que l’ordre de tuer soit venu du général Massu pourrait expliquer le long silence de l’armée et des autorités françaises sur cette question.»
Pour l’historien, l’intérêt de ce livre est de « rendre publique » la version de la mort de Maurice Audin que l’auteur a pu obtenir de « ce général tortionnaire, Paul Aussaresses, peu avant sa mort, suite à de nombreux entretiens.» « Jusque-là, a ajouté Gilles Manceron, Aussaresses refusait d’en parler, affirmait ne rien savoir ou bien proférait différents mensonges. Finalement, il a dit que la mise à mort de Maurice Audin avait été ordonnée par le général Massu qui commandait les parachutistes chargés de la répression à Alger, expliquant qu’il avait été chargé de l’organiser et indiqué qui ont été les exécutants.»
Il a considéré, aussi, qu’« il est vrai, comme le dit la famille de Maurice Audin, qu’Aussaresses n’a cessé de mentir.»
« A-t-il voulu, au moment où il savait qu’il allait bientôt mourir, décharger sa conscience en relatant les choses telles qu’elles se sont déroulées ? On ne peut pas en être certain », a supposé l’historien qui souligne que l’auteur de ce livre raconte comment il a mené son enquête pour parvenir à lui faire livrer, peu à peu, des informations.
A propos de la contribution des historiens pour appuyer les conclusions de cette enquête, Gilles Manceron, a estimé qu’il s’agit aujourd’hui de tirer parti des archives écrites des autorités civiles et militaires françaises de l’époque. « Même si la torture et les exécutions sommaires faisaient rarement l’objet de documents écrits, il est possible que des choses aient pu être notées qui donnent des indications précieuses », a-t-il soutenu.
Il a relevé aussi que les « archives du ministre résident Robert Lacoste, les éventuels carnets personnels des protagonistes contiennent peut-être des éléments. Et aussi, la mémoire de tous les acteurs de ces épisodes doit être aussi recueillie, en croisant et en recoupant les témoignages.»
Les doutes de la veuve de Maurice Audin
A propos des doutes exprimés par la veuve de Maurice Audin quant à la véracité des confessions du tortionnaire Aussaresses et sur l’appel qu’elle lance à la France pour condamner la torture et les exécutions sommaires perpétrées en Algérie durant la période coloniale, l’historien estime qu’il est « très compréhensible qu’elle ait protesté contre le fait de n’avoir pas été tenue au courant de cette enquête et de ce livre.»
« Elle a émis des doutes sur son contenu, car on ne peut faire confiance à ce tortionnaire qui a toujours menti. Mais un menteur peut dire quelquefois la vérité sur un épisode précis. Quoi qu’il en soit, elle a raison de demander que la France reconnaisse et condamne la torture et les exécutions sommaires perpétrées en Algérie durant la période coloniale », a ajouté l’historien français.
« Les autorités françaises sont tenues de dire la vérité »
La Ligue des droits de l’Homme a publié un appel en direction des autorités politiques françaises, estimant que « le livre avance des éléments nouveaux qui rendent indispensable que les autorités françaises disent enfin la vérité sur ces faits. D’après lui, l’ordre de tuer Maurice Audin a été donné au commandant Aussaresses par le général Massu, avec l’assentiment probable du ministre résident en Algérie, le socialiste SFIO, Robert Lacoste, alors que le président du Conseil était depuis peu le membre du Parti radical, Maurice Bourgès-Maunoury. L’objectif de cet assassinat étant de faire un exemple destiné à avertir et dissuader les communistes à soutenir la lutte d’indépendance algérienne.»
Pour la Ligue des droits de l’Homme, « il est plus que temps, un demi-siècle après ces faits, que les plus hautes autorités de la République française, comme les différentes institutions de la société, le reconnaissent.»
Un bref rappel des faits. Selon l’armée française, Maurice Audin se serait évadé en sautant de la jeep qui le transférait de son lieu de détention. Mais selon les membres de sa famille politique et une enquête de l’historien Pierre Vidal-Naquet qui écrit, en mai 1958, dans la première édition de L’affaire Audin, que l’évasion était impossible. Maurice Audin est mort au cours d’une séance de torture, assassiné le 21 juin 1957 par le lieutenant Charbonnier, un officier de renseignement servant sous les ordres du général Massu. Le général Aussaresses a contredit cette version, affirmant que Charbonnier n’était pas dans le secteur au moment du meurtre. Un nouveau non-lieu est prononcé en juillet 2002 suite à une nouvelle plainte de son épouse pour séquestration et crime contre l’humanité déposée le 16 mai 2001, après que le général Aussaresses eut avoué avoir ordonné au lieutenant Charbonnier d’interroger Maurice Audin. Le mercredi 8 janvier 2014, un document est diffusé en exclusivité dans le Grand Soir 3 dans lequel le général Aussaresses dit au journaliste Jean-Charles Deniau qu’il a donné l’ordre de tuer Maurice Audin. Partisan convaincu du recours à la torture durant notre lutte de libération nationale, Paul Aussaresses, alias Commandant « O », est décédé à l’âge de 95 ans. Il revient aux historiens de travailler sur ce dossier resté pendant du fait de la politique de la chape de plomb, de les conforter aux archives relatives à cette affaire qui sont plus ou moins ouvertes et de réclamer au gouvernement la restitution par la famille d’Aussaresses des documents officiels encore en leur possession.
- Référence : le compte-rendu intégral du débat à l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140129.asp#P162362.